Un chef dans sa cuisine et un pilote dans son cockpit exercent deux métiers très différents, mais qui possèdent de nombreuses similarités, comme la pression temporelle, ou bien des tâches qui nécessitent une grande maîtrise technique, avec toujours une obligation de résultat. Pour faire face à ces difficultés, pilotes et cuisiniers possèdent des ressources communes. Nous avons l’habitude de les décortiquer chez les pilotes, appliquons notre grille d’analyse chez les cuisiniers, au moins sur une partie de ces ressources.
Il s’agit d’observer ici les ressources personnelles des chefs, elles sont indépendantes des compétences nécessaires à l’exécution des tâches. On les regroupe parfois sous le terme engagement, un mot que l’on entend d’ailleurs régulièrement au cours de l’émission Top Chef. Cet engagement s’articule autour de plusieurs facteurs qui possèdent tous, un côté positif en terme de performance avec par exemple une bonne capacité à gérer la pression, et un côté négatif avec une pression qui serait moins bien gérée et qui pourrait entraîner un résultat de moindre qualité.
.
Les ressources personnelles, l’engagement des chefs
La gestion de la pression
La pression est une contrainte qui peut-être externe avec par exemple des tâches à accomplir dans un délai très court. Elle peut être également interne avec un besoin d’accomplissement personnel : « Il faut que j’y arrive, je peux le faire ».
Chez les pilotes.
La pression psychologique exercée sur les pilotes pose un vrai problème de sécurité puisque cette pression les pousse à prendre des risques et elle est relevée dans de nombreux accidents. En fonction des circonstances on lui donne plusieurs noms : « Press-on-itis » ou “get-home-itis,” “hurry syndrome,” “plan continuation” “goal fixation.”
Chez les chefs.
Parmi les différentes sortes de pression nous pouvons retenir ici, la pression temporelle qui au cours des épreuves est très importante, ainsi que la pression du résultat avec la qualité du plat qui sera présenté. Les chefs ont un petit avantage sur les pilotes dans la mesure où ils peuvent réduire une partie de cette pression temporelle en choisissant un plat moins gourmand en temps de préparation, ou en utilisant des techniques pour gagner du temps. Naoëlle n’a pas hésité à sortir des sentiers battus à plusieurs reprises pour « rester devant l’avion », c’est-à-dire pour ne pas se laisser déborder « Je sais que ça ne se fait pas, mais je vais gagner du temps ». Jean Philippe de son côté tenait à exécuter certaines tâches suivant les règles de l’art, ce qui entrainait parfois une pression temporelle supplémentaire : « Je suis en retard tout le temps ».
L’attitude
L’attitude est un état mental ou une disposition à réagir de telle ou telle manière. Cette manière va donc conditionner la façon dont vous allez vous acquitter de vos tâches.
Chez les pilotes.
Dans le milieu aéronautique nous traquons les attitudes peu propices à l’exercice du métier : impulsivité, anti-autorité, invulnérabilité, macho, résignation. Ces attitudes ont pour point commun une faible remise en question. Si nous recherchons le côté opposé de ces comportements, nous obtenons : calme, respect des règles, conscience des risques, humilité, pugnacité.
Chez les chefs
Tout est fait pour déstabiliser les Chefs pendant les épreuves. La pression est telle qu’il peuvent parfois perdre leur calme, mais ils savent très rapidement se reconcentrer sur leurs tâches. C’est l’avantage d’effectuer un métier qui ne laisse pas de temps morts, les temps pour gamberger sont rares. Le respect des règles peut se traduire ici par le respect des produits, des règles d’hygiène et des règles de l’art « Normalement on n’utilise pas un cutter pour … ». Tous les Chefs sont respectueux des règles et quand ils les transgressent c’est sous la pression de circonstances exigeantes. Si parfois les règles de l’art sont transgressées, les règles d’hygiène ne le sont semble-t-il jamais (Safety First). La conscience des risques est permanente « Je vais déjà en cuire un pour faire un essai, je ne peux pas me tromper ». Ils sont sans arrêt confrontés à des choix plus ou moins risqués, ils le disent d’ailleurs régulièrement « Je ne prend pas de risques, j’ai aussi des clients amateurs, donc j’assure avec de la simplicité». L’humilité est une des premières qualités recherchées chez un pilote puisqu’elle va lui permettre de se remettre sans arrêt en question. A ce niveau de maîtrise du métier, nous pouvons en déduire qu’ils possèdent tous cette qualité. Concernant la pugnacité, alors là, chapeau bas. Ils ne lâchent pas le morceau comme ça. Cette qualité, ne jamais baisser les bras, a été mise en évidence chez les pilotes qui ont réussi à se sortir de situations très périlleuses. On a parfois coutume d’appeler ce trait de comportement : « Savoir mordre dans le coussin » ! Ah oui, eux ils bossent debout !
La gestion des émotions, le stress
Le stress est un mécanisme d’adaptation qui entraine des pulsions primitives en rapport avec le processus de survie. Son origine remonte à la nuit des temps et il a pour but de se préparer à affronter un danger ou une situation inconnue. Il apparaît chez un individu lorsqu’il existe un déséquilibre entre son évaluation de ses ressources pour effectuer une tâche et le niveau exigence de cette tâche : « Je n’y arriverai pas ». Le stress est une alarme qui vous dit : « Méfiez-vous ».
Chez les pilotes
Ce n’est pas pour rien que le stress est un sujet particulièrement décortiqué dans le monde aérien. C’est une vraie plaie dans la mesure où, si ce phénomène était particulièrement bien adapté chez l’homme de Cro-Magnon qui se retrouvait face à un ours, ses symptômes peuvent polluer gravement la performance des pilotes avec entre autre, l’apparition d’une torpeur mentale qui affecte son raisonnement. Il existe trois réactions face au stress (face à l’ours) : je fuis à toutes jambes, je fais face et je me bats, ou j’abandonne le combat et je reste prostré là en attendant que l’ours me grignote. En vol, la fuite ou l’abandon peuvent poser des problèmes !
Chez les chefs
Là encore, tout est fait dans le concours Top Chef de la part des organisateurs pour placer les concurrents dans des situations stressantes (la pression entraîne du stress). Le stress traduisant la peur du futur, les Chefs n’ont malheureusement pas toutes les cartes en main puisque le futur (leur qualification) dépend également des autres candidats. Quand Naoëlle au début de la dernière épreuve dit : « J’étais bloquée », elle était confrontée à la barrière du stress qui l’empêchait d’accéder à la partie raisonnement de son cerveau. Il faut alors retrouver le fil sur lequel se raccrocher pour sortir de cette mélasse mentale, l’expérience joue alors un rôle important. A la fin de l’épreuve elle précisera « Je manquait un peu d’assurance », c’était en effet la porte ouverte au doute et donc à l’inconnue, et donc au stress. Un autre symptôme du stress c’est l’impression que le temps se contracte « J’ai l’impression que le temps passe très vite » nous dit Jean Philippe. Ce temps leur est déjà très précieux, mais en plus, sous stress, ils ont l’impression que tout va leur sauter à la figure, ce qui n’est pas forcément toujours le cas.
La motivation
La motivation est une énergie qui va nous pousser à agir avec enthousiasme, persévérance, assiduité. En fonction de la variabilité des situations rencontrées, de leur complexité, l’exigence du métier peut-être très élevé et la motivation est alors une qualité qui entraînera une importante implication (ou engagement) et par conséquent des compétences toujours plus solides, comparativement à un individu qui se contenterait d’accomplir ses tâches comme d’habitude.
Chez les pilotes
Une fois de plus, il a été démontré que les meilleurs pilotes sont les plus motivés. Dès l’école de pilotage les plus motivés progressent plus rapidement. Même sans avoir les dispositions des meilleurs, les plus motivés se remettent plus facilement en question.
Chez les chefs
Les trois chefs parlent régulièrement de leur motivation, elle dépasse largement le cadre de ce concours. Et, ils suffit de les écouter pour comprendre quel est le levier de cette motivation, ils aiment leur métier.
La physiologie
Il faut faire la différence entre l’aptitude physique avec des capacités physiques précises qui relèvent de la médecine du travail ou de l’aptitude médicale, et la forme physique qui va se traduire par des capacités comme la résistance à l’effort.
Chez les pilotes
Les pilotes travaillent assis ! C’est un peu une boutade, mais ça aide quand même à résister à la fatigue. Il existe d’autres contraintes physiques, mais on s’y habitue assez bien.
Chez les chefs
Tenir dix heures debout dans une cuisine en gardant toute sa lucidité malgré la fatigue qui s’accumule, il vaut mieux être en forme. Un autre intérêt d’une bonne forme physique c’est une meilleure résistance au stress.
Morceaux choisis
« Putain, j’ai oublié les frites ». “Je me mets une pression d’enfer ». « Les autres vont faire mieux, ne penses pas aux autres ». « Pour moi, ce que je fais c’est jamais bien, parce que je veux la perfection ». « Même si je vais dans le mur, je ne fais pas semblant, j’y vais à fond ». « Dans les moments cruciaux, il était là. »
Dans une autre vie
Pour terminer, voici un clin d’œil (en précisant que les qualités et les compétences des pilotes ne sont pas proportionnelles au tonnage de leur machine) :
Naoëlle est Pilote de ligne. Chez elle tout est carré, procéduralisé. Elle peut faire des atterrissages CAT III (très mauvais temps) avec en finale des plats toujours superbement dressés. Son niveau d’exigence est un exemple pour tous ses copilotes.
Florent est le Pilote de brousse par excellence. Il est capable de se poser dans un champ de foin (il a osé dans un grand palace servir un plat à base de foin !). Un moteur, un peu d’essence et une paire d’ailes, ou un poulet, un morceau de beurre et trois patates (et du foin), et c’est parti; le bonheur est dans le pré.
Jean Philippe c’est le Pilote des hommes d’affaire, qui doit s’adapter toujours à des situations très variées tout en restant zen et toujours de bonne humeur, même quand ses clients lui demandent de décoller à 3h du matin. Si ces derniers sont parfois un peu inquiets pendant le vol, l’atterrissage se fait toujours en sécurité avec des plats parfaitement cuits et assaisonnés.
Bons vols