Voici le retour d’expérience d’un pilote qui va s’enferrer avec ses certitudes dans une situation qu’il ne comprend pas. Depuis ce vol il porte un tout autre regard sur son activité. Ses commentaires sont complétés par une analyse effectuée avec l’outil d’Auto Débriefing.
Je me rends compte de l’erreur monumentale que j’ai commise
Ce samedi après midi, nous décidons, mon fils et moi, de prendre le Fournier RF-6 pour la destination d’Andernos. Il fait un temps magnifique. J’effectue la visite prévol, la mise en route moteur et j’annonce à la radio (nous sommes en auto information 123,50) que je roule vers le point d’arrêt. Au point d’arrêt : test magnéto et réchauffage carbu puis Check de l’A-C-H-E-V-E-R et message radio pour indiquer que je pénètre pour remonter la piste et m’aligner.
Ce message venant d’être passé, j’aperçois sur ma droite, à un autre point d’arrêt situé plus en milieu de piste un autre avion (type Robin) qui pénètre lui aussi la piste sans passer de message. Et c’est à ce moment là que tout bascule. Je suis furieux . Quel est cet individu qui me « grille » la position sans passer de message ?
Je suis persuadé que cet avion à une radio qui fonctionne et qu’il force le passage. Je reprends la main sur la radio en interpelant le « sans gêne », en vociférant, en lui disant que je suis dans sa trace et que je remonte la piste en même temps que lui. (je sais pourtant qu’Il est formellement interdit de pénétrer une piste lorsqu’un autre usager l’utilise, même si il est au roulage pour la remonter).
Dans cet autre avion, qui me précède maintenant, pas de réponse. Silence radio. Alors je pense : Le pilote ne dois pas être fier, il ne doit pas être très à l’aise après avoir reçu mon message (pas très agréable, je l’avoue).
Il arrive maintenant en bout de piste et je le vois effectuer son demi-tour pour s’aligner et décoller. Toujours pas de message. J’entends toujours ce petit crachotement caractéristique « des bonnes radio » de l’aviation légère qui me conforte dans l’idée que ma radio fonctionne.
Je suis maintenant face à face avec lui. Une distance de 150 mètres environ nous sépare. J’essaie à nouveau de rentrer en contact radio mais en vain. Je rase le coté droit de la piste, prêt à foncer sur le coté, hors de la piste, s’il met les gaz. Il reste immobile. Il m’a vu. Il s’écarte pour que nous nous croisions et se replace en alignement pour décoller. Je n’entends toujours pas de message quand il décolle. Je fais demi-tour, m’aligne, passe mon message et décolle.
C’est en vol, en quittant la fréquence et en affichant celle de la Rochelle, que je me rends compte de mon imbécillité, de l’erreur monumentale que j’ai commise et qui aurait pu connaître de graves conséquences .
En effet, ne recevant aucune émission radio de La Rochelle, je switch sur la fréquence Aquitaine Info et le résultat est identique. Je suis maintenant affairé à « trifouiller » tous les boutons de radio (j’en ai deux), le volume faible, fort, off, on, les fréquences, le squelch avec ou sans, les prises casques , etc… tout y passe ! et d’un seul coup, ca y est, j’entends Aquitaine Info.
Dans ces moments là, on se sent stupide et nul. En ce qui me concerne, je ne dis rien au passager mais j’ai du mal à finir mon vol avec sérénité. Je suis honteux de mon attitude, de savoir que mon obstination à vouloir insister aurait pu finir très mal.
Commentaires de l’auteur du REX
Avec le recul, je réalise que rien ne justifie d’outrepasser les règles de sécurité. Je vole depuis une vingtaine d’années, je n’ai jamais cassé d’avion mais cette fois ci, je me suis fait peur à postériori.
J’ai appris deux jours plus tard que le pilote qui me précédait, et dont la radio fonctionnait évidement très bien, était un pilote très expérimenté qui lui n’a pas baissé sa vigilance et c’est peut être ce qui a évité un accident. Je crois aussi que le fait de bien connaître le terrain sur lequel s’est déroulé l’évènement, le fait que je me sente un peu trop « chez moi », m’a conduit à prendre de grosses libertés avec les règles et à faire la plus grosse ineptie de ma vie de pilote.
Autre enseignement : sur un terrain en auto information, faire un essai radio avec les avions en tour de piste ou au roulage « ne mange pas de pain ». Et puis sur le plan plus personnel, que je ne peux pas détailler ici, je me souviendrai qu’il vaut mieux s’abstenir de voler lorsqu’avant de monter dans l’avion on est déjà très énervé.
Cette journée là, j’ai oublié que piloter un avion demande du sang froid, du calme et de la rigueur.
Débriefing
Utilisons l’outil d’Auto Débriefing et sans hésiter nous rentrons dans la case ATTITUDE.
Après avoir consulté la liste des différentes failles, voici ci-dessous les trois menaces sur la sécurité du pilote que nous avons retenus, avec les bonne pratiques associées. Ces menaces sont accompagnées d’un commentaire destiné à les recontextualiser par rapport à l’évènement. Il est délicat avec un regard extérieur de se prononcer sur certaines attitudes personnelles (macho…), elles n’ont donc pas été retenues.
Excès de confiance en soi
L’excès de confiance peut vous entraîner au-delà de la limite de vos compétences avec le risque de voir apparaître des situations périlleuses. Alors ne soyez pas trop sûr de vous et essayez de trouvez le bon réglage de la confiance, par rapport à vos capacités. C’est une vraie qualité chez un pilote.
Commentaire : L’expérience de ce pilote expérimenté est à double tranchant. Dans cet événement le pilote avait une certitude qui s’est avérée fausse.
Impulsif
Réfléchissez d’abord ! En aviation nous avons coutume de dire : « Quand il y a le feu à bord, il n’y a pas le feu ». Dans toutes les situations, même dans l’urgence, prenez le temps de réfléchir pour prendre la bonne décision du premier coup.
Commentaire : Dans le cas présent, le pilote étant encore au sol avait la possibilité de lever le doute, mais cette décision nécessitait une prise de recul. Or, nous savons que les émotions sont un frein à la lucidité : “Je suis furieux”.
Ne lève pas les doutes
Si vous êtes une personne plutôt cool, attention, la différence entre une situation normale et une situation périlleuse c’est : juste un simple oubli, quelques secondes d’inattention, un bagage mal arrimé … Avoir des certitudes dans une activité à risques est indispensable.
Commentaire : C’est clair notre pilote n’était pas dans la case cool. Par contre, les certitudes font partie du bagage du pilote à condition qu’elles correspondent à la réalité, sinon danger !
Le pilote n’avait pas conscience de la situation dans laquelle il était, alors cliquons également sur la rubrique CONSCIENCE DE LA SITUATION, le radar mental du pilote, et nous pouvons retenir l’item suivant :
Une divergence entre le pilote et son entourage.
Votre perception de la situation diffère de votre entourage. Possédez-vous les mêmes informations? Informez-vous, levez les doutes, faites preuves de bon sens. Et si vous êtes sûr de vous, défendez votre point de vue et refusez de vous posez avec du vent arrière.
Commentaire : Il existait bien un conflit avec l’entourage de ce pilote, avec une information manquante : la panne de sa radio. Ici c’est l’absence de doute qui constituait le vrai problème.
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Merci à Daniel PLINIO pour ses photos. Voici son blog si vous voulez faire une petite escale au Brésil.
REX FFA n°169 diffusé avec leur aimable autorisation.
Bons vols
Il n’y a pas de petits ou de grands accidents, alors il n’y a pas de petits ou de grands pilotes. Que l’avion fasse quelques centaines de kilos ou quelques centaines de tonnes, un commandant de bord est un commandant de bord et son autorité est de même nature.
On croit encore que le professionnel travail en équipage et que le pilote de loisir vole seul. Le pilote de loisir est en équipage avec lui-même. Il a cette petite voix intérieure qui dit de faire ou de ne pas faire, comme un copilote virtuel qu’on écoute ou pas. Chacun toujours emporte son nebensmensch.
Ce qui veut dire que dans ce rex, tout ce qu’on peut dire par ailleurs en matière de facteur humain s’applique . Le commentaire fait ici par l’administrateur du site est alors pertinent. Mais allons un peu plus loin dans l’analyse de l’autorité de ce commandant de bord et ses décisions. Disons pourquoi autant que comment, alors nous saurons comment ne pas refaire. De quels indices disposons nous ? Un pilote qui se définit comme expérimenté, qui se décrit comme chez lui dans son aéro-club, sur son terrain. Il est avec son fils. Son comportement est une colère certes, mais c’est surtout une punition envers l’autre, une sanction de son comportement, c’est à dire une manifestation d’une forme pervertie de l’autorité. Il est assez aisé de la qualifier de forme « roi-lion » d’une part dans la réaction de colère et le sentiment de blessure dans l’agression sur son territoire. Il faut aussi la qualifier « d’avocat pervers » dans le sentiment de se croire autorisé à réagir ainsi. On a ensemble un commandant de bord autoritaire envers l’autre et laisser-faire envers lui-même. Selon les critères de l’analyse transactionnelle on a l’expression d’un moi parent exacerbé qui s’adresse à l’autre qui dans son silence forcé apparaît comme enfant soumis. Mais l’auteur est aussi dans son dialogue solitaire intérieur un moi enfant qui renforce son moi parent censeur. – « Il faut punir l’importun, j’en ai le droit, c’est bien de le faire, alors je le fais ! » L’autorité du commandant de bord vient de glisser subrepticement de l’autoritaire à la puissance et la faute est commise. L’accident est psychologiquement armé, en route. On peut comparer ce glissement au déroulement du scénario de jeu ressemblant à une célèbre scène de film avec James Dean.
Le fait de ne pas recevoir de réponse au jeu de l’engueulade renforce sa colère, son sentiment de droit au respect chez soi. Ce silence qui brise le scénario explique son renforcement et le fait de devoir le rejouer aggravé en remontant la piste dans un affrontement face à face ou l’autre ne peux se dérober. Affrontement de maîtres au jeu stupide de qui pliera et sera l’esclave du maître. La bourse ou la vie devient la piste ou la vie. Vu de l’extérieur c’est incroyablement stupide. Vu de l’intérieur c’est d’une logique implacable et doit se poursuivre jusqu’au bout.
Heureusement ce jeu trouve en face de lui un autre pilote dont le moi adulte refuse l’affrontement, refuse d’entrer dans le scénario. L’analyse transactionnelle nous apprend que le discours adulte est le seul capable de briser le jeu ou intervient un discours parent ou enfant.
Voilà pourquoi, au-delà du seul décryptage facteur humain, il faut informer tout les pilotes, y compris ceux qui ne se sentent pas concerné par ce qu’est l’autorité parce que croyant ne pas en exercer dans la solitude de leur aviation de loisir de ce qu’est l’autorité et comment elle s’exerce pour savoir détecter les formes perverses et comment en sortir. Cela n’est pas juger. Ce n’est que proposer à chacun la réflexion et l’analyse de sa conscience.
Quant à la rédaction de ce rex c’est une belle et sage décision. C’est une décision parce que basée sur une règle morale supérieure et une indignation vis à vis de soi-même dans les prémisses d’une analyse.