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Un grand Monsieur de l’Aéronautique nous parle

Méta Photo Att Planeur

Voici un article bien loin de la langue de bois, souvent de mise quand il s’agit d’évoquer la sécurité. Bien que cela soit une réflexion sur la pratique du planeur, elle concerne toutes les activités, qu’elles soient aéronautiques ou non. L’auteur, Bruno Gantenbrink, est un vieux pratiquant, ancien champion du monde (classe libre 1985). Il a été gravement accidenté en pratiquant sa passion. Son propos est un véritable souffle, une inspiration sur ce qu’il faut faire : parler toujours de sécurité, éviter les situations dangereuses, faire pencher la balance du côté de la sécurité de façon active, sans attendre que le destin la fasse pencher du mauvais côté.

Pour ceux qui trouveraient l’article un peu long nous vous encourageons de lire au moins les paragraphes 9, 10 et 11.

Cet article a paru dans “Aerokurier” de février 1993. Il est toujours d’actualité. Sa reproduction est non seulement autorisée, mais encouragée par son auteur : Bruno Gantenbrink. Nous remercions également dg-flugzeugbau pour leur soutien et Jean-Marc Franssen pour la traduction.

***

1 Mon discours a été annoncé comme un discours de fête. Qu’attend-on d’une telle présentation ? Quelque chose de plaisant, d’éducatif, en tout cas quelque chose de positif. Au moins, rien qui dérange. Dans ce sens, mon discours n’est pas un discours de fête. Que peut-on bien dire de réjouissant ou de gai sur le thème de la sécurité ? J’ai conscience que, par cette présentation, je vais vous effrayer, vous provoquer, au moins vous porter à réfléchir. Il faut s’attendre à toutes ces réactions. Peu m’importe si ce que je dis provoque des titres positifs ou négatifs dans la presse. Et si quelqu’un vient me trouver par la suite pour me dire “Fallait-il vraiment que tu dénigres les tiens, alors que la presse est dans la salle, alors que des étrangers entendent ?”, ce reproche ne me touchera pas. 

Si on voulait rassembler dans un grand ouvrage tout ce qui est important et digne d’être connu sur le vol à voile, il faudrait, à mon avis, diviser celui-ci en quatre grands chapitres.

2 Un premier chapitre pourrait traiter de la liberté du vol à voile. On y décrirait naturellement la beauté et la majesté du vol à voile. Mais nous devrions aussi traiter les problèmes et les facteurs qui mettent en péril notre liberté – donc notre rêve de voler – et les problèmes que cela nous cause, comme l’augmentation du nombre de règles insensées qui nous rendent les licences de pilote, les certificats de navigabilité et les autorisations de tenir un aérodrome toujours plus difficiles, et qui nous préoccupent suffisamment. Dans ce chapitre, nous devrions aussi définir nos relations avec notre environnement.

3 Le titre du chapitre suivant pourrait être : la possibilité de voler. Il faudrait y résoudre toutes les questions d’organisation qui nous ont vraiment agités ces derniers temps. Au-delà des problèmes de structure, comment nous organisons-nous à tous les niveaux ? Comment l’entraînement est-il organisé ? A quoi ressemblent nos règles pour les examens et les licences ? Dans ce chapitre, nous devrions aussi parler du coût et du financement parce que, en fin de compte, il faut que nous puissions aussi nous permettre la pratique de notre sport.

4 Un troisième chapitre traiterait des aptitudes nécessaires pour piloter un planeur. On y rassemblerait toutes les connaissances dont nous avons besoin pour pratiquer notre sport : la théorie, l’aérodynamique, la météorologie, la théorie du vol plané, la technique du vol et beaucoup d’autres choses.

Ces trois seuls premiers chapitres retiennent plus de 95% de notre attention. En tout cas, c’est ce que je retire aussi bien de mon expérience et aussi lorsque je repense aux discours qui étaient au programme des journées du vol à voile ces dernières années.

5 Cela ne laisse pas beaucoup de temps et d’attention pour le quatrième chapitre. Ce chapitre devrait traiter de la question de savoir comment nous survivons à notre sport. Il devrait s’intituler : la sécurité du vol. Mon sentiment est que ces quatre chapitres devraient être de taille à peu près semblable. Cette égalité de traitement n’est cependant pas automatique. Rien que l’indolence avec laquelle nous traitons le chapitre de la sécurité au quotidien me conduit à penser que nous avons un problème avec la sécurité.

Certains pourraient penser : “Il exagère. Il dresse un tableau noir. Et ça se comprend parce qu’il veut frapper un grand coup. Alors il dépasse les vraies proportions du problème pour le faire paraître important. Nous savons tous qu’il n’existe rien au monde qui ne comporte un certain danger. Le vol à voile aussi en comporte. Mais ne dit-on pas : le plus dangereux en vol à voile, c’est le trajet en voiture jusqu’au terrain” ?

Nous l’avons tous déjà dit, ou tout du moins entendu dire. Je me souviens encore de la première fois où je l’ai entendu. J’étais un gosse de 14 ans qui avait été amené au terrain par son père. Naturellement, celui-ci s’informa des dangers possibles pour son fils et il reçut en ma présence cette même réponse de la part de l’instructeur.

Si cette réponse était correcte, et que ce soit donc sans danger, alors nous n’aurions vraiment aucun problème de sécurité et cette question serait quantité négligeable. Je pourrais arrêter ici cette présentation et nous pourrions nous consacrer à d’autres choses. Il vaut cependant la peine d’y regarder une fois de plus près pour voir si cette phrase est réellement si correcte.

La phrase :

”Le plus dangereux dans le vol à voile est le trajet vers le terrain”
,  est  la plus imbécile et la plus ignorante qu’on ait jamais entendue dans notre sport.

6. Je voudrais examiner cela – la question de la vérité de cette phrase – d’une manière subtile, on pourrait même dire macabre. Mais, en cet instant, la fin justifie les moyens. Je renoncerai donc à utiliser une de ces statistiques relatives que le Luftfahrtbundesamt produit. Il y est question du nombre d’accidents par millier de décollages ou de tués par millier d’heures de vol. De telles statistiques ne nous disent pas grand-chose. Elles ne disent pas ce qui est trop et ce qui est trop peu. Combien de tués par 100.000 décollages sont un trop grand nombre, et combien sont un petit nombre ? Quel nombre est acceptable ? De telles comparaisons chiffrées ne touchent pas vraiment notre âme. On ne peut atteindre personne avec cela. Je voudrais mesurer cette phrase, que la partie la plus dangereuse du vol soit le trajet vers le terrain, à l’aune de mes propres statistiques.

7 Pour ce faire, j’ai dressé trois listes. J’ai écrit dans la première liste le nom des camarades que j’ai perdus en vol. Dans la deuxième liste, j’ai marqué le nom de ceux des camarades que j’ai perdus sur le chemin du terrain, que ce soit en voiture ou en vélo. Et, pour compléter le tableau, j’ai dressé une troisième liste dans laquelle j’ai repris le nom des pilotes que j’ai perdus dans n’importe quel type d’accident de la route.

Et bien, pour faire court, la liste numéro un contient quelque 30 noms. Je ne vais citer ici que quelques-uns des plus éminents, car je crois qu’ils sont universellement connus. Je conserverai pour moi de nombreux noms que je crois inconnus du plus grand nombre. D’Allemagne, il y eut ces dernières années : Helmut Reichmann, Ernst Gernot Peter, Hans Glöckl, Georg Eckle, Horst et puis de manière encore plus tragique quelques années plus tard son épouse, Marlis Kall. D’Autriche : Rudi Göbel, Alf Schubert. De Belgique : le Professeur Sander. De France : Sidot et Daniel Quemere, chefs pilotes à St. Auban. Des Pays-Bas : Kees Musters. D’Afrique du Sud : Heini Heiriss. Comme je l’ai dit, ce sont juste quelques-uns parmi les plus connus.

Maintenant, la liste deux. Sur cette liste, il n’y a absolument personne. Je n’ai perdu absolument aucun ami pendant le trajet vers le terrain. Et j’ai été aussi quelque peu surpris de ce que la liste trois, celle des pilotes que j’ai perdus lors d’accidents de la route, est absolument vide pour moi.

Au cours des 20 dernières années, nous avons perdu trois champions du monde, parmi lesquels Harro Wödl, que je reprendrai même si je ne l’ai pas connu personnellement, alors que nous n’en avons guère eu que 30. Au cours des dix dernières années, nous avons perdu trois champions d’Allemagne, et nous en avions moins de 30. Cela donne des frissons dans le dos. On aurait donc dix chances sur cent de les rejoindre.

8 Mes statistiques personnelles me conduisent à penser que le vol à voile est au moins 30 fois plus dangereux que la voiture. Et comme chaque pilote possède son permis de conduire, il est probablement 1000 fois plus dangereux que le trajet vers le terrain. Je dois bien admettre qu’il pourrait y avoir des différences et que, en fait, il y en a ; que l’apprentissage est relativement peu dangereux ; que le vol sur la campagne est probablement plus dangereux que la formation ; et que la compétition est peut-être encore plus dangereuse que le vol sur la campagne. Mais, même en tenant compte de cela, cela ne fait, au mieux, que relativiser les choses, surtout que la formation n’est pour chacun qu’un passage et que toujours plus de pilotes tendent vers le vol sur la campagne et la compétition.

D’après tout ce que je sais du vol à voile, ce que j’en comprends, je crois que la phrase “le plus dangereux du vol à voile est le trajet vers le terrain” est la plus imbécile et la plus ignorante que j’aie entendue à propos de notre sport.

Dans le langage expressif de mes enfants, je dirais :
“Le vol à voile, c’est vachement dangereux!”

On pourrait dire que ceux qui croient et utilisent cette phrase sans esprit critique sont peut-être simplement des imbéciles. Mais ceux qui savent et qui l’utilisent parce qu’ils veulent tranquilliser le public ou parce que l’emploi de cette phrase leur assure un écho positif dans la presse, ceux-là se conduisent de manière inqualifiable. Le contraire, en fait, est correct. C’est plus dangereux que n’importe quoi d’autre que je fasse ou connaisse dans ma vie. Pourquoi est-ce que je n’arrête pas ? Bonne question. Je n’arrête pas parce que cela me procure plus de plaisir et de joie que n’importe quoi d’autre que je pourrais envisager comme alternative.

9 Il y a cependant une deuxième raison déterminante, la plus décisive, et c’est la raison de cet exposé : je crois que le vol à voile n’est pas intrinsèquement si dangereux. Il pourrait être beaucoup moins dangereux si nous étions plus conscients de ses dangers et si nous nous comportions en conséquence. Ce que nous ne faisons malheureusement pas. Pour ma part, je suis très conscient des dangers que comporte le vol à voile et je prends soin d’agir en conséquence. Grâce à quoi j’ai l’espoir de pouvoir, individuellement, battre les statistiques. Si je n’avais pas cet espoir, si le vol à voile était aussi dangereux pour moi que les statistiques semblent le dire, j’arrêterais immédiatement.

10 Presque tous les amis que j’ai perdus en vol ont succombé à une erreur humaine ou à une erreur de pilotage. Il y eut des choses en soi ridiculement insignifiantes, des négligences les plus simples aux conséquences fatales. Ils sont morts parce que, au moment décisif, quelque chose d’autre était plus important à leurs yeux que la sécurité. Si le vol à voile doit devenir moins dangereux qu’il ne l’est, cela ne suffira pas de prendre l’une ou l’autre mesure. L’attitude de base doit changer. Et l’attitude de base ne peut changer que si nous évaluons de manière réaliste le danger dans lequel nous nous plongeons presque quotidiennement. Et c’est pourquoi je m’en suis pris d’une manière si drastique à l’utilisation irréfléchie et à la diffusion répétitive de la phrase “le plus dangereux du vol à voile est le trajet vers le terrain”.

11 On ne peut vraiment pas attendre de quelqu’un qui débute le vol à voile avec cette philosophie qu’il ait conscience du danger dans lequel il s’engage. Car s’il croit à cette phrase, il n’a plus besoin de réfléchir. Et l’insouciance tue la conscience de la sécurité. L’attitude générale que l’on rencontre le plus fréquemment est celle de l’apaisement, du refoulement. Inconsciemment, on perçoit bien qu’il y a quelque chose, que c’est dangereux, mais on ne veut pas en parler. Pourquoi l’estimation réaliste des risques est-elle si importante ? Parce que notre stratégie dépend de la manière dont nous appréhendons le danger.

Il n’y a rien qui ne comporte pas de risque, nous le savons. Même si nous restions au lit le matin au lieu de nous lever, nous pourrions imaginer un scénario où un malheur nous arriverait. Mais nous n’allons pas nous faire du mauvais sang pour cette éventualité. Il y a deux sortes très différentes de danger. Les uns sont les dangers typiquement quotidiens et les autres sont formés des choses vraiment dangereuses. Les gens réagissent à ces deux groupes de danger de manière très différente.

12 D’abord le groupe des dangers quotidiens, à la maison, dans le sport, le jeu. Par exemple : nous savons tous qu’en Allemagne Fédérale un certain nombre de personnes sont tuées par la chute d’un arbre. Et pourtant, nous nous promenons dans la forêt sans crainte d’être frappé par un arbre.

Pour les dangers quotidiens, il n’est pas nécessaire de prendre des dispositions spéciales. On peut faire ici confiance à la chance pour que rien n’arrive car ces dangers sont vraiment très improbables. C’est incroyable comme il est rare d’être atteint par la chute d’un arbre. De l’autre coté, il y a les choses vraiment dangereuses. Pour les choses vraiment dangereuses, des dispositions spéciales sont requises. La stratégie ne peut pas consister à croire que cela ne nous arrivera pas, mais seulement à quelqu’un d’autre. La stratégie doit consister à éviter ces dangers dès le début ou, puisque cela n’est pas possible à 100 %, de les maintenir à un niveau aussi faible que possible, et donc acceptable.

C’est nécessaire, parce que ces dangers non seulement ne sont pas improbables, mais qu’ils sont plutôt relativement probables. Et le danger d’avoir un accident en vol à voile est inacceptable. C’est justement pourquoi j’ai mentionné mes statistiques macabres. Le vol à voile n’est pas un de ces typiques dangers quotidiens négligeables. Il est nécessaire de prendre des mesures spéciales pour survivre à notre sport.

13 J’ai souvent eu l’impression que le vol est voile est rangé dans la même catégorie que les dangers quotidiens. Et l’affirmation idiote que le vol à voile est moins dangereux que le trajet vers le terrain le montre clairement. Notre conscience du danger est sous-développée. Nous ne craignons pas que quelque chose puisse vraiment nous arriver ; à d’autres peut-être, mais pas à nous.

14 Pour la sécurité, nous avons nos experts, nos inspecteurs de la sécurité aérienne. Ils s’en occupent. La question est traitée par eux. Grâce à eux, nous pouvons nous consacrer à d’autres aspects du vol à voile. Ce que les inspecteurs de la sécurité nous procurent peut, au mieux, être une connaissance ou des conseils supplémentaires. Il faut que nous négociions cela de meilleure manière. Nous devons nous soucier beaucoup plus nous-mêmes de ce thème.

15 Je voudrais simplement illustrer par deux exemples qu’il ne s’agit pas ici de bavardages, que notre conscience de la sécurité est vraiment sous-développéee. Exemple un : je me rappelle les championnats nationaux allemands à Bückeburg en 1990. Nous avions différentes méthodes de départ. La classe libre utilisait une photo de départ et une hauteur illimitée à la porte de départ ; les autres avaient une porte de départ dont la hauteur était limitée à 1000 mètres. Un jour chaud, nous étions montés jusqu’à l’inversion sur les monts Wiehen tout proches, au-dessus de 2000 mètres. C’était là le point de départ de la classe libre qui, c’est compréhensible, voulait démarrer aussi haut que possible. C’était déjà dangereux assez. Trente-cinq planeurs libres spiralant dans une ascendance. Ceux qui savent ce qui se passe dans la partie supérieure d’un thermique pur, là où le thermique atteint sa limite, ceux-là me comprendront.

Car il peut se produire que, là où on avait juste encore un peu de positif, on rencontre bientôt du négatif au tour suivant. L’air est extrêmement turbulent. Cette dernière portion est donc très inconfortable parce que les appareils changent fortement d’altitude les uns par rapport aux autres.

Que 35 machines de la classe libre s’attardent dans cette dernière partie avait un sens pour leur vol. Ils y trouvaient une utilité. Mais ce que les quatre-vingts standards et courses faisaient là-haut, cela restera toujours un mystère pour moi. Car la seule chose qu’ils faisaient là-haut était d’attendre que leur porte de départ s’ouvre, 1000 mètres plus bas. Et lorsqu’elle s’ouvrit, ils piquèrent 1000 mètres plus bas, aérofreins sortis, à 200 km/h.

Le fait que les pilotes aient voulu à tout prix gratter les derniers 50 mètres ne peut que signifier que quelque chose ne tournait pas rond dans leur raisonnement. Et ils y étaient presque tous. Cela ne tournait pas rond, car ils n’en tiraient vraiment aucun avantage et se mettaient en danger de manière totalement inutile. Car spiraler dans de tels paquets est quelque chose à éviter autant que possible. Avant le début d’une manche, la règle est de ne pas s’occasionner de désavantage. Il faut “garder sa poudre sèche” jusqu’à ce qu’il soit vraiment temps. Les standards et courses qui s’acharnaient à gratter les derniers mètres n’y avaient non seulement aucune utilité mais ils se donnaient un désavantage sévère. Il leur fallait ensuite un piqué relativement long pour descendre à la ligne de départ. Il aurait été plus malin de se positionner près de la ligne de départ, pour pouvoir prendre un départ immédiat et garder ses adversaires à l’œil. Ce n’était certainement pas à 2300 mètres. Les pilotes de 15 mètres n’avaient pas seulement fait quelque chose de préjudiciable à la sécurité, ils s’étaient également occasionné un désavantage.

J’appelle cela un manque de conscience de la sécurité; ils n’avaient simplement pas réfléchi. Comme on dit, il n’y a rien dans une tête de linotte. A vrai dire, cela m’étonne toujours de constater qu’il n’y a rien, ou si peu, là-haut non plus.

C’est vraiment surprenant. Au plus gros l’oiseau, au moins il y a dans sa tête. Peut-être en est-il ainsi parce qu’ils ont tellement peur et qu’ils font si bien attention. Mais on pourrait aussi dire que ce n’est peut-être pas favorable pour la sécurité. Il aurait été plus malin de spiraler au vent entre 1400 et 1500 mètres, de s’écarter un peu les uns des autres, en tout cas, de ne pas monter jusqu’au plus haut.

16 Un deuxième exemple : le fait se reproduit sans cesse, et il n’y a pas moyen que cela cesse, qu’en compétition les épreuves soient choisies de telle façon qu’on en arrive à des trafics se croisant ou que les classes soient envoyées pratiquement sur le même trajet.

Les deux ou trois premiers jours, on y fait encore assez bien attention, puis on laisse le problème se réinstaller. Il y a là quelque chose qui ne va pas non plus. Il serait très facile d’entreprendre quelque chose contre cette situation : comme les conditions sont les mêmes pour toutes les classes, il n’y a rien qui empêche de séparer les classes de telle manière qu’elles ne s’aperçoivent pratiquement pas de toute la journée. Il est totalement incompréhensible qu’on en revienne toujours à des concentrations et cela témoigne d’une méconnaissance du danger que cela comporte.

17 Troisième exemple, et celui-là est positif : alors que je participais l’été dernier aux championnats des Etats-Unis dans la classe course, j’ai vu quelque chose qui m’a fortement impressionné. Chaque matin, au début du briefing, il y avait un speech sur la sécurité. Quelqu’un avait été choisi le jour précédent et désigné pour donner le matin suivant une communication de dix minutes sur la sécurité. Parfois, c’était des généralités ; tout le monde n’est pas né orateur.

Mais, au reste, il s’agissait de types qui avaient bourlingué et qui avaient presque tous quelque chose d’intéressant à dire. J’ai été souvent impressionné par la qualité des réflexions qui furent exposées. Le public écoutait attentivement. Je n’avais pas l’impression qu’ils étaient déjà préoccupés par la préparation de leur vol. Ils étaient sérieusement intéressés par le thème de la sécurité.

18 Pourquoi rien de tel n’existe-t-il chez nous ?

Chez nous, aux championnats d’Allemagne, on discute de points du règlement ou de questions qu’on a été trop paresseux pour lire dans les documents. Je ne peux me souvenir d’une occasion où nous ayons jamais discuté de sécurité à cette occasion.

19 Je ne suis certainement pas un chantre de la sécurité. Je n’ai pas non plus inventé le sujet. En outre, je connais mes points faibles, mais je sais aussi de quoi je parle. J’ai survécu, tout juste et avec beaucoup de chance, et cela fait maintenant vingt ans. Normalement, 80 % des gens qui ont le type d’accident que j’ai eu en meurent. Et plus de la moitié des 20 % restant sont blessés si grièvement que leur vie n’est plus très marrante.

Seulement, on n’a une telle chance qu’une fois dans sa vie. Et depuis j’essaye de faire attention. Et je crois être meilleur que la moyenne, certainement pas parfait, mais certainement meilleur. Car si je n’en étais pas persuadé, alors je devrais arrêter immédiatement, eu égard à ma famille, à mon boulot et à moi-même.

Mes adversaires savent qu’il y a certaines choses que je ne ferai pas. Je me rappelle une situation pendant les championnats du monde de 1985 en Italie où Klaus Holighaus et moi-même étions en difficulté. Klaus Holighaus – il était un peu plus haut que moi – volait vers un col sous une petite pluie et un vent de rafales latéral. Cela signifie que nous ne savions pas vraiment d’où venait le vent – nous pouvions aussi bien tomber dans un rabattant. Notre hauteur au-dessus du col était de 60 à 70 mètres au plus et nous étions encore éloignés d’un kilomètre ou deux. Bien que le passage semblât possible – Klaus Holighaus était déjà pratiquement passé – je changeai de cap et revins vers le mauvais temps. En cet instant, je pris congé du groupe des pilotes qui pouvaient sérieusement prétendre au titre mondial. Mais je ne l’ai jamais regretté.

Il y avait 99 pour cent de chance que j’aie moi-même réussi à passer. Klaus était passé – un peu plus haut – et je serais certainement passé moi-même, à condition que rien d’imprévu ne se produise. Cependant, il aurait suffit d’un tout petit rien pour que ça tourne mal, simplement que j’aie mal compris Klaus, qu’il soit passé un peu plus à gauche ou à droite – cela peut faire une grosse différence dans un col – et je me serais planté là-haut dans ce col qui était tout sauf vachable.

Je suis tout à fait prêt à prendre des risques. Je suis même prêt à prendre plus de risques en compétition qu’en temps normal. Cela semble presque contradictoire, mais seulement à première vue. Si on n’avait le droit de prendre aucun risque en compétition, on pourrait aussi bien carrément arrêter le vol à voile. Car, de toute façon, il est plus dangereux de voler que de ne pas voler.

Si je suis donc prêt à prendre le risque du vol à voile, pourquoi pas aussi celui de la compétition ?

Ce qui est important est quelque chose de très différent. Précisément la question permanente : est-ce que ce que je fais vaut les risques inhérents ? Quel est le degré de risque ? Est-ce défendable ? Que peut-on faire pour le minimiser ? Avec la constatation simple et lapidaire que l’on tient quelque chose pour dangereux, on peut mettre en question le vol à voile tout entier, y compris le trajet vers le terrain. Car chaque activité comporte une part de risque, grande ou petite, y compris tous les autres sports.

20 Alors que faire ?

 Chacun doit développer sa propre stratégie de la sécurité. Il faut d’abord commencer par éliminer les risques qui sont totalement inutiles car ne rapportant rien. Spiraler en paquets sans raison impérieuse, c’est vraiment imbécile. Et nous faisons tous trop de choses bêtes. Ensuite, nous devrions être conscients des risques que nous prenons, réfléchir à la manière de les réduire autant que possible, nous fixer des limites et ne pas les franchir. Nous devrions toujours avoir un peu peur ou, en d’autres mots, être inquiets car seul celui qui est inquiet fait aussi attention aux petits détails qui, souvent, sont la cause des catastrophes.

21 En tout cas, avoir pour soi-même une stratégie du risque est, et de loin, une méthode plus efficace de survivre à notre sport que d’espérer simplement avoir plus de chance que l’ami qui est frappé.

Traduit par Jean-Marc Franssen

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