Dominé par la dimension et la complexité des systèmes qu’il pilote, l’homme a recours à sa seule intelligence et à tous ses sens pour appréhender l’état du système dont les paramètres lui parviennent essentiellement sous forme de valeur numérique ou de sensations physiques qui ne correspondent pas à son domaine d’évolution habituel.
On s’en est déjà rendu compte, l’homme n’est pas fait pour voler. Son arrivée dans la troisième dimension date d’une petite dizaine de décennie, là où l’évolution animale a demandé des milliers voire des millions d’années à ses lointains cousins les oiseaux.
J’ai beau observer ces gracieux volatiles, je ne peux m’empêcher de constater que pas un seul n’a de bagages scientifiques suffisants lui permettant de comprendre le pourquoi du comment dans l’art de maîtriser la troisième dimension. Nos cousins ne se réunissent pas pour se tenir informé des derniers accidents et en tirer les conclusions qui s’imposent, pour établir ou modifier des procédures de vol. Il n’existe pas chez eux d’analyse des vols, de bulletins de sécurité, de collision en vol ou de perte de contrôle tout simplement.
De là à conclure avant même d’avoir commencé cet article que l’homme est trop intelligent pour voler!
Non ! nos cousins aéronautes n’ont tout simplement jamais dépassé leurs capacités physiques et intellectuelles d’analyse et de compréhension.
Note : toutes les photos de cet article sont de Daniel
Autrefois, le paysan derrière sa charrue ou sa faux, le pêcheur sur sa barque, le menuisier devant son établi, le chasseur derrière son arc étaient en contact visuel, tactile, auditif direct avec le système contrôlé. Le goût et l’odorat pouvaient être, eux aussi, mis à contribution.
L’information sur l’état du système était transmise sous forme analogique et le mode de guidage de l’outil était évident, ce qui, toutefois, ne rendait pas inutile une certaine habileté manuelle.
Le nombre d’opérations à exécuter par seconde, les vitesses d’évolution étaient à la dimension de l’homme. Enfin les énergies mises en jeu étaient modestes et un accident n’avait pas de conséquences trop graves pour l’environnement naturel ou humain.
Aujourd’hui, l’homme a quitté ses habitudes de pilotage de systèmes à ses dimensions pour s’attaquer à des systèmes compliqués qu’il ne perçoit qu’à travers un dispositif artificiel ou faisant appel à des sensations ou des réflexions que l’évolution humaine n’avait pas forcement prévue.
Comprendre le fonctionnement du pilote avant tout
Le comportement de l’homme peut, très grossièrement, être schématisé par quatre caractéristiques.
Il fonctionne en séquence, c’est à dire que les opérations “intelligentes” qu’il effectue ne peuvent l’être simultanément. Il ne peut, à un même instant, lire une information, l’interpréter, élaborer une tactique ou une stratégie, agir sur une commande. Cette caractéristique impose de ne pas surcharger le pilote qui dans un temps donné ne peut effectuer qu’un nombre limité d’actions.
La conséquence en aviation légère est, par exemple, d’éviter de se précipiter sur la radio de piste pour signaler à un pilote qu’il n’a pas le train sorti au moment où il négocie son arrondi. Les résultats peuvent être pire qu’un avion posé sur le ventre. Le pilote va immédiatement essayer de résoudre le nouveau problème au détriment de l’essentiel : le pilotage. Ou bien d’interrompre une action en cours pour exposer un problème commercial à un pilote, la probabilité existe pour qu’il oublie ce qu’il était en train de faire : la fameuse interruption de tache !
L’homme a besoin d’information et souffre psychologiquement de ne pas en recevoir. Pour s’en convaincre, il suffit de noter que l’on ne peut observer plus de quelques instants un écran de télévision présentant une image fixe. En l’absence d’information, l’opérateur s’en « fabrique » en pensant à autre chose, ce qui conduit rapidement à la perte de vigilance.
Bien installé en croisière, le pilote va vite occuper son esprit à autre chose, prochaine route ou fréquence à contacter, repérage sur sa carte, réglage d’un GPS ou d’un calculateur, message radio au détriment de la surveillance de son environnement immédiat, d’un abordage éventuel ou d’un écran radar météo. Un ciel vide, un HSI immobile en croisière ou un Navigation Display vont vite devenir lassant à surveiller.
L’homme est incapable d’estimer correctement les risques encourus. Les accidents sont rares et l’estimation de faibles probabilités ne peut se faire par expérience personnelle. En effet, pour affirmer qu’un événement a une probabilité de survenir sur 1 million (10 puissance moins 6) il faut effectuer 2,3 millions d’heures d’essais, soit 262 ans.
L’expérience personnelle d’un pilote est donc totalement insuffisante et la conséquence est une sous estimation systématique des risques. Il est fondamental d’en tenir compte dans la mise au point des procédures destinées à couvrir des évènements dangereux. Ces procédures peuvent ne pas être comprises et donc mal utilisées par les opérateurs. Combien d’entre nous ont été victime d’une panne grave et combien sont sensibilisés sur le fait que cela peut leur arriver lors de leur prochain décollage. Dites le à un pilote près au départ, il y a de forte chance pour qu’il hausse les épaules. La probabilité est infime, mais pas nulle. La nature a horreur des statistiques !
Les pilotes ne peuvent appréhender l’état du système qu’ils pilotent que par l’intermédiaire d’information en relation plus ou moins directe avec le réel. Essayer d’estimer une hauteur au dessus du sol ! une vitesse ! une distance lorsque vous êtes stable au niveau 350 ou lors d’un vol de nuit ! Ils travaillent donc au travers d’une image mentale représentant plus ou moins fidèlement la réalité et utilisent des modèles permettant la prévision de l’effet des actions correctives potentielles.
Toutes erreurs d’image mentale dues à une mauvaise utilisation de l’information ou toutes erreurs de modèle de prévision peuvent conduire à des actions néfastes.
Parmi ces erreurs, dites erreurs de représentation, une catégorie est particulièrement dangereuse. Par suite d’une mauvaise prévision du risque ou par suite d’une longue habitude des réactions du système, le pilote se fait une image mentale “a priori”, ne tenant pas compte des informations réelles. Il ignore, sans en avoir conscience, les informations qui pourraient le remettre dans la bonne voie et persiste dans son erreur. C’est l’erreur de représentation diabolique. C’est, par exemple, croire une sensation physique au détriment d’une information instrumentale : le fameux vertige !
Le pilote raisonne alors avec l’image du système dans la configuration commandée et non dans la configuration réelle. Toutes les signalisations (faibles variations de trajectoire ou de plan, éventuellement message radio, alarmes, assiette, poussée) qui pourraient l’avertir sont ignorées et le pilote persiste dans son erreur.
A l’échelle de l’évolution humaine, l’homme n’a pas eu suffisamment de temps pour s’adapter à la troisième dimension.
La formation : élément de sécurité active ?
Nous sommes là à l’essentiel puisque le but est de prévenir et non de guérir. La difficulté est plus grande encore car, comme nous venons de le voir, nous sommes dans l’immatériel et que pour beaucoup, absence d’accident s’identifie insidieusement comme absence de risque.
En clair, compte tenu des probabilités actuelles, il s’agit de demander aux élèves qui débutent leurs formations ou à des pilotes qualifiés d’être prêts tous les jours à faire face à des situations qu’ils ont toutes les chances de ne jamais rencontrer. La tâche est quasiment surhumaine.
Le moyen le plus efficace pour obtenir à terme le comportement vigilant et rigoureux nécessaire à la pratique de notre sport ou de notre métier est de disposer d’un système de formation auquel on donnera le caractère « réaliste-vécu » qui est indispensable si l’on veut éviter que l’élève pilote ne considère ces exercices comme des abstractions dont le rapport avec la réalité de la sécurité des vols lui échappe. Nous pourrons alors élargir suffisamment le champ de l’enseignement pour une prise de conscience du système homme/machine et s’orienter ainsi vers un objectif de sécurité.
La partie machine est la plus rassurante puisqu’elle se calcule, mais il n’y a pas que du bon en terme d’interface. Ses ressources sont limitées au domaine que l’homme lui a fixé. La partie “homme” est par “construction” l’élément qui paraît le moins fiable puisqu’il ne se laisse pas mettre en équation, mais ses ressources sont illimitées.
L’instructeur doit mettre en valeur l’efficacité de l’interface lorsqu’elle est bien faite et expliquer pourquoi la tâche devient difficile lorsque ce n’est pas le cas.
Il doit également expliquer que nos nouveaux cockpits, nos nouveaux instruments, nos nouveaux environnements confortables et ergonomiques nous donnent une fausse idée de confort et de sécurité qui peuvent nous amener très rapidement à perdre la conscience d’une situation. Il fait bon, il fait chaud, on est bien, on est stable au niveau 350 à 480 kts, mais il fait -56° dehors, nous sommes dans une cocotte minute pressurisée à 8 kg au cm2 qui se déplace à 1000 km/h et l’environnement extérieur est parfaitement hostile à la survie humaine !
Il faut adapter un « homme imparfait » et qui n’est pas fait pour voler à une machine qui ne l’est non plus puisque conçu par des hommes! En mettant en lumière les faiblesses et les qualités de l’un et de l’autre pour arriver en faire un ensemble efficace en toute situation.
Il faut aussi expliquer au pilote, après quelques années d’expérience qui l’ont mûri (ou quelque fois endormi), que la nature ne connaît pas les statistiques et ne respecte pas avec discipline les probabilités.
Il faut donc accepter avec modestie que même un tout petit vol ne soit fait que de souci de rigueur et de vigilance, et rester prêt à mettre en œuvre toutes ses ressources, le jour où l’événement “hors probabilité” se produira, ce que la machine seule ne saura jamais faire.
Encore quelques millénaires et l’homme se sera adapté. Il aura « inscrit » ce potentiel dans ses chromosomes me direz vous ? Pas sûr ! encore faudrait-il qu’il cesse d’inventer des machines de plus en plus performantes. Nous serons alors, peut être, très loin de la charrue ou bien revenu tout contre !
Bons vols
Christophe BRUNELIERE
Bonjour,
Lecture toujours intéressante, mais, ce ne serait pas plutôt 8 Psi, en lieu et place de 8 kg ?
Bonjour,
Documeent interressant, comme d’habitude…
Cependant, il me semble que c’est plutôt 8 PSI que 8 KG par centimètre carré, ce qui fait beaucoup pour la pression de la cocotte minute ?
Hélas, les unités de mesures obscurantistes persévèrent en aéronautique alors que les physiciens du monde entier se sont accordés sur le trinôme mètre-kilo-seconde. Continuons donc à parler en pouces, pieds et autres orteils…
Amitiés
Toujours aussi bon ce Ch Brunelière…