AIRMANSHIP, récit, TOP 10

Dans un hélico du SAMU. Du travail de pro ! Airmanship

Mike-Hutchings

Le téléphone sonne, c’est la régulation du SAMU, un déclenchement de mission. Le temps est gris, la prévision météorologique ne prévoit pas de réelle dégradation, la première partie de la nuit doit rester stable. L’équipe médicale est prête, et nous nous dirigeons vers l’hélicoptère. J’ai deux heures trente avant la nuit, mais cette affaire peut tarder, cela doit toujours être envisagé.

L’hélicoptère atteint rapidement sa vitesse de croisière, les modes supérieurs sont enclenchés, il file à bonne vitesse, 140 nœuds, dans un air frais et calme, 1000 pieds au-dessus de la campagne. La visibilité horizontale est bonne, j’estime 3/8ème de nuages à 2000 pieds. J’ai presque deux heures d’autonomie à cette vitesse de croisière, il faut 30 minutes pour rejoindre le lieu de l’accident.

Le contrôle du vol est facile, la cartographie numérique défile sur le GPS, les bonnes vieilles cartes aux 1/100.000 étant toujours à disposition au cas où. À cinq minutes de la destination, la base des nuages a légèrement diminué, je l’estime désormais à 1700 pieds pour 5/8ème. Le village est en vue. Je procède à la reconnaissance du site et prépare l’appareil pour l’atterrissage.

Vu les circonstances, la meilleure place est sur la route, elle ne doit pas être très fréquentée à cette heure. Je me pose à quelques dizaines de mètres de l’accident, en courte finale. L’équipe file vers les pompiers déjà à l’œuvre sur la carcasse du véhicule, jusqu’ici, rien de particulier pour ce vol, je vérifie extérieurement la machine, le tour rituel après un atterrissage, la civière de l’hélicoptère est préparée.

Bien que ce ne soit pas vraiment l’essentiel du moment, je me penche sur la partie administrative du vol et commence à estimer les distances pour les potentielles destinations hospitalières pour la victime. La désincarcération risque d’être longue.

Le personnel, les pompiers, l’équipe médicale, médecin et infirmier sont calmes, chacun ayant une fonction précise l’ensemble s’articule d’une manière ordonnée. Je connais la plupart d’entre eux, nous nous croisons si souvent sur ces accidents routiers. Les minutes passent, une heure, puis deux, j’entends parler d’un chirurgien pour amputer sur place, mais finalement, non, il ne viendra pas. Cela s’accélère, car l’état du patient se dégrade. Il faut absolument dégager ce type, ils finissent par libérer ses chevilles des deux pédales en désarticulant la voiture.

La météo se maintient, bien que le plafond semble diminuer un peu. Le contact téléphonique avec le même prévisionniste ne donne rien de plus. Nous n’avons toujours pas l’autorisation d’utiliser les moyens électroniques communiquant à bord, pour avoir de l’information en temps réel, comme peuvent le faire désormais, pas mal de pilotes commerciaux.

Ce manque de moyens se fait cruellement sentir dans ces moments si particuliers où les éléments extérieurs peuvent augmenter la pression sur le transport. Avoir une idée du temps significatif et de la nébulosité en temps réel est essentiel notamment lorsque l’on reste longtemps sur le lieu de l’événement.

2h40 après notre arrivée sur le lieu de l’accident, la destination n’est pas encore connue. Le soleil va bientôt se coucher, j’arriverai sans doute de nuit sur l’hôpital de destination, l’horizon s’estompe et la luminosité décline, c’est la mauvaise période, zone de transition où il faut faire très attention. Le SAMU m’appelle et m’indique que ce sera un transport vers un hôpital de la Capitale, il se situe à environ 35 minutes de vol. Nous installons la civière de l’hélicoptère à bord. La mise en route intervient trois heures après le posé sur le lieu de l’accident, il est 19h15.

Décollage à la limite du jour et de la nuit, c’est désagréable et il faut redoubler d’attention, mise de cap direct sur l’entrée du cheminement hélicoptère pour accéder à cet hôpital, la base de nuage s’est transformée en un plafond à 1500 pieds, la visibilité en revanche est bonne, mais on est entre « chien et loup ». Rapidement, je me considère en vol de nuit, changement de régime de vol donc d’attitude et de raisonnement de pilotage.

Je contacte par radio un aérodrome à proximité du point d’entrée du cheminement pour m’enquérir d’une dernière météo. Avec la nuit déjà bien installée, j’estime avoir un plafond différent à l’endroit où je me trouve, les conditions sur cet aérodrome sont correctes, le contrôleur me passe 1800 pieds et 8 kilomètres de visibilité, c’est ce qui était initialement prévu.

À cinq nautiques de cet aérodrome ouvert jusqu’à 22h au moins, le plafond diminue vers 1500 pieds, la visibilité horizontale est perturbée, je vois distinctement les lumières au sol se raréfier vers l’avant. C’est net, la visibilité horizontale se dégrade brutalement, j’ouvre de 90° pour préserver de bonnes conditions et je réduis la vitesse vers 100 nœuds. Nouveau contact radio avec mon contrôleur qui me confirme que son terrain est toujours vert, je suis pourtant à cinq nautiques de sa verticale, c’est étonnant mais bien réel !

Je ne vais tout de même pas abandonner avec un patient dans cet état alors que le seul plateau technique se trouve à 10 minutes maintenant ? J’aperçois des barbules traîner à ma hauteur de vol sur ma droite, il est clair que ce phénomène météorologique localisé n’est pas franchissable, je contact mon SAMU par radio et lui expose la situation au cas où. Je suis manifestement confronté à un phénomène de basse couche venant se bloquer sur un petit relief, une marche, qui provoque un phénomène sans que personne ne puisse le prévoir ni d’ailleurs le détecter.

Je longe ce phénomène ponctuel trop bas pour moi, mais cela ne donne rien, il est toujours impossible de prendre le cheminement à cet endroit. J’indique alors au contrôleur que je poursuis vers un autre point d’entrée plus au nord, il fait désormais bien nuit et la concentration est de mise. Les modes supérieurs de navigation sont dans ce cas une aide précieuse, c’est indubitable dans ces moments où l’horizon peut se confondre avec le ciel même avec de la visibilité.

Approchant d’une entrée plus au nord, je suis maintenant en contact avec un autre aérodrome assez important de la région et m’inscrit dans le cheminement choisi. La visibilité et le plafond sur l’hôpital de destination sont meilleurs, c’est plus conforme à la prévision et cohérent avec le régime de vol dans lequel je suis. Le poser sur l’hôpital intervient à 19h50, nous avons mis 40 minutes pour rejoindre, nous avons fait un trait d’union rapide de 160 km entre une capitale et sa campagne éloignée.

Parmi un nombre inhabituel de personnes, j’aperçois un homme en vert sur le toit de l’hôpital. J’imagine que c’est un chirurgien à peine sorti d’une autre intervention… Le patient est visiblement dans un état critique.

Rapidement, l’équipe et son patient disparaissent dans l’ascenseur, la pression retombe, tout ce qui pourra être fait, le sera ici dans les meilleures conditions.

Le pilote cherche à anticiper tout ce qui peut l’être, comme la météo, dès le départ du vol et tout au long de la mission, ou les différentes destinations au cas ou…

La pression est énorme. Le pilote à littéralement la vie du blessé entre les mains. Or, cette pression induit du stress auquel il faut résister pour agir avec sang-froid.

En vol, le pilote doit communiquer : avec le contrôle, avec le SAMU, avec l’équipe médicale, et coordonner toutes ces informations … alors qu’un banc de stratus lui barre la route. La charge de travail est par moment très importante.

Airmanship ! 

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One Comment

  1. Super récit,

    Je suis pilote pro avion et j’ai eu l’opportunité d’un poste de Hems crew member (copilote hélico) samu. J’ai malheureusement renoncé à cause du salaire bien trop faible mais je suis conscient que cela doit être un sacré boulot avec une sacré pression!

    Au plaisir de vous lire.

    Thomas M

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