Nous sommes en hiver, la situation météo est anticyclonique : pas un souffle de vent, quelques degrés au-dessus de zéro et un grand beau temps. Au retour d’un vol en local, je décide d’effectuer une série de tours de piste. Il est environ 17 h, le soleil se couche, l’air est très calme et le vol particulièrement agréable. J’aligne mon DR400 en finale et quelques instants plus tard, au moment de l’arrondi, je m’aperçois que je ne vois plus grand-chose, bizarre ! Je touche dans une espèce de purée de pois et j’en ressort immédiatement quand les roues quittent le sol pour un nouveau circuit. Je regarde intrigué la piste juste en dessous de moi : rien, pas de fumée, pas de brouillard, ou peut-être quelques traces d’humidité par-ci par-là. Je me repose et je rencontre le même phénomène, mais plus marqué, j’interrompt mon vol. Je venais de découvrir pour “la première fois” le phénomène du brouillard mince ou « brouillard à lapin » ; une très fine couche de brouillard de seulement quelques mètres, collée au sol. Difficile à détecter en vol, puisque très mince, une fois rentré dedans la visibilité oblique se dégrade rapidement (schéma).
Les ascendances se font de plus en plus rares et je commence à perdre inexorablement de l’altitude. Je passe 700 m en descente, cap sur la lisière d’une forêt en espérant trouver une pompe. Les champs aux alentours ne sont pas très grands. Je suis à environ 500 m sol, et il va falloir sans doute que je me pose “aux vaches” pour la première fois. Mes mains commencent à devenir moites. Le champ là-bas est pas mal. Ah non, il y a des arbres en approche. Et l’autre plus loin ? Il est en dévers. Bon, il faut vraiment que j’en trouve un, je ne suis plus qu’à environ 300 m, la pression monte encore un peu plus. Celui-là sous l’aile à gauche : l’approche est dégagée, le vent, la longueur, pas de dévers. C’est de la pâture que je dois normalement éviter, un train d’atterrissage de planeur pouvant ne pas résister à des surfaces qui ne sont pas régulièrement labourées, mais je n’ai plus le choix ce sera celui-là. Je passe en vent arrière et j’ai l’impression d’être beaucoup plus bas que 200 m sol comme me l’indique mon altimètre, je ne vois plus le champ, zut. Je raccourcis mon circuit, le voilà, je suis trop haut ! Je sors tous les aérofreins et je touche au milieu du champ, ça secoue un peu mais finalement je m’arrête sans dommages. Et là, stupéfaction ! Je vois arriver un troupeau de vaches qui était caché sous les arbres en bordure du champ. Drôle de baptême pour ma première vache !
Mon instructeur m’avait bien prévenu que le terme « immédiat » utilisé par un contrôleur aérien signifiait sans attendre et qu’il avait un caractère impératif. Je suis au point d’arrêt pour mon deuxième vol solo, mon instructeur vient de quitter l’avion et je n’en mène pas large alors que le contrôleur me fait patienter un bon moment. Je commence à cogiter tout seul dans mon avion sur toutes les péripéties qui pourraient m’arriver quand soudain j’entends le contrôle : « FYZ, un avion à 2 nautiques en finale, êtes vous prêt pour un décollage immédiat ». Immédiat ! « YZ, affirm ». « YZ autorisé alignement décollage immédiat… ». La suite ? J’ai décollé « immédiatement »… mais sans l’alignement ! La longueur du taxiway restant devant moi, additionnée à la largeur de la piste (prise donc perpendiculairement), s’est avérée suffisamment longue pour décoller ce jour-là.
Les deux premiers récits n’ont rien d’extraordinaire, le décollage depuis le taxiway est plus surprenant, mais il existe bien d’autres histoires aussi surprenantes. Le point commun de ces retours d’expérience, c’est la « première fois » ; la plupart se terminent bien mais pas toutes. Vous aussi vous avez en tête des « premières fois » dont certaines vous font sourire et d’autres moins. C’est le lot commun de la plupart des pilotes.
Cette notion de première fois correspond à une confrontation entre vous, votre expérience, et une situation nouvelle. Serez-vous capable de la maîtriser ? Regardons d’un peu plus près quelles sont les caractéristiques de ces premières fois pour nous y préparer et faire en sorte qu’elles se terminent toujours bien.
De nombreuses premières fois et des lignes jaunes à ne pas franchir
Tous les pilotes qui débutent vont être confrontés à deux caractéristiques majeures de leur activité qui en se combinant vont générer un nombre incalculable de premières fois. La première caractéristique, c’est que vous volez seul très rapidement et la deuxième, c’est que vous volez dans un « milieu ouvert », c’est à dire fluctuant, sans beaucoup d’autres limites que les vôtres. Le règlement vous autorise à voler avec 1500 m de visibilité ou à utiliser votre machine avec un vent de 25 kt plein travers, mais en êtes-vous capable ? La marge entre une situation nouvelle (une première fois) et une situation indésirable, c’est-à-dire risquée, peut alors s’avérer alors très étroite.
La première fois doit entrainer la prudence
Nous devons éviter de commettre des erreurs qui peuvent entrainer des situations indésirables. Une étude effectuée dans le domaine nucléaire nous précise que le risque d’erreur est multiplié par dix-sept (!) quand l’individu est confronté à une tâche qui ne lui est pas familière. Ce facteur dix-sept n’est sans doute pas applicable à l’aéronautique qui possède ses propres spécificités quant à la survenue des erreurs, mais son importance doit malgré tout nous interpeller. Et donc face à une situation nouvelle, c’est la prudence s’impose.
Des premières fois programmées
Votre première navigation, votre première vache… Vous pouvez être surpris le jour où cet événement particulier survient à l’initiative de votre instructeur ou suivant les caprices de la météo, mais par contre vous saviez que vous alliez y être confronté un jour ou l’autre. Ce qui suppose que vous devez être techniquement apte à gérer cette première fois et que vous devez également vous y préparer mentalement ; le cas du 1er vol solo est un bon exemple.
En tant que pilote vous êtes confronté également à des premières fois concernant l’extension de votre domaine de compétence qui vous permet de repousser certaines limites. Quand par le passé vous vous limitiez à dix ou quinze nœuds de vent de travers, aujourd’hui vous êtes capable de voler aux limites de votre machine, avec vingt ou vingt-cinq nœuds. Vent, visibilité, environnements particuliers… votre expérience s’est forgée avec de nombreuses premières fois. Mais dans tous les cas vous avez veillé à ne pas brûler les étapes, à ce que la marche ne soit pas trop haute.
Des premières fois inattendues mais pas si improbables.
Une alarme bas niveau carburant s’allume lors de votre navigation. Vous vous retrouvez au dessus de la couche sans savoir par où vous pourriez redescendre. Un orage passe sur le terrain alors que vous effectuez un vol local avec votre planeur… Sans parler d’imprudence, ces situations indésirables sont pour la plupart évitables si vous cherchez à anticiper d’éventuelles menaces. Si vous devez effectuer votre croisière plus haut que vous ne l’auriez souhaité pour passer au dessus des cumulus le vent de face se renforcera, la masse d’air déjà humide au passage de cette zone côtière pourrait se saturer et se transformer en brouillard, les nuages grossissent à vue d’œil et le temps s’assombrit vers le terrain… Le carburant supplémentaire, le plan B au cas où… une vigilance particulière sur l’évolution de la météo… sont autant d’éléments de réponse à ces situations inattendues afin d’éviter qu’elles ne se terminent en situations indésirables.
Des premières fois inattendues et improbables.
La panne de l’indicateur de vitesse, la verrière qui s’ouvre en vol, les aérofreins qui restent bloqués ouverts, la fuite d’essence, la rupture d’un élément vital… Il existe des premières fois qu’on aimerait bien éviter mais qui s’imposent parfois à nous de manière brutale. Certaines d’entre elles, improbables pour vous mais pas pour le certificateur, sont « couvertes » par une procédure comme l’évacuation du planeur ou la gestion de la panne moteur après décollage, d’autres non. Pour ces dernières, votre principale priorité c’est de voler, faire voler votre machine, vous battre comme Xavier qui n’a plus d’ailerons. Une fois le contrôle de votre machine acquis, vous pouvez alors vous occuper du contrôle de votre trajectoire. Attention, dans ces situations indésirables, vous serez soumis à un stress sans doute important qui risque de dégrader vos capacités, à commencer par celles liées à votre pilotage. N’inversez pas les priorités, pilotez votre machine et seulement ensuite vous piloterez votre trajectoire pour rejoindre le terrain.
Éviter d’additionner des premières fois
Pour rester toujours dans votre domaine de maîtrise, si certaines premières fois sont inévitables, vous devez par contre éviter d’additionner celles que vous pouvez identifier comme par exemple : une grande navigation et un temps médiocre, la découverte d’un gros terrain à l’heure de pointe, votre premier passager dans des conditions de vol marginales, votre première vache avec un planeur pointu, la découverte d’une nouvelle machine lors d’une navigation, etc.
Votre challenge
Vous allez rencontrer beaucoup de premières fois, et pour certaines d’entre elles c’est vous qui allez décider de vous y confronter parce que vos capacités vous y autorisent, alors que d’autres risquent de s’imposer à vous sans crier gare et elles s’avèreront parfois menaçantes pour votre sécurité. Vous devez chercher à anticiper la survenue de ces dernières afin de prendre les décisions qui s’imposent pour éviter de sortir de votre domaine de maîtrise qui vous est propre. Que vous ayez 40 ou 400 (ou 40 000) heures de vol, les premières fois sont toujours délicates.
Ce que vous devez retenir
La notion de première fois est un concept destiné à vous faire réfléchir afin de les anticiper : soit pour les éviter, soit pour s’y préparer.
Beaucoup de premières fois connues vont jalonner votre parcours de pilote ; un pilote prévenu en vaut deux.
Evitez d’additionner les premières fois au cours d’un même vol quand cela est possible.
Si c’est une première fois, veillez à ce que la marche ne soit pas trop haute (anticipez), ne brûlez pas les étapes.
La photo de planeur est de Philippe Depéchy et les autres de Daniel
Bons vols
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