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M…, je viens de me faire foudroyer !

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En aout 1985, jeune aspirant, je viens en tant que pilote de chasse d’obtenir mon bâton de maréchal. Ce jour-là, mon commandant d’escadrille me désigne pour effectuer une mission de photos basse altitude du programme officiel de l’Armée de l’Air en RFA.

Ma première mission de Chef de Patrouille, il ne faut pas que je la « foire ». Pas question de faire n’importe quoi, il faut que les photos soient parfaites, les objectifs sont de toutes sortes (Ponts, Usines, etc.) destinées aux états-majors des Armées. Il en va de la réputation de l’Escadron.

La veille, je passe l’après-midi à préparer la mission qui n’a rien d’une ballade. Deux heures de vol à toutes les altitudes, en anglais, avec les contrôleurs allemands et américains qui contrôlent ces zones. Il s’agit d’un décollage de Strasbourg, d’une montée haute altitude FL 350 vers l’Allemagne, puis d’une descente en basse altitude 500 ft, 420 kts (environ 800 Km/h) au fin fond de la Bavière pour faire la dizaine d’objectifs et retour vers Strasbourg en haute altitude. Il me faut donc calculer le pétrole, déterminer la configuration de l’avion et les axes de prise de vue, tracer les cartes. Un bon après-midi de « brainstorming ».

Le lendemain matin, le décollage est repoussé une première fois à cause du brouillard en Bavière, donc direction le mess et décollage prévu vers 14 h. La tension monte un peu. Avec l’arrivée d’un front orageux par l’ouest, la pression monte encore un peu plus car cela va impliquer de faire en IMC (vol aux instruments) la première partie de la mission.

Le MIRAGE III R est équipé seulement d’un bon TACAN, son pilote d’une bonne montre et de bonnes cartes, il n’y a pas de radar MTO à bord… Je choisis d’utiliser un MIRAGE III R équipé de 2 bidons de 17OOL. C’est la configuration la plus lourde, d’où un décollage long et stressant, car la bête va avoir un peu de mal à quitter le sol avec la température chaude de ce mois d’aout.

Néanmoins, me voilà aligné en bout de piste pour un décollage face à l’ouest vers 14 h 30. Tout se déroule comme prévu. Le décollage me semble long et la piste de 2400 m bien courte. De plus, la ligne bleue des Vosges est recouverte d’une bande nuageuse très foncée d’où quelques éclairs fusent. Le radar de départ me positionne, sur ma demande, un peu plus à l’est que la trajectoire de montée, me permettant d’éviter, du moins je l’espère, ce front orageux. Passant le FL 195, le radar de SXB me transfère au radar de zone pour le départ vers l’est. Je suis toujours IMC et la montée se fait lentement, je suis très lourd.

Au moment où je bascule la clef radio, retentit un bruit assourdissant en même temps que deux arcs électriques se forment sur les tubes Pitots situés en avant du pare-brise frontal, à un mètre cinquante de mes yeux. J’ai l’impression d’une décélération progressive, comme rentrer dans un mur de coton.

Première pensée : M…, je viens de me faire foudroyer !!!!!!!

Deuxième pensée : L’altitude de sécurité de la Zone est de 6000 ft, cela veut dire que si je n’ai rien récupéré à cette altitude, c’est l’éjection… Donc, comme au simulateur, transpondeur sur Emergency et analyse de la situation. Pas terrible l’affaire :

– Toutes les pannes du panneau, rouges comme ambres, sont allumées.

– La Boule (Horizon principal sur avion d’arme) est bloquée en montée et virage.

– Tous les flags des instruments sont de sortie, même celui de l’horizon de secours.

Mais pas de sensation d’accélération, je suis bien dans l’avion et seul l’altimètre de secours montre une tendance à jouer les ventilateurs. Bon voilà 7000 ft, il va falloir y aller. Je me calle bien sur le siège et resserre les sangles ; je vais mettre le réacteur sur Off, quand j’entrevois à travers un trou dans les nuages : des arbres.

J’analyse rapidement la situation, je suis ailes horizontales donc l’horizon secours est cohérent. Je pousse la manette des gaz, pas d’information sur les instruments, mais l’avion semble répondre et l’altimètre se stabilise. Je vole droit et ne tombe plus…

Un regard au compas de secours, cap à l’est vers la plaine d’Alsace, l’altitude de sécurité y est plus basse et la MTO semblait meilleure au décollage. En effet après quelques minutes je me retrouve sous la couche nuageuse en vue du sol.

Ouf !!! Direction la base en surveillant le ciel, car je n’ai pas de radio et il faut que je largue le pétrole. En effet, je suis trop lourd pour l’atterrissage. Je choisis de me présenter en longue finale, car je n’ai aucune idée des dégâts sur l’avion et le contrôle aérien avec mon transpondeur va me voir arriver de loin. Tout se passe bien, le train sort, l’avion reste contrôlable donc je débute de loin et haut cette longue finale. Je sors le parachute de queue au touché des roues et je dégage la piste en bout de bande entouré des secours sols.

Cool… ils étaient au courant donc je roule jusqu’à l’escadron, stoppe l’avion, souffle un peu puis fais le tour de la bête avec le mécano. Des tubes pitots à la tuyère, il y a des points de soudure tous les mètres.

En conclusion : j’ai fait comme au simulateur. Je n’ai pas eu l’impression de stress, mais deux jours après, seul sur mon canapé je me mettrai à trembler lorsque la foudre tombera pas très loin. L’avion lui sera envoyé à la ferraille car trop vieux pour être remis en état.

Analyse 

Observons les méthodes de travail ainsi que les réactions d’Alain pour améliorer la compréhension de notre propre activité et de nos propres comportements.

Ma première mission de Chef de Patrouille, il ne faut pas que je la « foire ». Pas question de faire n’importe quoi. Le pilote est motivé. La motivation est une des clés essentielles de la performance d’un pilote. Dans le cas présent, c’est peut-être un peu plus de temps de préparation à traquer tous les détails de son vol qui pourraient s’avérer important par la suite.

Deux heures de vol … Un bon après-midi de « brainstorming ». Un professionnel va passer une après-midi entière à préparer un vol de deux heures. Pourquoi ? Parce que contrairement à un vol en IFR où “il suffit” de suivre un ensemble de spécifications imposées (trajectoires, altitude…), dans ce vol Alain va évoluer à basse altitude dans un « milieu ouvert », c’est à dire qu’il sera livré à lui même. Demain c’est vous qui allez pour la première fois vous poser sur un gros terrain, ou traversez toute la France… Votre préparation du vol c’est lever des incertitudes, c’est une meilleure compréhension de votre environnement avec l’analyse des aléas potentiels, c’est un temps d’avance sur les évènements.

C’est la configuration la plus lourde, d’où un décollage long et stressant, car la bête va avoir un peu de mal à quitter le sol avec la température chaude de ce mois d’aout. Bien que la configuration de son avion soit dans ses limites opérationnelles (masse/longueur de piste),  Alain est conscient qu’il va tutoyer des limites et il s’y prépare. Même en respectant toutes les consignes et règlements votre vigilance, dans ces situations où vos marges de manoeuvre sont réduites, pourra vous éviter de sortir de votre “zone de sécurité”.

Le décollage me semble long et la piste de 2400 m bien courte. Alain rencontre comme il le dit sans doute du stress, dont un des symptômes est un décalage entre le temps réel et la perception que l’on en a. Le pilote trouve le temps long ! Ce phénomène est connu. Si vous vous remémorez votre préparation du vol lors d’un contrôle avec un examinateur (ou pendant les dernières minutes d’un examen quand vous étiez étudiant), ou en vol l’attente d’une météo importante, vous avez peut-être été confronté à ce ressenti d’une pression temporelle. Pensez à ce phénomène la prochaine fois que vous sous sentirez pressé par le temps.

Le radar de départ me positionne, sur ma demande, un peu plus à l’est que la trajectoire de montée, me permettant d’éviter, du moins je l’espère, ce front orageux. Alain a anticipé une menace (ou du moins il a essayé) : les minutes qui suivent montrent qu’en aviation il ne suffit pas d’essayer d’éviter un danger, pour ne pas y être confronté (météo …). Alain va être confronté à un cas extrême, la foudre, mais plus fréquemment la météo est à l’origine de très nombreux accidents, il faut en être conscient.

Première pensée : M… je viens de me faire foudroyer ! Deuxième pensée : L’altitude de sécurité de la Zone est de 6000 ft, cela veut dire que si je n’ai rien récupéré à cette altitude, c’est l’éjection… L’analyse de ce qui vient de se passer est assez simple, il s’est fait foudroyer, par contre ce qui est intéressant c’est que le premier réflexe du pilote est de penser à sa marge de manœuvre par rapport à sa sécurité : temps, altitude. Et c’est seulement après qu’il analyse plus en détail la situation de sa machine. Avant de vous précipiter dans la salle des machines, regarder l’eau qui vous reste sous la quille. 

Donc, comme au simulateur, transpondeur sur Emergency et analyse de la situation. Alain applique une procédure ou du moins La Procédure qui s’impose. Un pilote d’Airbus qui évoquait des situations d’emergency comparait la procédure pour un pilote à une ile sur laquelle le naufragé va pouvoir se réfugier. Dans ces cas extrêmes, la procédure (si on a choisi la bonne !) permet de faire face de la meilleure manière qui soit à la situation. Et le fait de vous mettre en action, de vous concentrer sur son application, va diminuer votre stress. Boum, la foudre : alarmes, flags… pic de stress ; analyse et application de la procédure : diminution du stress. Le comme au simulateur est intéressant. Nous connaissons son intérêt. Mais vous n’avez pas besoin de simulateur pour simuler mentalement ce que vous aurez à faire en cas d’évacuation de votre planeur, en cas d’arrêt moteur … Au sol, tranquillement installé dans votre machine, vous vous imaginez en vol en train d’appliquer ce genre de procédure. C’est déjà énorme, vous gagnerez peut-être de précieuses secondes. Vous pouvez également visualiser mentalement les contextes probables susceptibles de vous entraîner dans ces situations d’urgence.

Bon voilà 7000 ft, il va falloir y aller. Je me calle bien sur le siège et resserre les sangles ; Alain a perdu 12000 ft très rapidement, il s’apprête à s’éjecter. Un pilote de chasse est entrainé et très sensibilisé à tout ce qui touche à la sécurité. Le fait de s’installer tous les jours sur un siège éjectable (la bouée du naufragé), n’est pas anodin et nécessite des précautions, une technique d’installation … Le pilote en s’installant sait que l’éjection fait partie de son métier. Et vous ? Vous avez un parachute de secours sur votre ULM, ou un parachute sur le dos, ou un extincteur moteur ? Ce n’est pas une option offerte par le constructeur, ou un coussin dans le dos, ou une obligation de certification : c’est fait pour vous sauver la vie !

J’analyse rapidement la situation, je suis ailes horizontales donc l’horizon secours est cohérent. Alain pour s’en sortir ne peut compter que sur son horizon artificiel principal et son horizon de secours. Or, ils étaient tous les deux flagés (flag : petit drapeau rouge qui apparaît sur un instrument pour signaler qu’il ne fonctionne pas). Il a la chance de pouvoir corréler  les données de son horizon flagé avec ce qu’il aperçoit furtivement (il est toujours dans les nuages). Beaucoup plus généralement, votre GPS vous emmène vers votre destination ? Mais votre cap est il cohérent ? A chaque fois que vous le pouvez, confirmer vos informations quand elles sont importantes.

Je choisis de me présenter en longue finale, car je n’ai aucune idée des dégâts sur l’avion et le contrôle aérien avec mon transpondeur va me voir arriver de loin. La situation n’est pas glorieuse, mais elle est sous contrôle, donc pas de précipitation. Vous êtes confrontés à un problème important ? Si votre machine vole et peut continuer à voler, éviter la précipitation. Vous maîtrisez la situation (vous volez), alors prenez le temps de réfléchir. Et dans ce genre de retour vers le terrain avec une machine dégradée, si vous devez assurer une chose c’est bien de vous poser du premier coup avec toutes les précautions qui s’imposent : longue finale… Pas de précipitation.

L’avion lui sera envoyé à la ferraille car trop vieux pour être remis en état. Evitez les orages !

Foudroiement d’un A 380

Alain a commencé par le vol a voile qu’il a continué quelques années dans l’armée de l’air où il a volé pendant 23 ans comme pilote de chasse. Instructeur sur Fouga Magister, puis pilote de reconnaissance sur Mirage III R, il a passé trois ans en échange sur Hawk dans la Royal Air Force. Il revient en France comme Instructeur sur Mirage III, F1 CT et Alpha Jet. Il passe ensuite son brevet de pilote de ligne sur Falcon 20. Et il vole maintenant dans une compagnie régionale.

Bons vols, et merci Alain.

Article précédemment publié en novembre 2011. Alain vole aujourd’hui chez HOP.

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One Comment

  1. Pierre Leduc

    Récit intéressant. Petite note technique : Je suis persuadé que l’horizon prinicpal n’était que le répéteur de la plate-forme gyroscopique. Il est sujet à une panne instantanée dans la mesure où le lien avec la plate-forme gyroscopique est inactivé, notamment par une perte d’alimentation. Par contre, l’horizon de secours est bien un gyroscope autonome. Même en cas d’interruption de l’alimentation, il va continuer à être fiable une bonne minute après que l’alimentation ait été coupée. Même si il n’avait pas été possible de se référer au sol, je pense qu’il était possible de le considérer comme une source fiable, au moins pour cette courte période et possiblement pendant encore une minute supplémentaire si il n’était pas trop sollicité. Évidemment, dans un cas comme celui-ci, il n’est pas du tout évident qu’un gyroscope de secours tout électronique aurait offert le même niveau de sécurité que ce gyroscope purement électro-mécanique­. Il serait intéressant de confirmer que la foudre, qu’elle ait coupée l’alimentation ou même, fait griller les bobinages du gyroscope de secours, n’en ait pas endomagé les roulement à billes…
    Il serait également intéressant de savoir la nature des pannes électriques effectivement encourues sur l’appareil :. Disjoncteurs déclenchés ou plus.

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