En général, tout ce qui vole attire la curiosité des pilotes. Parmi la multitude des engins volants, il en existe un qui attire particulièrement notre attention, c’est SOLAR IMPULSE, projet d’avion solaire piloté à vocation circumterrestre. Derrière une aventure technologique, c’est avant tout une aventure humaine avec des hommes qui, comme les pilotes, doivent faire face à des situations nouvelles, à des challenges.
Quand James REASON, un des plus grands spécialistes en gestion des risques, évoque la Performance, c’est-à-dire la recherche de l’excellence, il utilise les trois mots clés suivants :
— Conviction ;
— Connaissance ;
— Compétence.
Photo du bandeau : © Solar Impulse/ Pool/ AFP / Fabrice Coffrini
La conviction
Écoutez Bertrand Picard et André BORSHBERG. Il n’y a pas de doute sur leur Conviction. La Conviction est une énergie basée sur la confiance que l’on a en soi pour accomplir une tâche. Sans conviction et sans confiance, le SOLAR IMPULSE n’existerait pas. Sans conviction, un pilote confronté à une situation exigeante à peu de chance de pouvoir y faire face. Quant au « réglage » de la confiance chez un pilote, il est primordial. Si la surconfiance, c’est à dire le sentiment d’invulnérabilité, peut vous entrainer dans des zones à risques, le manque de confiance va générer du stress, avec tous ses effets négatifs et donc diminuer la performance.
La connaissance
La seule conviction ne suffit pas à faire voler les machines, et si c’est parfois le cas, le vol ne dure généralement pas longtemps, beaucoup de pionniers en ont d’ailleurs fait les frais ! Si la conviction s’appuie sur la confiance, la confiance, elle, doit s’appuyer sur des certitudes, en l’occurrence des Connaissances. La collecte des connaissances nécessaires à la réalisation de SOLAR IMPULSE était sans doute le premier vrai défi de ce projet. Qu’est-ce qui fait que les hommes peuvent voler ? Les connaissances. Du pilote de ballon au pilote de la navette spatiale, le problème est le même : sans connaissances, le pilote de ballon ne pourra même pas allumer son brûleur et celui de la navette éprouvera sans doute quelques difficultés à gérer les quelques 2000 boutons, instruments et coupe-circuits qui l’entourent.
La compétence
Quand les choses sont rôdées, la simple application des connaissances peut suffire à chacun pour effectuer ses tâches. Mais face à la nouveauté, c’est la Compétence, c’est-à-dire la façon d’utiliser ses connaissances en les combinant de manière novatrice, qui assurera le succès. SOLAR IMPULSE, c’est un creuset de combinaisons novatrices, synonymes de compétences, qui viennent s’agréger entre elles au fil du temps. Chez les pilotes, cette capacité à s’adapter à la nouveauté est régulièrement sollicitée, particulièrement dans les activités peu normées et aussi chez les pilotes débutants. Parfois, le pilote doit faire face à des situations extrêmes qui nécessitent la mise en œuvre de toutes ses compétences, quelquefois de manière singulière, pour ramener sa machine. Les exemples sont nombreux, comme celui de Neil Williams qui, après la perte d’un axe qui assurait la jonction entre son aile et le fuselage, a ramené son avion en vol dos afin que son aile, en vol sur le ventre, ne se replie pas sous l’effet de sa portance.
La force, l’efficacité, et finalement la performance finale du projet SOLAR IMPULSE sont le résultat d’une compétence collective où chaque individu possède des savoirs, des savoir-faire bien particuliers, qu’il est capable d’intégrer dans un ensemble cohérent. Sauf dans de rares activités, la plupart des pilotes bénéficient de cette compétence collective : du météorologue, de l’instructeur, du pilote expérimenté qui traîne au club ce jour-là.
Pour aller encore plus loin
Pourquoi Solar Impulse, ou en l’occurrence Alexandra du Team Solar Impulse, répond-elle à une sollicitation de MentalPilote, en nous rappelant, en nous envoyant des documents ? C’est un état d’esprit, ils donnent sans recevoir, sans attendre un retour sur investissement, sans calculer. Ça fait partie de leur culture (les biographies de Bertrand et d’André sont parlantes). Les lecteurs de ce blog ou ceux qui s’intéressent à la sécurité aéronautique connaissent l’impact important que peut avoir la culture sur la performance du pilote. Ce sont des croyances, des valeurs, des convictions (!) qui agissent sur nos comportements. Pour un pilote, elles sont basées principalement sur la connaissance de nos forces et de nos faiblesses vis-à-vis de la sécurité. L’influence de la culture est primordiale, vous pouvez posséder tous les moyens du monde, si la vision des hommes n’est pas la bonne, les résultats ne seront pas bons, la performance ne sera pas au rendez-vous.
Des hommes
Performance technologique, Performance humaine, une fois de plus c’est une étroite symbiose entre ces deux ressources qui permettent de résoudre, d’avancer, de faire face (à la croisée de ces deux domaines on trouve des « savanturiers », comme le sont les PICARD depuis trois génération ; le grand père ayant servi de modèle au professeur Tournesol).
Quand Bertrand PICARD évoque son tour du monde en ballon, il nous dit : « quand vous passez de 3,7 tonnes de carburant à 40 kg, ce n’est pas un concept, c’est une sensation dans les tripes ». Bertrand s’est fait lâcher début juillet sur le HB-SIA, et même sans aucun carburant à bord, les sensations devaient être bien là ! Ces sensations, tous les pilotes peuvent les connaître : pour certains, ce sera avec 5 tonnes de carburant, et pour d’autres avec 5 litres. Dans le cas d’un lâcher, que ce soit sur le SOLAR IMPULSE ou sur votre DR400, ou lors de votre premier solo, les données sont les mêmes : un pilote et sa machine, la taille n’a plus rien à voir, il s’agit d’une problématique, faire évoluer et ramener en état un engin volant. Le lâcher de Bertrand a fait l’objet, comme vous pouvez l’imaginer, d’une préparation longue et minutieuse. Il n’y a aucune raison pour que votre prochain lâcher ne se fasse pas avec les mêmes précautions, les enjeux sont les mêmes.
André BORSHBERG, c’est celui qu’on voit avec son casque à la télé (sourire). Voici ce qu’il nous raconte :
Je continue encore à découvrir l’avion. J’ai déjà réalisé quinze vols et j’ai 80 heures de vol derrière moi, donc je commence à bien le connaître. Mais l’apprentissage se poursuit ; c’est un avion aux caractéristiques très spéciales. Il a une «double personnalité»: en altitude, quand l’air est calme, «il est très facile à voler», mais délicat à manœuvrer au décollage et surtout à l’atterrissage.
Près du sol, les turbulences rendent cet appareil de grande envergure et très léger difficile à contrôler. Je suis donc constamment ballotté par les moindres perturbations. D’ailleurs, l’équipe au sol m’a souvent entendu soupirer au travers de la communication satellite. La clé, c’est de se laisser aller avec le mouvement, et de se laisser porter plutôt que de lutter contre les éléments. Mais il y a un équilibre subtil à trouver, ce qui demande beaucoup de travail et de concentration.
En l’air, c’est calme, quasi silencieux. On entend un tout petit peu le bruit des quatre moteurs. Mais surtout, j’entends facilement les autres avions s’ils sont assez proches ! Et les trains en-dessous de moi, quand je ne vole pas trop haut. C’est assez étrange. Et puis je vole dans un avion que nous avons rêvé, imaginé, conçu, toute l’équipe, c’est un très grand bonheur et une grande responsabilité aussi. Les ingénieurs vous regardent partir et ils sont anxieux, ils espèrent bien que vous ramènerez leur ” bébé ” tout entier. A l’aube, on actionne les interrupteurs des 4 batteries, puis les 4 générateurs solaires, qui reçoivent les rayons du soleil et prennent vie. On fait le plein comme ça, en volant au soleil ! Dans les avions classiques que j’ai aussi pilotés, qui consomment beaucoup, on doit toujours garder l’œil sur la jauge de carburant. Là, c’est différent et ludique, comme dans les voitures hybrides, où l’important n’est pas de rouler vite mais intelligemment. Pour cet avion, c’est pareil : on stocke l’énergie en volant le jour, et la nuit, on vole à l’économie en collaborant avec le sol pour éviter les vents descendants. A chaque fois le suspense est complet, c’est vraiment passionnant.
© Solar Impulse / Jean Revillard/ rezo.ch
Il y a quelque temps SOLAR IMPULSE était l’invité spécial du Salon du Bourget. André est parti de Bruxelles à destination de Paris, et comme tous les pilotes confrontés à des aléas, il a fait demi-tour. Là où France Soir titrait : SOLAR IMPULSE : Echec et demi-tour, n’importe quel pilote, qui perçoit tout de suite l’étroitesse du domaine de vol de cette machine, sait que la ramener en bon état est à chaque fois un succès. Le demi-tour ce jour-là, cela s’appellait voler intelligemment.
Ces deux exemples, le lâcher de Bertrand et le demi-tour d’André, peuvent être regroupés sous le même terme : le professionnalisme. Le professionnalisme, c’est un comportement basé sur des qualités personnelles, comme votre système de valeurs, vos motivations, votre exigence vis-à-vis de vous même, votre résistance à la pression… Le professionnalisme peut et doit être dissocié d’une qualification ou d’un titre quelconque. Beaucoup de pilotes non professionnels font preuve de professionnalisme et des pilotes professionnels parfois n’en ont pas trop… !
IMPULSE PILOTE
Conviction, Connaissance et Compétence. La compétence se nourrit de nos expériences mais également de celles des autres. Il existe parfois des hommes, des évènements, des projets qui fédèrent ce vers quoi nous voudrions tendre. En tant que pilote, si vous vous inspirez de ce qui a fait et de ce qui fait SOLAR IMPULSE, vous serez certainement dans la bonne voie. Et si vous y réfléchissez de temps en temps, le jour où vous serez dans votre SOLAR IMPULSE à vous, qu’il soit en bois, en toile, en métal, qu’il pèse 50 kilos ou 50 tonnes … face à une situation délicate ou non, cela vous sera certainement bénéfique.
Nous remercions chaleureusement l’équipe Solar Impulse pour leur disponibilité ainsi que pour les documents gracieusement mis à notre disposition. Si vous le souhaitez, vous pouvez supporter le programme SOLAR IMPULSE
Bons vols