La formation basée sur les compétences ou Competency Based Training
Toutes les photos de cet article sont de Daniel
Entendre le mot compétence quand il est question de remodeler un programme de formation est toujours intéressant. Mais de quelle(s) compétence(s) parlons-nous ? Si nous prenons la définition donnée par l’OACI dans son manuel de formation doc 9878 nous lisons que la compétence est une combinaison d’habiletés, de connaissances et d’attitudes requises pour exécuter une tâche selon la norme prescrite (définition reprise dans le FCL1).
Et bien ça commence mal parce que cette définition est très réductrice puisque l’utilisation du terme norme prescrite ne peut s’appliquer qu’aux seules compétences visibles et mesurables qui sont les compétences techniques liées à la machine (ce n’est pas toujours le cas, mais c’est qui est sous entendu dans ce document de référence). Or, si nous nous penchons sur l’accidentologie nous nous apercevons rapidement que les accidents surviennent quand le pilote s’est retrouvé dans une situation qui dépassait ses capacités (compétences) techniques par manque de compétences non techniques, qui par opposition sont celles qui sont liées à la gestion de son environnement. Voici ce que dit la DGAC : « Les erreurs de jugement qui conduisent les pilotes à prendre de mauvaises décisions constituent une grande part des causes d’accident (environ 80 %) ». Ce chiffre de 80% semble un peu excessif mais dans tous les cas nous savons qu’il est important. L’Australian Transportation Safety Board nous donne l’analyse suivante : 70 % des accidents ont pour origine une erreur humaine. Dans approximativement 85 % des accidents, un défaut de conscience de la situation est mentionné comme facteur contributif à l’origine d’une erreur ou d’une mauvaise décision. Etc. Il existe beaucoup d’autres données similaires qui montre qu’il existe un consensus sur l’importance de ces facteurs contributifs d’accidents. Et nous pouvons en tirer la conclusion que la maîtrise de sa machine par le pilote ne peut être garantie que par la maîtrise de son environnement : conscience de la situation, jugement, décision…
Là où un professionnel doit tout mettre en œuvre pour éviter de se laisser dépasser par la situation, un pilote non professionnel doit éviter ces situations qu’il ne pourra pas techniquement maîtriser (vent, visibilité…). Ce sont les compétences non techniques (gestion de l’environnement) de vos élèves qui les protègent des limites de leurs compétences techniques (gestion de la machine).
Donc la formation basée sur les compétences, pourquoi pas, mais se limiter aux compétences techniques c’est vérifier que son élève maîtrise parfaitement sa voiture et tant pis si la route est verglacée.
Mais commençons déjà par expliquer comment se construit un programme basé sur les compétences. Dans un premier temps toutes les tâches du pilote sont analysées les unes après les autres et regroupées dans ce qu’on appelle des éléments de compétence. Par exemple pour le décollage tout est disséqué et la case décollage dans le livret de notation pourra comprendre les items : tenue de l’axe, mise en puissance, prise en compte du vent de travers …
Une fois toutes ces tâches listées il faut vérifier qu’elles soient accomplies suivant des critères, des normes, définies et nous mesurons une performance : maintien de l’axe lors du roulement au décollage… Cette vérification de la performance tâche après tâche c’est un des principes de la formation basée sur les compétences. Là où l’instructeur auparavant jugeait que son élève avait rendu une bonne copie, avec ce processus il devra vérifier chaque paragraphe, chaque ligne, chaque mot. Ce n’est pas sans inconvénients et le mot lourdeur rôde autour de ces programmes.
Lourdeur ? Effectuons un petit retour en arrière. Quand le FCL1 est apparu en 1999 avec dans sa partie formation des listes précises d’exercices à effectuer, certains travers sont apparus comme une perte du bon sens chez certains élèves. Tous ces exercices très détaillés étaient correctement effectués et parfois mieux qu’auparavant mais la transition entre les exercices, la gestion de l’environnement s’avérait parfois plus difficile. Pourquoi ? Parce que les ressources de l’élève, et de son instructeur, ne sont pas sans limites et que la focalisation sur ce nouveau référentiel très centré sur la machine s’est faite parfois aux dépends de la gestion du vol.
Dans la formation basée sur les compétences, le premier piège à éviter c’est que le maillage ne soit pas trop étroit et le deuxième c’est que le processus ne soit pas seulement centré sur la machine. Concernant le maillage trop étroit des tâches, même des gros constructeurs s’y sont cassés les dents lorsqu’ils ont fait évolué leurs formations suivant ce modèle ! Et à force de disséquer les tâches de la machine (les plus faciles à cerner), ces nouveaux référentiels occultent les compétences non techniques (plus difficile à décliner) qui ont pour principal objectif de gérer les risques de l’environnement, à l’origine de la plupart des accidents.
Oui mais si je forme mon élève en validant au fur et à mesure ses compétences de manière précise et mesurable, cela me permet de le faire progresser de manière optimale en me centrant sur ses performances ? Effectivement, et c’est d’ailleurs pourquoi si vous démontrez que vous êtes capable d’évaluer cette performance la notion de volume de formation disparaît (MPL). Et cela n’a pas échappé à l’industrie professionnelle de la formation des pilotes qui s’est engouffrée dans ces processus !
La vraie question quand le terme compétence est évoqué c’est la suivante : La formation basée sur les compétences ne prend-elle en compte que les compétences techniques, c’est à dire celles liées à la machine ? Et bien c’est une question de choix. Vous pouvez englober également dans cette approche les compétences non techniques avec leur processus de gestion des risques (Conscience de la Situation, Prise de Décision, Gestion des Menaces). Par contre, là où les compétences techniques peuvent être facilement mesurées quand il s’agit de la machine, puisque la performance est visible, “observable” (écarts de vitesse, d’altitude … ), les compétences non techniques s’appuient sur le raisonnement de l’élève, ce qu’il a dans la tête. Ce n’est pas comment il fait les choses qu’il faut évaluer, mais pourquoi il les fait. Ce n’est pas comment il va se poser avec ce vent de travers, mais pourquoi il n’attend pas que le grain passe. La tenue de l’axe est bonne et je coche la case dans son livret, mais pourquoi décide-t-il de s’intégrer dans le circuit de piste de cette manière ?
Formation basée uniquement sur les compétences techniques
L’instructeur : « Vire à droite, tu vas te raccrocher directement en étape de base ».
Formation basée également sur les compétences non techniques
L’instructeur : « Tu vois le terrain ? Ok, comment tu prévois ton arrivée dans le circuit ? Très bien, et si l’avion en finale fait un complet ? ».
Il existe donc des processus détaillés de formation basés sur les compétences techniques, existe-t-il des processus équivalents pour les compétences non techniques ? Oui, ces processus existent. Ils s’appuient sur les modèles de compréhension évoqués précédemment : conscience de la situation…et sur des processus d’instruction qui sollicitent spécifiquement le jugement, la qualité des décisions, la gestion des menaces par l’élève.
Ouh la la ! Encore une couche supplémentaire d’obligations, de processus, de cases à remplir ? C’est effectivement un peu plus lourd pour l’instructeur, par contre l’expérience a montré que cela n’entraîne pas plus d’heures de formation. Et c’est assez logique puisque rapidement on apprend à son élève à gérer son environnement et ses risques au lieu de le subir. Mais relativisons les choses quand à une complexité supplémentaire pour l’instructeur. Si nous prenons l’exemple du processus de gestion des menaces et des erreurs, tous les instructeurs sans connaître ses tenants et aboutissants utilisent aujourd’hui ses principes. Ce dont il s’agit avant toute chose c’est de solliciter le raisonnement de son élève et de donner des outils de compréhension, de verbalisation pour que tout le monde parle le même langage, ainsi que des méthodes pour gérer les risques de cet environnement à l’origine de la plupart des accidents.
Un pilote jugé très bon à l’issue d’une formation réduite aux compétences techniques ne sera pas forcément un pilote sûr. Et même au contraire, il se croira bon et à la première plaque de verglas … (c’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle les instructeurs se méfient toujours des pilotes «très bons »).
Bons vols
Comme d’habitude très bon article !
Je me permets de réagir bien qu’étant très étranger à la formation des équipages. Il parrait effectivement de bon sens de faire se développer chez les élèves des connexions en lui demandant, “et là, qu’est-ce que tu fais ? Pourquoi tu le fais ? etc”. Cela rejoint d’ailleurs vos autres articles sur pourquoi les pilotes de planeurs (en tous cas sans moteur) sont-ils meilleurs que les autres.
Il me semble d’ailleurs que c’est le sens du projet IATA “IATA Training and Qualification Initiative (ITQI) Evidence Based Training” (http://www.iata.org/whatwedo/aircraft_operations/Documents/EBT%20one%20pager.pdf). L’idée étant d’arriver à faire appréhender à l’équipage, de leur donner les moyens de réagir de façon adaptée, face à une situation complètement imprévue.
En tous cas, si cette initiative voit le jour, je pense que nous aurons fait un grand pas en avant vers le développement de l’airmanship, cette qualité tant chassée des cockpits ces dernières années
Bien amicalement,
Nicolas
Les contraintes économiques et une standardisation permettent aujourd’hui des formations “mosaïques” (un PPL en Irlande, un IR en Espagne, un CPL en Angleterre, une MCC en Belgique et un ATPL en France). Nous avons sous les yeux le cas d’une formation basée sur les compétences. Chaque étape est acquise parce que les compétences requises sont maitrisées et logiquement la licence correspondante délivrée. Cela ne fonde pas une formation de pilote tout au plus une conformité réglementaire. Saurons nous collectivement remettre en cause cette ignominie ? Ce n’est pas L’ITQI qui va y remédier Nicolas: avec l’ITQI les pilotes ne seront jamais formé sur l’imprévu et pourtant c’est la seule chose importante dans la compétence d’un pilote. Ta vision très “tayloriste” du vol est simplement incompatible avec les objectifs de sécurité de l’activité. La centrale de Fukushima n’a pas été prévue pour fonctionner en présence d’un tsunami, l’Airbus 330 n’a pas été prévu pour “décrocher” et pourtant cela s’est produit que faut il en penser ?
Sais tu que le plafond théorique des avions de la “ligne” ne leur permettaient pas de franchir la cordillère des Andes et pourtant les pilotes le faisaient : un système qualité performant l’interdirait, les pilotes l’ont réussi quand même : l’industrie n’est pas la référence pour l’aérien, l’aventure et l’homme au travail doivent servir de base pour la sécurité des vols.
ITQI ATQP AQP ADOPT … des processus industriels qui tentent de rejoindre les besoins de la réalité… depuis 45 ans ! Ou l’art et la manière (industrielle, réglementaire) de mettre deux litres de compétences dans un volume d’un litre ?
Il faut remonter en 1975 pour voir la FAA s’intéresser à la gestion de la complexité dans les simulateurs (Advanced Simulation). La FAA voulait introduire le CRM dans les simu (la gestion de la complexité, pas seulement la gestion de la communication qui n’est qu’une dérive malheureuse du CRM). Les compagnies étaient réticentes à l’idée de voir les volumes de formation augmenter. La FAA leur a alors proposé de travailler à volume constant ou du moins de démontrer qu’ils pouvaient atteindre leurs objectifs à volume constant ; c’est l’arrivée des processus ISD (construction du programme) et CBT (validation des compétences), milieu des annés 80 de mémoire. Et c’est l’Advanced Qualification Program AQP qui est né chez Boeing. Airbus se devait de réagir et ils ont crée l’ADOPT (AQP Airbus).
Certains essaient de jouer le jeu avec l’introduction de : Situation awareness, Workload management Flight management, Problem solving, Decision making Leadership, Teamwork (NOTECHS…), d’autres éprouvent plus de difficultés à rentrer dans le concept. On parle de LOFT (Line Oriented Flight Training), avec une customisation des risques (ITQI ATQP je crois).
Et le processus ISD (Instructionnal System Design) n’est pas sans poser de problèmes. C’est la construction d’un programme basé sur une analyse des tâches. Et là on retrouve deux sortes de tâches : les tâches observables (donc avion) et les non observables : Situational awareness … ou tâches cognitives (une partie). Dans la MPL, l’OACI dit : si vous pouvez décliner les tâches cognitives c’est mieux, sous entendu ce n’est pas une obligation ! C’est le sujet de l’article.
1975/2012 cela fait 47 ans qu’on essaye d’introduire du training qui traite de la réalité des risques dans les simulateurs ! Il faut faire un parallèle avec les évolutions de la pédagogie (générale) qui suit la même démarche orientée vers la réalité au fil des décennies : elle est passée d’une approche procédurale à une approche systémique avec la gestion de la complexité. La meilleure traduction en aviation c’est l’arrivée de la TEM : « Ah bon ! Il ne suffit plus de dérouler les C/L ? ». Et non, et là que remarque-t-on ? On demande au pilote de sortir de son avion et d’anticiper les menaces, bref de réfléchir. Il existe un postulat de base dans ces processus (ITQI…) c’est que les scénarios d’accident sont imprévisibles et qu’il faut arrêter la surenchère procédurale à chaque accident ou incident. Bon je m’arrête là. Non, je continue : si on fait de la TEM « uniquement » avec des listes pré remplies on a tout faux, on retombe dans les travers de la formation avec un métier réduit en miettes (référentiels) qui n’a plus de sens avec une pédagogie behavioriste (fais comme ça et tais toi). Mais plus tu diminues les volumes plus on te demande des référentiels 😉 Ca se mord la queue, mais pas pour les écoles qui s’appuient sur les référentiels pour former des pilotes à la chaîne bien formaté aux tâches procédurales. Mais attention aux plaques de verglas. Beaucoup de ces élèves (les ab initio) ont un point commun ; quand ils découvrent la vraie vie leur réaction c’est en gros : ce n’est vraiment pas ce qu’on pensait, sous entendu, c’est beaucoup plus compliqué que la simple gestion des procédures.
Mais en fait c’est très simple : à 15 ans c’est parti pour 5 ans de vol à voile et parallèlement à 17 ans le PPL. Instructeur par la suite pendant 2 ou 3 ans, une compagnie régionale vers 25 ans et une major vers 30/35 ans avec 7 ou 8000 heures de vol. C’est pas plus compliqué ☺ Ah j’oubliais, pendant les temps libres, ces pilotes jouent aux échecs, jouent de la musique et exercent une activité manuelle : jonglage ou qq chose comme ça (mental + manuel) !
JG