LE BLOG, PILOTE PRIVE

Des vols extrêmes

Voici le deuxième article de Denis qui nous fait part de quelques uns de ses souvenirs les plus “chauds”. Ne vous méprenez pas,  l’intérêt  de ce retour d’expérience est valable quelle que soit votre activité, la vitesse de votre machine ou le niveau de vos qualifications. Quand vous n’avez plus beaucoup de pétrole ou quand les conditions météo sont mauvaises, que vous soyez à 450 kt ou à 45 kt, les problèmes sont les mêmes et les solutions pour les résoudre se ressemblent beaucoup (vous allez découvrir bientôt le premier vol solo de Cyril et, tout comme Denis, il a été confronté à un vrai problème en vol, à 45 kt, … avec les mêmes enjeux : vouloir se poser) ! Effectivement, la “dynamique du vol” est différente et rajoute encore de la complexité; une raison de plus pour s’intéresser à ces moments forts.

Pour ceux qui ne connaissent pas Denis (ci-dessus), je vous invite à le découvrir dans cet article, une bonne entrée en matière à ce qui suit !

Nous essayons d’illustrer les articles avec des photos en rapport avec leurs contenus. Nous profitons de celui-ci pour vous faire découvrir les photos de Daniel avec sa collection “Heavy metal”.

Je laisse la plume à Denis.

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De mémoire, l’erreur est un écart involontaire avec la règle et, sous certaines conditions, il est envisageable de la dépénaliser. La violation est un écart volontaire avec la règle pour des motifs opérationnels, ou imposé par la présence de contraintes imprévues.

L’indiscipline est un écart volontaire pour le plaisir. Plaisir des sens (adrénaline), plaisir lié à la transgression ou à un sentiment de surpuissance et d’impunité.

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Souvenirs d’expériences pour lesquelles la prescription trentenaire a joué depuis longtemps et qui, si elles s’étaient mal terminées, auraient coûté très cher aux responsables (combien ? lesquels ?). Ils auraient été considérés comme coupables, sans circonstance atténuante.

Violation ou indiscipline ?

La motivation principale et affichée était, bien sûr, la qualité de l’entraînement opérationnel et celle du travail bien fait. Et pourtant, dans bien des cas, qu’est-ce qu’on s’est fait plaisir

Où se situerait la frontière aujourd’hui ???

« Que celui ou celle qui n’est jamais passé là où il n’aurait pas dû, jette la première pierre ».

« L’initiative, c’est de l’indiscipline qui a réussi ». Confucius ou le Sapeur Camembert ?

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R 45 à Nancy.

Ce soir là, la météo n’est pas très bonne. Je décolle de nuit en Mirage pour une R 45 nord, un itinéraire réservé pour l’entraînement au vol avec l’aide du radar de bord, à basse altitude et sans visibilité. L’avion est équipé de réservoirs pendulaires de 1300 litres. J’ai donc de quoi voir venir.

Décollage de Nancy, entrée dans la couche vers 500 pieds, contact avec l’approche de Luxeuil qui assure la police et la régulation dans l’itinéraire, et c’est parti pour une bonne heure de vol à transpirer dans les nuages, le nez dans le radar, au ras des collines. En sortant de l’itinéraire, du coté de Colmar, j’appelle à nouveau l’approche de Luxueil pour reprendre de l’altitude et rentrer à la maison. Avant de me transférer au radar de Nancy, Luxeuil m’indique que la météo s’est dégradée sur la région et que cette base recueille tous les avions des terrains environnants qui sont encore en l’air.

Sur la fréquence du radar de Nancy l’ambiance est tendue. C’est la fin des vols de nuit et la fatigue se fait sentir. Plusieurs avions appellent pour se poser. Beaucoup sont à court de carburant. Je reconnais la voix de Didier (nom d’emprunt), un de mes bons amis contrôleurs, qui leur répond. C’est lui qui recueille les avions avant de les répartir vers les contrôleurs G.C.A. qui, avec le radar de précision, ne peuvent guider qu’un avion à la fois jusqu’à l’entrée de la piste. Didier m’attribue une zone et une altitude d’attente, et me demande de le rappeler quand il ne me restera plus que le pétrole minimum prévu par les consignes…, et pas avant. Il a du boulot ! Comme il me reste une bonne demi heure de réserve, je lui propose d’aller me poser à Orange ou à Istres.

–       non, ce n’est pas la peine, la situation va se décanter.

J’affiche le régime économique, je tourne en rond dans la zone qui m’a été attribuée, et j’écoute.

Les avions continuent d’arriver de partout pour se poser. Certains pilotes ont la voix un peu plus haut perchée que d’habitude. Il ne leur reste que quelques minutes de carburant.

Didier, très pro, annonce calmement les conditions en finale :

– visibilité trois kilomètres, plafond 4 à 500 pieds, vent dans l’axe avec des rafales, pluie et neige mêlées.

Pas de quoi pavoiser. Quand il ne me reste plus que le carburant minimum réglementaire, je l’annonce à Didier, … qui est encore très occupé. Il me demande d’attendre encore un peu. Au bout de quatre à cinq minutes, la situation s’est un peu calmée mais il y a encore du monde sur la fréquence. Je n’ai pratiquement plus de réserve de carburant et je relance Didier.

– encore deux ou trois minutes, les G.C.A. sont saturés.

– j’espère qu’il ne s’agit pas de minutes de coiffeur et que le contrôleur G.C.A. est un bon. Mes réserves sont épuisées et je ne pourrai pas faire une deuxième tentative si la première échoue.

– tu seras le dernier à te poser et c’est moi qui t’emmènerai jusqu’au bout.

– O.K.

Quand il m’appelle pour la descente, nous n’avons plus droit à l’erreur. Il me reste le carburant nécessaire pour atterrir et de quoi remettre les gaz pour rejoindre, juste avant la panne sèche, la zone d’éjection à proximité de la base.

Didier, toujours aussi calme, me guide entre les deux balises du seuil de piste, comme dans le livre.

D’après les mécanos qui ont fait les pleins, il ne restait que deux à trois minutes de vol dans les réservoirs de mon avion.

Ce soir là, les rencontres entre les pilotes et les contrôleurs de Nancy, et les pilotes déroutés des autres bases, ont été sonores et chaleureuses. Puis nous avons essayé de faire prévenir les familles et logé tout le monde.

C’est beau la confiance, c’est beau l’amitié, encore plus beau quand les aventures se terminent bien.

***

Deux Mirages de retour du champ de tir de Suippes, vers Nancy.

Le pétrole est un peu juste, la météo n’est vraiment pas bonne. La remontée à l’aide des radars de navigation qui imposerait, de fait, un déroutement, me paraît trop contraignante.

Mon équipier du jour, un jeune pilote à l’instruction (P.I.), est un « bon ». Je le fais passer devant pour qu’il apprenne à naviguer par mauvaise visibilité, pour le guider en cas de besoin, et pour pouvoir le garder à vue tout en surveillant l’horizon.

Nous descendons au ras des arbres et, pour gagner un peu de temps, nous traversons sans autorisation et parallèlement à l’axe de piste, la zone d’aérodrome de Saint Dizier. Un contrôleur, qui ne regardait pas là où il aurait dû, nous voit. Sur la fréquence de navigation à basse altitude, il demande l’indicatif des deux Mirage qui « essayent de se faufiler dans son dos et à moins de cinq kilomètres de sa tour de contrôle ». J’hésite entre la « panne radio fictive » et l’envoi de l’indicatif d’un escadron « adverse » : Dijon ou Colmar de préférence. La « 4 », à Luxeuil, c’est l’escadre soeur de la basse altitude. Je choisis quand même la « panne radio fictive ».

Avec l’équipier, nous trouvons un passage pour franchir les côtes de Meuse, « les bidons dans les arbres et le haut de la dérive dans les stratus ».

Contact avec l’approche de Nancy qui ne nous voit pas, montée vers le circuit G.C.A. pour obtenir un guidage radar, atterrissage normal.

Au débriefing j’ai félicité l’équipier pour sa prestation, en lui demandant d’oublier ce qu’il venait de faire. Vœux pieux…

***

Six Mirages en mission d’entraînement à basse altitude

…pour la « pré évaluation » d’un candidat au brevet de chef de patrouille. Un évaluateur de l’état-major est chef du dispositif. Commandant d’escadrille du candidat, je suis le N°6.

Avant le briefing, le commandant d’escadron explique au candidat qu’il part « faire la guerre », que l’évaluateur est un guerrier, un vrai, et qu’il le connaît bien.

– Ne jouez pas avec la sécurité, mais ne rebroussez pas chemin au premier cumulus. Il appréciera.

C’est parti. Il s’agit de détruire un pont du coté de Cambrai, là où le sol est supposé être plat.

Au bout de vingt minutes de vol, sous les nuages et à des altitudes « un peu » basses, dans un virage je me débrouille mal et je dois monter de quelques mètres pour ne pas percuter mon leader. Instantanément je perds la vue du sol. Je commence à monter, prends le cap annoncé par le candidat et stabilise l’avion à l’altitude de sécurité.

Nous sommes à trois minutes de l’objectif. Pensant pouvoir redescendre rapidement, je ne dis rien. Au bout d’une trentaine de secondes j’annonce quand même que je suis « stable dans une inter couche » et que j’attends un trou pour redescendre et rejoindre la patrouille. En réalité, je suis toujours dans la couche, mais je ne veux pas « polluer » le travail du candidat qui arrive à proximité de l’objectif.

Moins d’une minute plus tard l’évaluateur, qui me connaît bien, me demande à quelle altitude est l’inter couche et quelle est son épaisseur. Je lui réponds que l’inter couche est très étroite, qu’il y a de la place pour un avion, mais pas pour six. Il a compris.

Dans les secondes qui suivent, c’est lui qui ordonne :

– on monte. 6 vous annoncerez la sortie en ciel clair.

Plein gaz, pleine P.C., radar air/air en site positif, je monte. Je « sens » les autres avions de la patrouille qui « poussent » par en dessous. Mais où ?

Ciel clair vers 25 000 pieds, pas de traînées, je continue à monter. De 30000 pieds je cherche les autres équipiers. Comme des bouchons de champagne qui sautent, ils sortent de la couche. Un spectacle toujours merveilleux.

Du haut de mon perchoir et à la demande du leader, je donne quelques indications pour aider tout ce beau monde à se rassembler. C’est seulement quand la patrouille est redevenue « présentable » que nous avons contacté le radar de circulation aérienne.

Retour à la base, en silence, pour un débriefing sanglant.

***

Six Mirages en mission d’entraînement au profit d’un candidat au brevet de chef de patrouille.

Mission « bas-bas-haut ». Départ de Nancy, assaut en Touraine, remontée à Tours et retour à Nancy. Rien que « du beau linge » pour encadrer et pour évaluer le candidat.

En arrivant à Tours après avoir bien cherché notre route entre les grains, le pétrole restant ne permet pas de rejoindre Nancy en respectant les consignes de sécurité. N° 5 et commandant d’escadrille du candidat, je pense qu’il va nous faire poser à Tours.

Quand nous débutons la montée avec l’approche de Tours, personne ne dit rien. Nous continuons.

« Pourquoi pas ? Il reste Saint Dizier, où nous pourrons nous rendre par voie routière, pour remettre en œuvre nos avions avec nos mécanos ». Travers Saint Dizier, le pétrole restant est inférieur aux minima pour Nancy. Personne ne dit rien, nous continuons.

En début de percée à Nancy, où le terrain est « jaune très orangé », chacun négocie son numéro de descente en fonction des derniers litres de carburant qui lui restent. Tous les pilotes se sentent nerveux.

Le premier qui se pose, peut-être un peu tendu, largue son parachute de freinage, puis coupe son réacteur comme le prévoient les consignes. Il s’immobilise à 600 mètre du bout de piste. La tour passe le terrain « rouge technique », ce qui interdit les atterrissages, et ordonne la remise des gaz à l’avion en finale.

La réponse du pilote est claire :

– négatif, plus de pétrole. Dites moi plutôt où se trouvent le parachute largué et l’avion immobilisé.

Les six avions ont finalement été posés sans autre incident.

Le leader du dispositif, haut responsable à l’escadre, s’est « débriefé » honnêtement devant toute la patrouille. Il avait eu très peur et il nous a présenté cette mission comme un exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Chacun, lui le premier, en a pris pour son grade.

***

Ochey, fin des années 60, début des années 70.

Retour de R45 à Nancy, de nuit, en percée autonome. Le héros est un CP, peut-être commandant d’escadrille et bon vivant, c’est un vrai barde.

Train sorti, il a commencé sa descente après le palier GCA.

Echanges radio avec le contrôleur :

– Nancy de Condé XX, y a t-il une prise d’armes sur la base ?

– Pas à ma connaissance. Pourquoi ?

– parce que l’écho radar est vraiment très brillant ce soir.

Silence

– Condé XX de Nancy, vous avez bien annoncé une finale autonome avec atterrissage à Nancy ?

– affirmatif

Silence

– Condé XX de Nancy, vous confirmez votre atterrissage à Nancy ?

– je viens de vous le dire.

– alors faites 30° droite et augmentez la descente, vous semblez bien placé pour vous poser sur Vaucouleurs.

***

Bons vols

Denis

2 Comments

  1. Bonjour,
    J’avoue n’avoir pas tout saisi de l’histoire de l’entrainement à basse altitude. Je ne suis pas rompu aux pratiques IFR, ni au vol en patrouille et n’ai pas situé les rôles respectifs des uns et des autres dans cet épisode. Par conséquent j’ai peur que l’enseignement m’en échappe, et c’est dommage !
    Est-ce simplement que la couche, un peu plus conséquente qu’un “moindre cumulus” aurait du conduire le candidat à rebrousser chemin ?
    Merci pour tout sinon, le site est excellent et toujours un plaisir à lire !

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  2. charrier

    Bonjour Bastien
    En fait, dans ces histoires le pilote est confronté à des difficultés de plusieurs natures. Certaines liées à notre propre mode de fonctionnement que nous rencontrons tous les jours, comme la pression psychologique qui nous poussera à sortir du cadre, et d’autres qui concernent l’activité d’un pilote sous l’angle de la gestion des risques. Dans des conditions météo défavorables avec plein de paramètres (plafond, visi…) qui évoluent en permanence, les décisions ne sont pas forcément évidentes; en l’espace de quelques secondes, une absence de décision nous entraîne dans une drôle de situation. La dynamique du vol est très importante dans cette activité mais les problématiques sont les mêmes que celles rencontrées par un pilote privé. Et d’ailleurs, si nous regardons le contenu des formations sur les facteurs humains pour les privés ou les pros, à peu de choses près, nous retrouvons les mêmes thèmes: attitude, gestion des émotions, conscience de l’environnement … Là, je comprends que Denis s’est fait piéger dans la couche, en évitant son leader, et que les autres ont rencontrés des plafonds trop bas juste après.
    JG

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