La rubrique d’Alexandre
Avant chaque vol d’instruction, le briefing intègre la météo. Est-ce volable aujourd’hui ? Peut-on partir en navigation ou pas ? La réponse est en général binaire : oui ou non. Aujourd’hui la réflexion : sur la décision de partir ou non, sur le choix entre certaines options, etc. est de plus en plus confiée à l’élève qui, bien que débutant, va (doit) apprendre à gérer l’intégralité de son vol. C’est une philosophie de la formation basée sur une analyse guidée par l’instructeur : ” Que penses-tu de cette situation météo ? On part ou tu diffères le décollage ? Une fois en vol la démarche est la même : Et si le plafond baisse de 500 ft, que fais-tu ? Etc. Le but est d’intégrer dans la formation, en plus des compétences techniques liées au pilotage ou à la navigation, la prise en compte de la complexité de l’environnement, d’éduquer le jugement de l’élève afin qu’il soit à même de faire face à des situations qu’il n’a jamais rencontrées ou de résoudre des problèmes qu’il n’a jamais vus auparavant*.
Il existe deux cas de figure pour dispenser cette instruction (et également la simulation au sol). Les mises en situation : Et si la zone est active… Considère qu’il ne te reste plus que 30 mn de carburant. L’élève analyse, soupèse, décide ; cela donne de très bons résultats. L’autre cas survient lorsque la situation se suffit à elle même pour ne pas en rajouter. Intéressons-nous à l’une de ces situations : le VFR marginal.
Dans une étude menée par la NASA, le Dr Burian a interrogé de nombreux pilotes VFR et des instructeurs afin de tester tout d’abord leurs connaissances météo. Il s’avère qu’elles sont plus lacunaires que ce qu’ils imaginaient avant de démarrer le test (pilotes et instructeurs confondus). Or ces connaissances vont conditionner certaines de leurs décisions et pas les moins importantes. L’étude s’intéressait également aux méthodes d’enseignement de la météo, dispensée par les instructeurs en vol et au sol lors des briefings. L’exposition au VFR marginal fut un des points abordés.
D’après cette étude, 68,1 % des élèves ont déclaré que bien qu’ayant été mis en confiance dans leur capacité à piloter dans des conditions marginales, cela restait une situation inconfortable pour eux. Ces pilotes ont acquis une expérience supplémentaire, ils ont vu pendant leur instruction à quoi ressemblaient des plafonds bas et une faible visibilité. Leur inconfort ressenti face à ces conditions va ensuite avoir une incidence comportementale : méfiance, prudence. Ils seront moins enclins à entreprendre ou à poursuivre un vol dans de telles conditions. Montrer les risques est une approche qui est défendue par de nombreux spécialistes de la formation qui défendent l’idée que cette perception de la réalité entraîne un effet protecteur.
D’un autre côté, 21,7 % ont admis avoir été mis en confiance et se sentir plus à l’aise pour voler en conditions dégradées. On constate d’après ces chiffres que cette exposition n’a pas forcément le résultat attendu, pas pour tout le monde en tout cas. Ce qui peut être problématique, car une partie de ces 21,7% auront peut-être du mal à renoncer à un projet de vol et à se fixer des limites de plafond et de visibilité par exemple.
Bien que positif pour plus de 2/3 des participants, l’exposition des élèves à des conditions marginales (mais réglementaires) doit néanmoins être accompagnée sur certaine mises en garde de la part de l’instructeur : « Aujourd’hui les conditions sont vraiment médiocres mais nous allons quand même effectuer quelques tours de piste. Tes repères visuels ne seront plus aussi nettes et ton pilotage pourrait s’en ressentir. Il se pourrait même que tu perdes la vue du terrain. Tu verras qu’il existe deux ou trois trucs pour gérer la situation, mais tu verras également que cela peut dégénérer très rapidement et je te montrerai pourquoi.
Traduction d’une partie de l’étude :
« […] D’après un sondage réalisé auprès de pilotes privés fraîchement brevetés et ayant volé en conditions VFR marginal pendant leur instruction, il a été constaté que 21,7% (n=15) des pilotes se sentaient plus confiants quant à leur aptitude à voler seuls dans de telles conditions et seraient plus à l’aise pour le faire (Burian 1999). Un nombre plus important de pilotes (68,1%, n=47) ont indiqué que malgré avoir été mis en confiance dans leur capacité à voler en conditions marginales par eux-mêmes, ils ne sentiraient pas à l’aise pour le faire. »
Note de l’auteur de l’article : il s’agit d’une étude américaine. L’influence culturelle (anglo-saxonne vs latine) pourrait donner des résultats sensiblement différents.
* Un objectif de formation chez les pilotes australiens.
Bons vols
Breveté PPL, Alexandre s’intéresse de très près, aux connaissances techniques sur le pilotage, aux facteurs humains… Il a intégré l’ENAC où il suit une formation TSEEAC. Il vole à Lasbordes.
Bonjour,
je trouve l’article intéressant, il pose enfin la bonne question sur la formation des VFR, à l’analyse et la confrontation en formation sur la question de la météo.
Analyse météo, qui sera la clef du voyage en VFR une fois le brevet en poche..( sinon, cela finira en tour de piste..)
Par contre, la phrase si dessous que j’extrais de votre texte m’inquiète:
“Et si la zone est active… Considère qu’il ne te reste plus que 30 mn de carburant. ”
Comment ça, considère qu’il ne te reste plus que 30 minutes de carburant?????
On ne doit jamais en arriver à ce constat!
Si ça arrive, c’est que la gestion du carburant à été oubliée durant le vol….
Qui plus est, pour la zone active, il y a des moyens simples de prévoir son itinéraire et son altitude par rapport à cette zone…..consulter les notam et sup aip…être en contact avec le SIV….on ne découvre pas à la dernière minute qu’une zone est active.
Cordialement
Bonjour Pierre,
Et si la zone est active, etc. ce sont des exemples destinés à faire réfléchir le pilote sur la meilleure décision à prendre. L’instructeur doit alors veiller à ce que ces mises en situation soient cohérentes avec le thème du vol et son environnement.
Même si c’est le raisonnement qui nous intéresse, les mises en situation n’étant que des supports à celui-ci, il est également important de savoir (et d’accepter) que nous commettons régulièrement des erreurs, nous sommes loin d’être infaillibles ; la zone active que l’on n’avait pas anticipée, le vent de face plus fort que prévu, cela arrive tous les jours.
Jean Gabriel
l’enthousiasme de ce jeune auteur pour la science facteur-humain est rafraîchissant. cependant, son intéressante analyse mérite un approfondissement.
le premier point concerne le côté binaire de l’analyse météorologique. en effet, il existe des paramètres de visibilité, de plafond, de vent, de température pour lesquels il existe une limite en dessous de laquelle le vol est interdit et au dessus de laquelle le vol est autorisé. il faut dans ce cadre réglementaire dire que le décideur est le législateur et que le pilote n’est que le préposé ayant en charge de constater hic et nunc la position de la situation vis à vis de la limite réglementaire.
mais là n’est pas vraiment le sujet de cette chronique. un sujet qui n’ose d’ailleurs pas dire son nom, un sujet tabou. il s’agit de l’apprentissage par le risque. le règlement nie le risque; le risque est au dessus du règlement. ils sont l’un pour l’autre, antinomiques. on connaît la notion piagétienne de l’apprentissage par l’erreur, elle est assez utilisée en facteur-humain aéronautique. mais la notion d’apprentissage par le risque n’est jamais vue d’un bon œil par une science qui entend éradiquer le risque. pourtant le risque est le sens véritable de l’humain, ce qu’une intelligence artificielle ne sait a priori pas prendre. le risque c’est ce qui fait le maître au sens hégélien du terme. c’est donc ce qui fait le commandant de bord, au sens le plus large du terme.
or, dans la confrontation au risque, la limite n’est pas une valeur mesurable mais une image, une image très personnelle, intime. interviewé par jacques chancel, jacques brel qui était aussi pilote raconte: “le type qui sort son vélo le dimanche, regarde le ciel et dit avec un temps comme ça, il faut pas y aller, a toujours raison!” il en est de même pour le pilote. il regarde le ciel et compare l’image du ciel avec ce qu’il se sent capable de faire. la décision est un processus dont le langage est image. pour établir ce qu’il est possible de faire, il faut donc montrer. ce ne peut être un apprentissage livresque ou paramétrique. la constitution de l’image de la capacité se fait donc par l’expérimentation et on comprend bien qu’il est préférable d’expérimenter avec quelqu’un qui dispose déjà des repères de l’expérience pour éviter de cumuler l’apprentissage par le risque et l’apprentissage par l’erreur. on peut comprendre alors que la connaissance ( en météo) des pilotes interrogés puisse être lacunaire, cela ne dit rien de l’expérience qu’ils en ont, laquelle expérience a probablement remplacé au fur et à mesure la connaissance.
mais bon, ne boudons pas notre plaisir de voir enfin timidement surgir la notion de risque, qui est à la base de la nature humaine, dans, pour citer un petit roman récent, la question du sphinx, la question du risque ultime, sa propre vie.
ps: pour répondre à pierre, l’interdit ou l’improbable ne sont pas impossibles.
Une rubrique d’un grand intérêt , d’où à mon sens l’importance des briefings météo , la notion d’exemple que doit être l’instructeur en matière de limitations et la nécessité des deux composantes , avoir connaissance de la situation et de ses propres limites .
J’ajouterais qu’il faut ne pas oublier que sur l’ hexagone nous avons une multitude de micro climats qui au grès des saisons peuvent faire basculer les conditions de vol à quelque dizaines de nautiques et qu’il est important d’en avoir connaissance : mouvement de nappes de brouillard qui peuvent recouvrir un terrain en peu de temps , micro région dégagée par un effet de foehn , cisaillements de vents derrière une colline
En tant qu’instructeur j’adapterai mon discours au pilote , diffèrent entre celui qui un peu timoré tend à toujours se limiter alors qu’il peur encore progresser et le super optimiste qui verra toujours une amélioration se dessiner derrière la barre noire .
Enfin enseigner l’acceptation de la frustration , savoir renoncer , j’ai en mémoire cette affiche tirée d’un Bulletin de Sécurité Des Vols de l’ Armée de
l’Air qui disait : Un demi tour vaut mieux qu’un aller simple .
Bonjour,
Je suis instructeur de vol avion et pilote helico pro au Canada.
Je viens de lire cet article. Trés bon article car au Canada les conditions météo sont plus que changeantes. Pas plus tard qu’hier j’ai volé dans du marginal VFR. Je ne le pratique qu’avec des étudiants en fin de formation PPL et qui le désirent. Tous ne le veulent pas. L’objectif est de repondre à une curiosité car le marginal n’etant pas une situation évidante à constater, ils peuvent alors le voir de leurs propres yeux. D’autres sont assez clairs, ils ne partiront jamais en dessous d’un 5 SM de visibilité.
En revanche pour les CPL, il est important de les y ammener car étant donné le pilot shortage actuel, ils vont rapidement être confronté à ce genre de situation.
Merci pour cet article, je le transmet à mes étudiants de ce pas.
Alex