Au cours de sa formation en 1919, la promotion de Jean Mermoz perd dix-sept de ses pilotes dans des accidents. Lui-même, suite à une panne moteur, s’écrase. Il se casse la mâchoire et un tibia.
Un peu plus tard en Syrie il se pose alors que son avion prend feu dans une région désertique. Son mécanicien meurt de soif alors qu’il est secouru in extremis.
En 1924 Mermoz se fait embaucher par Daurat pour une nouvelle carrière orientée vers La Ligne. Il tombe en panne moteur sur la ligne Casablanca Dakar en Mauritanie Espagnole et se fait kidnapper. Il est relâché après le versement d’une rançon, ce qui ne l’empêche pas dès sa libération de continuer à voler sur la même ligne.
Une nouvelle panne le long de la côte africaine, une nouvelle galère avec très peu d’eau pour survivre (entre autre celle du radiateur de l’avion). Les Maures finalement le capture et il sera à nouveau libéré contre une nouvelle rançon !
En 1928 Mermoz part vers l’Amérique du Sud (vidéo) où il commence à voler sur la ligne Natal-Buenos-Aires, à partir de laquelle il va ouvrir plusieurs autres lignes. Alors qu’il survole les montagnes, Mermoz doit se poser à flanc de montagne sur un plateau en pente en bordure d’un précipice. Une fois posé l’avion continue sous l’effet de la pente à rouler vers le précipice. Mermoz saute de son appareil et s’allonge devant une roue pour immobiliser son avion.
Un peu plus tard, lors d’un vol au-dessus des Andes avec son mécanicien Collenot, il rencontre de sévères turbulences et il se retrouve « posé » à 4200 m d’altitude sur une pente rocheuse par moins 20°, à 150 km des premières habitations. Ils réparent le train d’atterrissage endommagé, ils remontent l’avion le long de la pente (500 m en 8h) et à la première tentative de départ une partie du circuit de refroidissement éclate après la mise en route avec l’eau de refroidissement du moteur qui est gelée. Après une réparation, ils redécollent finalement le lendemain en ayant auparavant pris soin de repérer les zones ( 3 ! ) où Mermoz devra faire rebondir son avion pour éviter des ravines (un schéma du décollage sur la vidéo précédente en hyperlien à 3mn10″). Le retour est épique avec une montée en altitude très difficile et le circuit de refroidissement qui commence à montrer des signes de faiblesse.
Quelques années plus tard il s’attaque avec ses camarades à la traversée de l’Atlantique. Il se pose au milieu de l’océan suite à une fuite d’huile auprès d’un paquebot qui va le repêcher.
En 1930 son avion plein d’essence déjante au décollage et capote, il en sort indemne.
En 1932 entre Alger et Marseille il tombe en panne au milieu de la Méditerranée dans une mer déchainée. On viendra les secourir grâce à la TSF (radio) qui équipait alors son avion.
Vient ensuite l’époque de l’Arc-en-Ciel et finalement l’hydravion Croix-du-Sud à bord duquel il va disparaître le 7 décembre 1936.
Un sacré pilote !
Mermoz était-il conscient des risques ? Oui, et pleinement conscient. À ses débuts environ un tiers des pilotes se tuaient au cours leur formation ! Par la suite, les prises de risque sont toujours très élevées, la ligne doit passer, et à plusieurs reprises dans la littérature nous retrouvons une acceptation des risques, même avec une issue fatale, comme faisant partie du métier. Mais il n’y avait pas de prise de risque inutile, bien au contraire, ce n’était pas un casse-cou ; l’amélioration des machines, de leur fiabilité, était un souci constant chez Mermoz. Son expérience dans le domaine des situations périlleuses était une aide précieuse qui lui permettait de les gérez avec un recul certain. À de nombreuses reprises Jean Mermoz à montré qu’il gérait parfaitement ses émotions.
Pour Mermoz le désir simple de voler évolue rapidement vers le souhait de voir progresser les lignes qu’il défriche, et plus particulièrement celles de la traversée de l’Atlantique vers l’Amérique du Sud. Les machines, les terrains qu’il aménage, les équipages… tout est tourné vers l’accomplissement de son métier dans les meilleurs conditions (ou les moins mauvaises !).
Nous pourrions utiliser les termes qui décrivent certains facteurs d’accidents comme « Objectif destination » ou « Press on-itis », tous ces termes qui tentent de délimiter les limites à ne pas franchir. Mais nous comprenons qu’à cette époque les limites étaient celles des explorateurs face à l’inconnu, difficilement cernables.
Mermoz était physiologiquement très solide. Il a été récupéré inanimé à moitié mort de soif dans un désert alors que son mécanicien ne survivra pas. Il a passé plusieurs jours dans les Andes par moins 20° à réparer son avion (avec très peu d’eau ; elle est gelée). Une constitution qui facilitait la gestion du stress, qui permettait également au cours des longs vols de garder un niveau de lucidité parfois très utile.
Quand Mermoz cherchait un passage dans les Andes pour faire passer la ligne, c’était le skieur hors piste qui cherche à baliser de futures pistes (noires pour beaucoup !). Les embûches étaient nombreuses, une partie de son métier consistait à les identifier pour “ouvrir la ligne”. Il anticipait tout ce qui peut l’être : il évoquait des zones de danger qu’il évitait soigneusement comme les nuages d’orage ou certaines parties du Pot au Noir.
« Quand il avait pris une décision, il ne perdait pas son temps à discuter : il se préparait à agir ». Mermoz évoluait dans un milieu souvent exigeant, parfois extrêmes. Les décisions étaient donc très nombreuses et souvent vitales.
Jean Mermoz à plusieurs reprises a démontré qu’il était un très bon manœuvrier. Avec leurs machines surchargées d’essence au décollage et menées aux limites, il devait tutoyer régulièrement le Cx2/Cz3 mini, et même piloter sous cette vitesse (un cas d’école lors de son décollage dans les Andes).
Concernant le travail en équipage, Mermoz disait ceci “L’harmonie qui devait régner parmi l’équipage que nous formions, dans lequel chacun de nous devais abstraire un peu de sa personnalité pour ne songer qu’au but commun poursuivi, à la réussite d’une tâche que nous étions tous également fier de remplir, fut, si je puis dire, notre plus belle récompense”. Tout est dit.
Pour terminer cet article je vais revenir sur la disparition de Neil Armstrong à l’issue de laquelle un journaliste s’étonnait du comportement de Neil Armstrong qui fuyait les médias, la reconnaissance, les honneurs… Jean Mermoz était de la même veine. Même si les médias en ont fait un héros, Mermoz n’aspirait professionnellement qu’à une chose : faire son métier, tout comme Armstrong, le reste importait peu. Nous retrouvons la même approche dans les propos de Chuck Yeager qui a franchi pour la première fois le mur du son. Quand on lui parlait de héros ou des qualités de l’aviateur, il évoquait non pas les pilotes d’essai ou d’autres pilotes médiatiquement reconnus, mais le pilote inconnu qui monte dans son avion pour effectuer son métier de la meilleure manière qui soit, inlassablement, jour après jour. Une des premières qualités du pilote : l’humilité. Ces pilotes avaient une motivation pour leur métier qui n’avait pas grand chose à voir avec le regard des autres.
Bons vols.
Crédit vidéo : Air France
Référence principale : “Jean Mermoz” par Jacques Mortane, librairie Plon, édition 1937.
Article précédemment publié en aout 2012.
Merci Jean-Gabriel pour ce moment d’histoire et pour le rappel nécessaire que l’ego ne fait pas le bon pilote. Oublions le Mermoz militant d’une cause contestable (ou bien victime d’une certaine naïveté politique). Gardons l’exemple d’un pionnier courageux et habile pilote, l’inverse du casse-cou.