Chaque année, après chaque accident, la communauté aéronautique s’interpelle. On s’interroge, on se questionne, on débat. Il est dit que cette fois ci, les morts sont inacceptables. Petit à petit, le débat glisse, il n’est plus technique et de moins en moins rationnel, il devient émotionnel. Tout le monde s’incline devant les qualités des disparus, réclame des informations, des responsables, des comptes, de nouveaux outils. On se réunit, on s’inquiète, on débat à nouveau, on s’informe, on se rassure sans jamais vraiment se remettre en question.
Dans l’urgence, on va au plus simple, on analyse des accidents similaires, on en déduit rapidement qu’il y a effectivement un problème. On montre du doigt quelques vieux démons, la formation, les pilotes, la fatalité, le milieu particulier des industries. On propose quelques recommandations, on prend quelques mesures qui ne seront bien souvent jamais suivies.
A l’aide d’une « vinaigrette plus ou moins stabilisée » avec pour ingrédients la peur et la raison et faute de solutions concrètes, nous entretenons l’ambiguïté entre précaution et prévention.
Nos cockpits s’encombrent petit à petit de GPWS, TCAS, Radar de plus en plus performants, d’alarme de dépassement de vitesse ou de facteur de charge, d’incidence, de détecteur d’inactivité « Pilot response » sur Boeing, etc.
Le pilote perd peu à peu ses habilités de base comme le savoir faire, le bon sens, le jugement, l’esprit d’analyse, critique ou de décisions, de conscience de la situation, jamais vérifiées ni contrôlées et devient un gestionnaire de systèmes spécialisés pour le cas où mais incapable…de se poser correctement !
Jusqu’à l’accident suivant et tout recommence !
Finalement, en l’absence de réelle volonté politique en vue d’augmenter la sécurité, le mot est lâché et rapidement repris par certains : « l’objectif à atteindre est le risque zéro ».
Voici donc légitimé le refus du risque et de la réalité. Le principe de précaution traîne ainsi dans son sillage le principe de l’immobilisme, l’excès de procédures et de plus en plus souvent celui de l’irresponsabilité.
Plusieurs affaires récentes ont révélé les limites et les risques associés à un usage abusif, dépaysé et surtout médiatique du principe de précaution. Sorti de son contexte, du droit de l’environnement, de l’alimentation ou de la santé, lorsqu’il est appliqué à des activités à risques comme la notre, il constitue un frein à l’innovation et ne peut conduire qu’au blocage.
Prévention ou Précaution ?
Si la prévention est considérée comme une gestion optimale des risques admissibles, alors une action réfléchie et concertée, ayant pour finalité d’améliorer la prévention et de la rendre plus efficace, implique une meilleure connaissance des risques et de la criticité de ceux-ci. Dans l’aéronautique en effet, la relation entre danger, risque et prévention, constitue le support de toute action organisée visant à améliorer la sécurité.
La distinction entre prévention et précaution met en lumière deux points importants :
Le premier est que le risque est et restera, qu’on le veuille ou non, indissociable des activités humaines. La trivialité de l’affirmation ne doit pas en cacher l’importance : chercher à agir sur le risque implique mécaniquement d’agir sur l’activité source et vouloir réduire l’un exige une modification substantielle de l’autre. La bonne question serait : sur quelle séquence d’une activité faut-il agir pour obtenir le meilleur effet réducteur du risque c’est-à-dire diminuer à la fois l’occurrence et la criticité de chaque risque dit « admissible » ?
Le second point permet d’en éclairer la réponse et montre ce qui sépare la prévention du principe de précaution. En effet, agir sur les facteurs de risque identifiés et de la façon la plus ciblée possible permet d’agir avec plus d’efficacité, c’est-à-dire de façon optimale tant sur le risque lui-même que sur l’activité qui le génère. On quantifie, on mesure des dangers « intelligibles » à savoir effectivement perçus. On crée ensuite deux domaines de risques, d’un coté ceux qui sont statistiquement acceptables, de l’autre, ceux qui sont statistiquement inacceptables.
Assez bavardé, un exemple :
Prenez le temps d’un vol, essayer d’y comptabiliser le temps pendant lequel vous avez relâché votre attention. Pourtant quelque soit l’instant, vous êtes dans un mobile qui se déplace à 10 000 mètres d’altitude à 900 km/h dans un environnement parfaitement hostile à la survie humaine…vous serez surpris du résultat !
Une autre approche va encore plus loin. Elle situe cette première analyse du risque dans un ensemble beaucoup plus vaste permettant de mettre en lumière bien d’autres éléments de fait, situations ou comportements qui concourent finalement à la survenance des accidents (absence d’observation du comportement des pilotes en situations basiques comme dans l’exemple cité ci dessus, sous entraînement dû au caractère des vols (long courrier), temps consacrés à l’entraînement au pilotage de base, disponibilité des instructeurs, comportement général consistant à croire que ce qui est acquis l’est définitivement en particulier l’habileté, etc.).
On voit bien que la prévention, fondée sur l’identification précise des facteurs de risque, ne permet pas d’éradiquer le risque mais d’en réduire la probabilité d’occurrence et ses effets en termes de dommages (criticité et dangerosité). C’est à ce niveau que les retours d’expérience se révèlent essentiels. En effet, plus la connaissance d’un dysfonctionnement et de l’environnement est précise, plus l’action de prévention est efficace, et moins elle est pesante sur l’activité liée au risque. Dans notre exemple, l’organisation d’une vraie journée sécurité des vols avec exemples emblématiques ou mises en situation, permettrait de lever quelques tabous, mystères et mythes. Le bonus étant de permettre à certains pilotes de se rassurer et à d’autres de se remettre en question en toute légitimité. Pas besoin d’attendre qu’un accident survienne pour ça. C’est bien de prévention dont il s’agit là. Mais sommes nous capables d’y adhérer et de l’accepter ?
A l’inverse de la prévention, la précaution n’a pour fondement qu’une simple hypothèse, d’autant plus fragile qu’elle est précoce et non fondée sur une étude ou des faits avérés. L’orientation générale du principe de précaution est de prime abord assez simple et directe. Elle tire son essence du « bon sens terrien » que nos anciens exprimaient en disant « mieux vaut prévenir que guérir ». Cette attitude d’abstention dans le doute, quoique logique, oblige la suppression ou la réduction substantielle de l’activité (laissons donc faire les automatismes ou les protections du domaine de vol…), faute d’une connaissance suffisante pour agir sur les facteurs critiques, générateurs de risque spécifiques et approuvés. La précaution, appliquée comme principe autosuffisant, n’a pas besoin d’une connaissance précise ni même prouvée ; son objet n’est pas la gestion du risque lui-même mais l’élimination du fait générateur, à savoir : l’activité qui en permet l’occurrence.
Il faut bien être conscient que si la prévention induit un coût pour un bénéfice prévisible, celui entraîné par l’application du principe de précaution, lui, sera toujours largement supérieur par l’absence de données fines, et surtout son bénéfice ne pourra être quantifié que très difficilement et restera la plupart du temps incertain. Impression de déjà vu ?
S’il est né d’un souci légitime de sécurité, le principe de précaution ne constitue pas un niveau supérieur de la prévention et ne garantit aucunement le risque zéro sauf à arrêter l’activité présentant des risques non nuls.
Au même titre que l’excès de qualité, le principe de précaution peut nuire à la sécurité dans notre activité, faute d’en avoir préalablement déterminé les limites et les critères de bon usage.
Il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir !
Bons vols, Christophe Brunelière.
Cet excellent article démontre les travers d’une mauvaise gestion du risque et la difficulté de le gérer de façon positive. Ce qui est décrit là montre que la facilité qui consiste à imaginer un risque théorique et de s’en protéger par des règles ou des automatismes stériles s’oppose à la difficulté de corriger des fautes en les admettant puis en les analysant. Ce travers est particulièrement présent en notre beau pays, quelle que soit la discipline. Cela parce que culturellement nous préférons accuser le transgresseur de ne pas suivre les règles (lesquelles deviennent de moins en moins motivantes) que de retourner une erreur en leçon profitable à tous. Dans le premier cas, les donneurs de leçons, se présentent comme étant parfaits, dans le deuxième cas, ils doivent admettre ne pas l’être. Notre relation culturelle à l’autorité nous impose que celle-ci soit détenue par des êtres idéalement dépourvus de défauts humains. C’est bien entendu complètement illusoire!
Bref : MIEUX VAUT CORRIGER L’ERREUR, QUE SON AUTEUR (celui-ci, s’il est éduqué en ce sens, saura s’enrichir de la prévention de celle-là)
Salut à tous et vivent les REX
Pluot que securité ou précaution je prefere fiabilité.
la fiabilité d’un systeme repose d’abord sur l’action humaine . la securité aujourd’hui est une probabilité et a ce titre elle est intégrée dans le bilan comptable des gestionnaires des systemes.
un constructeur européen se vante d’avoir augmenté la securité des vols et pourtant ses avions echappent au controle des pilotes;
20 000 heures de vols n’ont pas été suffisantes pour rattraper un decrochage . 228 personnes ont payé de leur vie cette vision de la securité.
Un peu plus de faibilité dans le systeme aurait peut etre eviter ce type d’incident qui etait courant au debut de l’aviation . 100 ans nous ont fait gagné en securité c’est indeniable mais en fiabilité ?
Qu’avons nous retenu collectivement de tous nos grands anciens qui ont payé de leurs vies une exploitation peu secure ?
La performance n’est pas en opposition à la sécurité, mais en rapport avec la sécurité. Ce rapport P/S est une courbe hyperbolique qui se superpose sur celle du nombre d’accidents par heure de vol. cette hyperbole a une équation : S1/S → S2/a, la célèbre équation de Lacan. Dans cette équation, le terme S1/S est le discours du maître qu’est le commandant de bord dans sa principale forme d’autorité. Le terme S2/a est la recherche hystérique du savoir de l’expert, de l’ingénieur, de l’entreprise. Cette recherche est en retard d’une expérience. Elle ne peut connaître le cygne noir auquel se confrontent les équipages. C’est cette confrontation qui empêche intrinsèquement le principe de précaution sauf à laisser les avions au hangar. La fiabilité est le résultat du rapport entre performance et sécurité, entre le plus-de-jouir lacanien du maître et la plus-value résultante de la transmission de l’expérience, entre la décision et le choix. Parce que c’est un rapport, il est tentant de croire à l’utopie qui veut que la croissance de l’un numérateur ou dénominateur exagérément par rapport à l’autre fasse tendre le résultat vers un infini impossible.