Il n’est pas toujours simple de faire la différence entre ce que les choses sont et ce que nous percevons, entre ce que nous croyons savoir faire et ce que nous savons faire…Souvent sans conséquence, ce dilemme revêt une autre importance lorsqu’il s’agit de sport aérien.
Biais …de supériorité
Fin des années 80, le parapente devient de plus en plus présent dans les Pyrénées, région dans laquelle je vis et vole en planeur depuis environ deux ans. Je suis attiré par l’apparente facilité de ce nouveau sport aérien et la tentation est grande d’essayer au plus vite une de ces jolies voiles. Le pilotage me semble rudimentaire et connaissant la météo locale, je me sens capable de découvrir par moi-même le vol libre. Je m’achète donc une voile d’occasion, et après une rapide formation sur le tas (je ne ressens aucune nécessité d’être formé lors d’un stage dans une école ! ) me voilà déjà sur les pentes des montagnes toutes proches. Les premiers vols en air calme laissent la place trop rapidement aux vols en conditions météorologiques «musclées ». Je vole inconsciemment hors de mes compétences techniques et non-techniques, mais mes erreurs de jugement m’amènent à subir le vol et non à le maîtriser. Après quelques années de pratique constituée essentiellement de vols occasionnels, le doute finit par s’installer progressivement, le plaisir laisse place au stress. Ma non-maitrise de divers éléments me pousse inconsciemment à arrêter les vols en parapente.
Une prise de recul
20 ans plus tard, je suis en train de faire une randonnée en montagne dans un secteur que je connais par cœur avec sur le dos…une minivoile. Ma reprise du Vol Libre ne s’est pas faite sans une sérieuse analyse : quelles sont mes compétences, connaissances, mes envies, quel est mon niveau de pilotage? Je suis bien décidé à me faire plaisir et à rester dans mon domaine de vol. Pour faire ce bilan, j’ai utilisé une partie de la cartographie des ressources ci-dessous car elle permet de décomposer la situation et de faire apparaître des éléments limitatifs.
Combien ont décollé «par un vent trop fort» avec une voile «récente» en étant «pressés» ou «fatigués» de la veille….?
MAÎTRISE DE SOI
– Pression: Je veux juste me faire plaisir. Je n’ai aucune envie de performance, je suis autant passionné par la randonnée qui va précéder le vol que par le vol lui-même. Monter le soir, dormir en altitude, redescendre le matin en volant. La mode est plutôt à la performance, mais je résisterai au biais de conformité en restant à «contre courant» et fidèle à ma première envie.
– Physiologie: Je suis encore sportif, je suis donc apte à courir un peu plus vite qu’en parapente pour décoller et atterrir (charge alaire plus élevée en minivoile). Je fais attention à ne pas voler fatigué ou avec l’esprit ailleurs.
– Stress: Je ne suis pas stressé, le vol n’est qu’une option, le plan B est la descente à pied, toute aussi agréable. Les éventuels amis parapentistes présents avec moi sont au courant qu’en cas de météo limite, je resterai sur le plancher des vaches.
– Mon état d’esprit: je suis conscient des risques, je suis sérieux et méthodique, conscient que le vol libre est à la fois une activité «facile et compliquée», je suis très sensibilisé à la sécurité.
MAÎTRISE DE LA SITUATION
– Les pièges: j’ai de bonnes connaissances en météo, mais le domaine de vol d’un parapente étant restreint, une erreur d’analyse sur une météo «limite» ou une brusque variation non anticipée (augmentation soudaine de la brise de vallée par exemple) peut faire passer d’une situation maîtrisée à situation «subie».
Le temps de réapprendre progressivement les subtilités de ce sport je décide de ne voler qu’avec des conditions météorologiques « faciles ».
MAÎTRISE DE LA VOILE
– Je vole avec une minivoile, elle est plus rapide qu’un parapente et très maniable. Afin de bien comprendre le comportement de ce type de voile j’ai effectué un stage chez un spécialiste.
– J’avais une certaine expérience du vol en parapente, mais j’ai eu une interruption assez longue de cette activité.
N’étant ni un réel débutant ni un pilote confirmé, je me considère donc comme un pilote de niveau intermédiaire. Je décide de ne voler que sur des sites ne présentant que peu de difficultés.
Vers une check-list «Matériel + FH» ?
L’analyse précédente me permet de définir le domaine « global » de l’activité, d’avoir une vision la plus juste possible entre mes envies et mes capacités.
Le jour du vol, je peaufine cette analyse avec les conditions présentes, en rajoutant avant le décollage la classique vérification « technique » :
– Conscience de la situation/environnement: suis-je bien dans mon domaine de vol?
– Le plan B: «et si…alors je ferai…».La situation du jour peut faire apparaître un point douteux. Plutôt que de le nier ou de le minimiser mieux vaut calculer un plan B tant qu’on est au sol (trajectoire, terrains secours, etc…).
-Check-list «matériel»: la plus facile des vérifications car la plus concrète. Démêlage des suspentes, parachute secours, sellette, etc. Mais au fait, combien ont déjà décollé mal attachés à la sellette ? Ou pire, le harnais non attaché à l’aile en deltaplane? Beaucoup trop je crois…Personnellement je réalise cette check-list à voix haute en regardant et en touchant l’élément concerné, plusieurs capteurs sensoriels sont activés, la concentration est accrue. Cette méthode rend les vérifications beaucoup plus efficaces. Je n’ai rien inventé, les check-lists des pilotes d’avion se font ainsi.
Un peu de rigueur…une contrainte ?
Dans ce monde «libre» ces vérifications peuvent paraître à certains contraignantes, voir psychorigides… Elles ne demandent en fait que peu d’énergie et le gain en sécurité est énorme. Voler ne se résume pas en une succession de gestes techniques, c’est aussi de l’analyse et des décisions. Lors de la formation cette analyse est effectuée par le moniteur qui, connaissant le niveau de l’élève, décide pour lui en fonction des paramètres. Mais rapidement (trop) à l’issue d’un stage (initiation ou perfectionnement) l’élève se retrouve seul face aux éléments.
Alors vient le moment de réfléchir avant d’agir, c’est-à-dire de se poser les bonnes questions avant le vol. Facile ou très accessible lors de l’initiation, le vol libre devient « compliqué » à l’issue de la formation car le jeune pilote peut voler seul sans grandeexpérience, ne sachant pas d’ailleurs quelles questions se poser car loin d’avoir conscience de ses limitations. Le moniteur évoque bien sûr ce problème lors de la formation, mais tout le monde n’est pas réceptif de la même manière à cette problématique. Quelques semaines après être livré à soit même, difficile pour un débutant de se remémorer les nombreux conseils de prudence et d’analyser sans aide et de manière objective la situation du jour.
Et n’oublions pas :
«Le bon pilote n’est pas celui qui est le plus performant techniquement, c’est celui qui sait rester dans sa zone de maîtrise».
Bons vols
Christophe Amiel.
Très bon résumé ! j’ai bookmarké ^^