…et de la nécessité de préserver les bars d’escadron et d’aéroclubs.
Voici un article présenté par Anne Lise MARCHAND SIBRA qui sort des sentiers battus, mais qui est oh combien intéressant. Parfois, en tant qu’instructeurs, nous éprouvons le besoin d’illustrer, nos propos, nos explications, avec nos expériences personnelles ou celles des autres. L’article qui suit va vous conforter dans cette pratique. C’est une toute petite synthèse, non pas de quelques réflexions ou analyses, mais d’un travail de thèse.
Anne Lise SIBRA MARCHAND a travaillé sur le langage des PNT (pilotes) au sein de la compagnie Air France, elle a côtoyé également son service formation Facteur Humain, avant d’intégrer l’IMASSA, l’IRBA aujourd’hui (Institut de recherche biomédicale des armées) auprès, entre autre, de René AMALBERTI, le Monsieur Facteurs Humain en France déjà présent dans nos colonnes, et de Claude VALOT. Parallèlement elle a effectué un master recherche d’ergonomie au CNAM qui s’est finalisé par sa thèse : Usage des récits expérientiels et des savoirs épisodiques dans l’apprentissage de la gestion des risques. Elle enseigne aujourd’hui à l’Ecole de l’Air et poursuit d’autres travaux, toujours centrés sur la sécurité aérienne. C’est une passionnée, elle possède son brevet de pilote de pendulaire.
Note : Cette étude a été effectuée à partir des interviews des pilotes des bases aériennes de Nancy et de Reims.
De l’intérêt des anecdotes dans la gestion des risques (et de la nécessité de préserver les bars d’escadron et d’aéroclubs)
Il y a quelques années, le Bulletin de Sécurité des Vols de l’armée de l’Air publiait un numéro spécial sur les éjections. Parmi ces récits, certains témoignaient de la difficulté de prendre la décision de s’éjecter. Les facteurs qui rentraient alors en compte pour prendre une décision étaient nombreux : procédures à respecter, risque pour soi et pour autrui,… parmi tous ces éléments dans la balance, le PN ajoutait parfois qu’il avait pensé à une anecdote qu’un collègue lui avait raconté et que ce récit l’avait aidé à comprendre la situation ou à prendre la décision de s’éjecter.
Ces anecdotes ont un statut particulier dans la famille du retour d’expérience; On les considère souvent comme ayant peu d’intérêt réel autre que pour le lien social qu’elles permettent (parfois) de créer. Pourtant au quotidien, en débriefings ou au bar, elles surgissent dans chaque discussion, qu’elles soient racontées par celui qui a vécu l’événement ou par l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours. Certains d’entre vous les qualifient de « combats de montre » ou de fanfaronnades, alors que d’autres les trouvent utiles et y ont recourt dès que possible. Vous êtes nombreux à vous interroger sur leur potentiel et leur intérêt, que ce soit dans la formation ou dans l’activité réelle. L’expérience vécue n’est-elle utile qu’à l’individu qui a vécu une situation spécifique, ou peut-elle être utile lorsqu’on la raconte et qu’on la partage ?
Voler est une activité où il s’agit la majeure partie du temps de gérer des risques connus grâce à des dispositifs réglementaires, techniques et humains mis à disposition. Parfois, cependant, de nouveaux problèmes surgissent : Il est impossible de tout anticiper parce qu’il y a trop de paramètres à prendre en considération (météo, oiseaux, état du trafic, etc.). Les procédures, les entraînements en simulateur ou la formation ne sont pas suffisants pour permettre de construire une stratégie à ce type de situation. Sans check-list adaptée, sans parade tout prête, sans indications sur la marche à suivre, le pilote doit alors mobiliser toutes ses ressources pour résoudre le problème dans des contraintes vitales et temporelles fortes. Il peut par exemple puiser dans son expérience des situations proches qui lui donneront les informations manquantes pour résoudre le problème. Cependant, chacun ne peut expérimenter à lui seul toutes les situations critiques. Une solution est donc d’utiliser l’expérience des autres…
Face à une situation critique, on peut donc évoquer un cas pour comprendre la situation et construire une solution (dans 2 fois sur 3). On évoque alors majoritairement des cas bien connus : en priorité ses propres expériences personnelles (57% des cas évoqués), puis les anecdotes entendues (44%) et enfin les cas proposés via les médias, les bases de données de retour d’expérience ou la formation (4%). Tous ces cas sont plus ou moins riches en enseignements selon que le pilote les connaît bien : Ainsi les expériences personnelles supportent plus d’informations que les anecdotes, elles mêmes plus riches que les cas proposés par l’organisation ou les médias. Un cas peut aider à prendre une décision, à mesurer les conséquences de telle ou telle option ou permettre de limiter son stress. Certains d’entre vous condamnent cette pratique d’utiliser un cas pour en résoudre un autre. Pourtant, le mécanisme est efficace dans presque 100% des cas, et aucun des PNs interrogés n’a témoigné de situations où évoquer un cas lui a porté préjudice.
En instruction, les anecdotes sont également très nombreuses à être utilisées (plus d’un débriefing sur 3 en contient au moins une). Elles constituent un support pédagogique fiable puisque 59% des informations qui y sont associées par l’instructeur sont ensuite restituées par l’élève. Ces savoirs permettent à l’élève d’analyser une situation, d’apprendre une stratégie efficace pour la gérer, ou encore de mieux analyser ses savoirs pour les améliorer et les appliquer à de nouvelles situations. L’anecdote racontée n’est pas seulement utile pour transmettre des savoirs : elle permet également à l’élève d’en construire de nouveaux (26 %).
Ainsi, les objectifs pédagogiques des instructeurs semblent être toujours largement atteints et dépassés : Non seulement les anecdotes renforcent la motivation des élèves, mais elles leur permettent d’affûter leur sens critique et de se constituer une bibliothèque de cas utilisables en situation critique. Certains instructeurs craignent que le caractère spécifique des anecdotes induise les élèves en erreur : la méthode utilisée pour résoudre un problème ne fait pas force de loi. Par ailleurs, certaines gestions de situation critique ne sont pas tout à fait réalisées dans le respect des textes… la crainte est donc que les élèves généralisent le contenu de l’anecdote et l’assimilent sans hésiter aux prescriptions réglementaires du métier.
Vous qui avez été élève, était-ce le cas ? Probablement pas : vous saviez faire la différence entre la règle et la gestion spécifique d’une situation unique par un individu particulier. De la même façon, tous les élèves interrogés sans exception insistent bien sur la dimension spécifique de chaque anecdote : Ils sélectionnent spontanément ce qu’ils sont capables de comprendre et ce qui est pertinent pour eux. Les récits des uns des autres se recoupent, s’enrichissent et parfois se contredisent. Mais chaque élève semble très bien savoir faire le tri dans les informations entendues, et les assimiler au regard de ce qu’il sait déjà.
L’intérêt de ces récits est donc plutôt d’enrichir le répertoire de stratégies utilisables lors de gestion de situation critique. L’anecdote permet à l’élève de se projeter dans la situation évoquée et de s’imaginer gérer cette situation à partir de ce qu’il sait faire. A partir de là, il imagine même des variantes (jusqu’à 8 à partir d’une même anecdote) dans lesquelles il s’imagine agir. Ces projections lui permettent d’explorer de nombreuses possibilités non prises en charge par la formation (coût trop important, contraintes temporelles, etc.) et ainsi d’apprendre à se former en analysant des cas. Ces projections lui permettent également de construire une meilleure représentation de sa propre performance et de ses limites. Ainsi, l’élève identifie jusqu’à 4 savoirs sur lui même à partir de chaque anecdote entendue.
Pilot Richard De Crespigny and first officer Matt Hicks A380 QANTAS
Certains considèrent les anecdotes comme dangereuses car porteuses d’informations « contestables », ou tout du moins trop spécifiques et non généralisables. C’est pourtant cette spécificité des anecdotes qui en fait un outil remarquable d’apprentissage et de gestion des situations critiques. Il faut également noter qu’en dehors du lien essentiel que les anecdotes tissent entre PN, celles-ci sont déjà en place, ne coûtent rien, et ne pénalisent aucune autre activité. Encourager et valoriser le partage des anecdotes entre navigants développerait donc plus activement les compétences individuelles de gestions des risques.
Bons vols
Anne Lise SIBRA MARCHAND
Article précédemment publié en juin 2011.
le bar de l’escadrille n’a pas sa place dans un systeme de production de la securité car cela reviendrait a decompter les heures passées au bar de l’escadrille en temps de travail: je vous laisse trouver la méthode pour empecher les lazzis dans la presse.
Certains vols vécus par les pilotes, mêmes des vols sans histoires, en disent dix fois plus que n’importe quel manuel théorique. Le bar de l’escadrille, c’est une métaphore, un clin d’oeil, qui renvoie à une dimension du métier qui ne s’apprend pas dans une salle de cours. Quand Thomas Seamster évoque l’investissement du pilote (ou d’un médecin), il parle de 10 années minimum de questionnement quotidien sur son métier (effortfull) avant de pouvoir commencer à comprendre sa complexité … et d’exercer en place gauche. Nous sommes très loin de la notion de temps de travail.
Derrière la notion de bar de l’escadrille, avec ses histoires, il y a également la notion de groupe avec la culture de la sécurité. Dans ce document: http://www.cepremap.ens.fr/depot/opus/OPUS09.pdf on perçoit des individus repliés sur eux. C’est évidemment contre-productif en matière de sécurité et c’est une des principales raisons du problème de sécurité français: un manque d’investissement (à commencer par le management). Alors tout ce qui peut créer du lien est le bienvenu.
On peut prendre l’exemple des instructeurs qui côtoient beaucoup de situations différentes, de stagiaires et d’autres instructeurs, dans des environnements où on retrouve “le bar de l’escadrille”, la salle commune… les échanges sont très riches. C’est une dimension qu’on ne retrouve pas dans des exploitations “industrielles”.
Jean Gabriel
Pour les civils, il y a débat, mais le militaire ne comptant pas ses heures, celles passées au bar de l’escadron font de facto parties de son temps de travail 😉 Plus sérieusement, ces activités informelles entre PNs trouvent de plus en plus grâce aux yeux des communautés scientifiques et des organisations confrontées au risque aérien. Signe des temps ? L’étude présentée ici a reçu le prix Clément Ader décerné par l’Armée de l’Air au “meilleur” travail de doctorat. En matière de gestion des risques, on reconnait de plus en plus le rôle des activités collectives, locales, informelles, comme les discussions, les échanges d’informations entre deux portes, les préparations de vol à plusieurs mains,… donc oui, les lieux socio-professionnels ont leur place dans la gestion de la sécurité. Ce sont les individus et non les organisations, qui y agissent de façon spontanée mais efficacement. Il n’y a pas de compétition entre organisation et collectif, pas de gêne puisque les espaces d’action sont différents… Les gestions des risques organisationnelle et collective sont chacune indispensables et ensemble complémentaires.
Je pense sincèrement que les gens qui voudraient comptabiliser leur temps passé avec leurs collègues de travail à discuter de leur métier, de leurs expériences, n’ont pas leur place dans ce milieu et devraient laisser cette place à ceux qui ne comptent pas leurs heures pour parler de leur PASSION. Le “bar de l’Escadrille” je comprends cela comme une expression, une image pour décrire n’importe quel lieu ou l’échange d’expérience est enrichissant. Les enseignants se retrouvent dans la salle des prof après les cours, certains équipages vont au restaurant ensemble PNT et PNC confondus, tout le monde peut inventer son “bar de l’escadrille” pour y partager sa passion ou choisir de rentrer à la maison après le vol. J’ai vu des pilotes qui étaient déjà dans leur voiture alors que les hélices des turbines libres tournaient encore après la coupure des moteurs. Heureusement les passionnés sauront trouvés leur bar de l’escadrille et souvent c’est au bar de l’aéroclub qu’ils ont découvert cette passion en côtoyant les anciens. Maintenant à chacun de faire la part de ce qu’il y entendra, car on y écoute aussi de mauvais exemples, mais moi j’ai confiance au professionnalisme des pilotes passionnés.
Bonjour. L’instructeur ne pourra jamais présenter à l’élève un catalogue exhaustif des situations à risque. Ce serait peut être, d’ailleurs, source d’un risque supplémentaire par création ou augmentation de stress. Mais il me semble que l’analyse en commun de cas issus de retours d’expériences devrait déjà pouvoir aider l’élève à vérifier et à se convaincre du bien fondé de telle procédure, décrite au manuel de façon théorique, pour gérer au mieux telle situation à risque. Cette analyse en commun pourrait peut être conduire l’élève à s’inspirer de cette procédure, alors vérifiée et donc intégrée, pour gérer un jour une situation inhabituelle jusqu’alors inconnue. En bref, bien sûr très approximativement énoncé : vérifier pour intégrer puis transposer du connu à l’inconnu avec moins de stress. Avoir subi puis contrôlé avec l’instructeur un virage engagé, un décrochage ou une autorotation, permet de vérifier et de se convaincre du bien fondé des procédures d’urgence prévues au manuel. J’imagine que celles-ci doivent pouvoir être transposées à des situations inhabituelles comparables, mais inconnues du pilote ne pratiquant pas la voltige. Je crois donc au recueil et à l’étude systématiques des retours d’expérience appris au club ou au bar de l’escadrille, afin de montrer à l’élève, d’abord, que les procédures d’urgence théoriques du manuel ont effectivement permis de gérer au mieux des situations à risque connues ou inhabituelles, ensuite, que les principes généraux qu’il peut en retirer l’aideront à affronter d’éventuelles circonstances inconnues de lui, enfin, que l’idéal serait d’anticiper pour éviter les situations stressantes gâchant le plaisir de voler. Ce n’est que l’avis d’un élève poursuivant cet idéal.
J’ajoute à tout ce qui vient d’être dit que cette pratique permet aux jeunes de voir les “vieux” sous un autre regard, et aux “vieux” de rester intégrés au milieu aéronautique, même s’ils ne volent plus. Cette dimension sociale fait de l’aéronautique une “famille” qui respecte et honore les anciens tout en participant à la formation des plus jeunes. “Apprenez des erreurs des autres : votre vie ne sera jamais assez longue pour les commettre toutes.”
Amitiés à JGC
JM Alard
J’approuve tout à fait le commentaire de JM Allard en ajoutant une citation de mon confrère Jean Claude Wanner :”l’expérience c’est ce qu’on retient des erreurs auxquelles on a survécu”.
Quand un pilote rencontre un autre pilote, qu’est-ce qu’ils se racontent: des histoires de pilote ! Ce qui, avec les études et les lectures construit une culture aéronautique qui ne trouve plus guère sa place dans la formation des pilotes de ligne consacrée à l’apprentissage de manoeuvres standard et à l’exécution correcte de procédures les laissant fort dépourvus quand ils se retrouvent dans des situations imprévues, voire imprévisibles. On a mis en place des systèmes de retour d’expérience fort intéressants mais qui ne disent pas tout, en particulier les erreurs ou les disfonctionnements de certains automatismes qui ont été “rattrapés” par l’équipage et n’ont pas été rapportés.
Au débuts de l’aviation on avait le culte du héros qui ne faisait jamais d’erreur; on sait maintenant qu’un équipage commet toujours des erreurs qui sont corrigées d’une manière routinière mais qui devraient être reconnues et analysées pour en éviter la répétition.
C’esst de tout cela qu’on parle au bar de l’escadrille.
Je pense que je n’ai pas été compris lors de mon premier post. L’aéronautique est entrée dans l’erre industrielle . On peut le déplorer mais aujourd’hui la sécurité des vols est d’abord basée sur le respect minutieux des procédures (processus industriel par essence). La “culture métier” n’a pas sa place dans cet espace. Donc les bars de l’escadrille doivent disparaitre. Ils ont été remplacé par des cours de Facteurs Humains et surtout des cours de gestion des ressources. Ce temps est un temps “marchand et normé” car le produit attendu est un produit qui se doit d’être “standard” . Nos anciens ont utilisé une partie de l’héritage des “grands anciens” comme “capital” en le faisant “fructifier” a leur profit, nous devons subir cela mais je crains que ce n’est pas demain que nous retravaillerons en “réseau” comme le faisait nos grands anciens: c’est le paradoxe du monde marchand, il produit des effets délétères ou la culture professionnelle n’a plus sa place, helas