Dans les vidéos ci-dessous deux pilotes vont se retrouver dans des situations périlleuses. Le premier, peu expérimenté, va perdre littéralement les pédales. Le deuxième est un professionnel qui va effectuer ses tâches avec une parfaite maîtrise de ses émotions malgré un contexte particulièrement menaçant. Ils vont être confrontés à ce qu’on appelle “l’effet de surprise”, un phénomène connu et étudié dans notre milieu.
Avant de regarder cette première vidéo, sachez que le pilote et ses passagers qui sont à bord d’un Cessna 172 vont sortir indemne de cette aventure. Même si vous ne comprenez pas l’anglais vous allez tout de suite comprendre que ce pilote est dans un sacré pétrin, en l’occurrence dans les nuages, alors qu’il ne maîtrise pas le vol aux instruments.
Ce premier pilote en perdant le contrôle de sa machine s’est retrouvé submergé par ses émotions, c’était même la panique. On notera le professionnalisme du contrôleur qui a certainement contribué à “déstresser” un peu ce pilote. Bien que le contrôle aérien ne lui était pas d’un grand secours pour récupérer le contrôle de sa machine, le réflexe de contacter l’ATC quand quelque chose ne va pas est une bonne chose.
Voici un deuxième séquence avec un pilote de F16 qui, une vingtaine de secondes après le début de la vidéo, va être touché par un missile ennemi, son moteur endommagé va s’arrêter (F16 = un seul réacteur). Il va tenter de le rallumer sans succès. Il sait alors qu’il va devoir s’éjecter (et du côté des méchants !). Là encore, pas besoin de maîtriser l’anglais pour comprendre que ce pilote possède un grand sang-froid.
Bien que ces deux situations soient totalement différentes, osons un raccourci en disant que dans la première vidéo, le pilote panique à bord d’un avion en parfait état de vol, alors que dans cette deuxième séquence, le pilote est d’un calme olympien dans un avion où plus rien ne fonctionne ! Évidemment, ce n’est pas si simple.
Pourquoi cette différence de comportement ?
Ces situations ont deux facteurs en commun : elles surviennent soudainement, et comportent des risques importants, donc générateurs de stress. Or, l’intensité de ce dernier, sa gestion, va conditionner le comportement des pilotes. Sous l’influence d’un stress particulièrement intense, le pilote peut se retrouver dans un état de sidération : il gère machinalement sa machine sans comprendre ce qui se passe. Déconnecté du vol, il devient alors très vulnérable, en effet, si lui est en mode Pause, sa machine ne l’est pas. Une étude sur des scénarios similaires a démontré qu’il fallait en moyenne une trentaine de secondes avant qu’un individu recouvre complètement ses esprits. Nous pouvons également être dans le déni, un mécanisme d’adaptation : mais non, la pression d’huile n’est pas à zéro ! La tunnelisation mentale, symptôme de stress, va venir perturber nos tâches et notre vision globale du vol. Une conséquence commune à toutes ces pollutions mentales c’est la rétraction de notre conscience de la situation, un problème que l’on retrouve dans 80% des accidents.
Le pilote du Cessna ne maîtrise plus la situation, il a perdu le contrôle de sa machine pendant un moment. Il ne sait visiblement pas quoi faire, à quoi se raccrocher. Subissant la situation, la perception de son avenir proche est plutôt sombre, ce qui explique sa réaction. Il n’a jamais auparavant imaginé se retrouver dans une telle situation, et il n’a peut-être pas été entrainé pour ça. Quant à sa capacité à résister au stress, elle n’a sans doute jamais été évaluée.
Le pilote du F16 est de son côté mieux armé (!). Bien que son avion soit en piteux état, il le maîtrise (en mode planeur) et il le pilote. Il sait qu’il doit communiquer avec son entourage, il tente un rallumage ; occupé, il sait exactement ce qu’il a à faire, il est dans l’action. Un autre facteur qui facilite la maîtrise des émotions de ce pilote c’est qu’il est assis sur un siège éjectable avec tout ce que cela comporte. En l’occurrence cette situation critique, où il va devoir s’éjecter, fait partie du job, il est dans l’acceptation : “Ça y est, j’y suis”. Il a également de bonnes raisons de penser qu’il va pouvoir s’en sortir vivant. Quelques années auparavant, sa capacité a résister au stress a été évaluée et jugée satisfaisante pour faire ce métier. Pilote aguerri, il a certainement été confronté au cours de sa carrière à d’autres situations qui ont forgé un peu plus sa résistance au stress.
Nous sommes inégaux face à ces situations
Au cours d’une expérimentation dans un Full Flight Simulator, les pilotes au cours d’une approche manuelle en vol aux instruments ont été confrontés, à l’approche des minimas, en condition de vol IMC, à une alarme majeure (Feu cargo). Un tiers des pilotes a réagi correctement, un autre tiers également mais pas immédiatement comme on pouvait l’attendre, le dernier tiers n’a pas réagi comme il convenait. Il est question ici de la dégradation des performances qui s’avère être proportionnelle au niveau de stress. Or, les deux tiers des pilotes n’ont pas réagi de manière optimale, principalement, à cause du stress alors qu’ils étaient dans un simulateur ! Comment les pilotes vont-ils réagir dans la réalité avec un niveau de stress qui sera beaucoup plus important ?!
Quelques conseils
- Si vous êtes confrontés à une situation délicate, périlleuse, dangereuse… soudainement, votre première priorité c’est de voler ! Ma machine continue-t-elle à voler ? Nous allons faire l’hypothèse que oui : alors pilotez là, c’est votre priorité.
- Si nécessaire, prenez des mesures conservatoires pour continuer à voler ou pour préserver ce qui peut l’être ? Le moteur ou la machine s’est mise à vibrer après avoir heurté un oiseau ? Réduisez la puissance. L’alarme bas niveau de carburant vient de s’allumer ? Passez en long range, mettez le cap vers le terrain le plus proche, vous réfléchirez après pour savoir si vous pouvez l’atteindre ou non.
- Sur un avion évolué, ou un avion de ligne, lorsque les alarmes sont trop nombreuses pour comprendre ce qui se passe, commencez par vous raccrochez-vous à l’essentiel : ça pompe, ça chauffe, ça graisse ! Je vole et le moteur tire (ou pousse). On respire à fond et on réfléchit.
- Quand un feu survient, nous avons coutume de dire : “Quand il y a le feu à bord, il n’y a pas le feu”. Évitez la précipitation. Mieux vaux perdre quelques secondes et sélectionner le bon réservoir, ou prendre la bonne décision (analyse, bilan, décision), plutôt que de regretter ce qu’on vient de faire trop rapidement.
- Raccrochez vous aux procédures si elles existent (panne moteur, évacuation…). Ce qui implique de les connaître.
- Votre principale challenge est d’éviter les situations qui vous dépasse, alors ne jouez pas avec le feu, et faites tout pour rester dans votre zone de maîtrise.
- Beaucoup plus concrètement, si par mégarde vous pénétrez dans les nuages, avec un avion équipé d’un horizon artificiel, concentrez-vous instantanément sur celui-ci et sans délai. Cette vitesse de transition entre le vol à vue et le vol aux instruments est cruciale et très délicate si vous n’êtes pas qualifié pour voler aux instruments. Vous pouvez utiliser alors la technique qui consiste à annoncer à voix haute les paramètres recherchés : “Assiette 0, inclinaison 0”. “Assiette -1°, inclinaison 10°”… C’est très efficace.
- Quand vous êtes dans la panade n’hésitez pas à faire part de vos problèmes à l’entourage. Un instructeur sur la fréquence, un pilote expérimenté, un contrôleur, pourra peut-être vous aider.
- Si vous avez appris à effectuer un demi-tour aux instruments ou si vous volez avec un parachute, il y a des raisons. Même si la probabilité de se retrouver dans une situation périlleuse est faible, pensez-y et pourquoi pas, vivez la (visualisation). Cela améliorera vos capacités, votre vitesse d’adaptation, d’acceptation, le jour où tout ira de travers.
- La connaissance des phénomènes de régression mentale liés à l’effet de surprise doit dans un premier temps vous donner du recul le jour où la situation se présentera : je n’arrive plus à me concentrer… c’est normal ; vous avez le temps de reprendre vos esprits, pas de précipitation. Cela doit également vous inciter à apprendre ou réfléchir aux contre-mesures face aux menaces que ces situations peuvent entraîner propres à chacune de vos activités.
Bons vols
Photo : Daniel à un meeting Axalp. C’est une véritable photo prise depuis une montagne.
Bibliographie :
Gestion des risques & Maîtrise du vol – DGAC. Nathalie De Ziegler et Dr Stéphanie Moinet.
The effects of stress on pilot reactions to unexpected, novel, and emergency events. Author : Martin, Wayne, Bates, Paul, Murray, Patrick.
https://www.skybrary.aero/bookshelf/books/3752.pdf
Article à l’origine publié en octobre 2013, légèrement remanié.
ca m’est arrivé récemment. Vol (un tour sur la ville) programmé en RH44, passager arrivant avec une heure de retard. Beau temps au nord, sud caché par les hangars. Au moment du décollage, inversion du vent, qui passe du nord au sud. La tour me donne le OK, je décolle coté Sud et je vois une masse nuageuse mais le soleil est proche. Le temps de comprendre et de regarder devant moi, je me retrouve, casi en sortie d’aérodrome, dans le brouillard – 800 pieds – je décide d’un 180° immédiat, je tourne à gauche (il y a, je sais, des antennes assez haute à droite) et ca s’empire nettement. Black out total, mon passager commence à se faire du soucis, je regarde mes instruments, je suis en descente, je remonte, je gère l’inclinaison…. et je retrouve l’autoroute sous la machine à 700f. La tour gentillement m’appelle pour savoir si tout va bien et me conseille de rentrer, je réponds, tout le monde est tranquille, je fais mon initiale avec un beau soleil, je pose la machine, je souffle. 8 minutes de vol dont 3 de mise en route, 45s en totale perte de visibilité. Première expérience non voulue, pas vue venir je l’avoues. Je pense que je suis resté calme (ma monte cardio ne montre pas de stress cardiaque), peut être aurais-je dû monter pour passer la couche et rechercher un trou mais bon…. ca arrive vite !
Super, pas toujours évident de garder le neocortex branché 🙂
Experience perso en planeur, largué au treuil 300 m sol, j’insiste trop pour trouver une ascendance (car un nouveau départ me ferai perdre 45 minutes) , -100m, -120m , je ne trouve pas la pompe, lors de la sortie de spirale, je me mets en ligne droite et pense me caler à mes repères capots habituels (surement incompatibles avec la basse hauteur et les collines environnantes) et la j’effondre la vitesse , gentils décrochage …. je comprends et reprends vite de la vitesse, part en étape de base pour me poser. Une grande leçon d’humilité
Article très intéressant !
“Même si la probabilité de se retrouver dans une situation périlleuse est faible, pensez-y”
Cette phrase pointe vers l’une des composantes de l’ “Airmanship” , qui est la Gestion des Menaces et des Erreurs (Treat and error management – TEM).
En résumé : anticiper sur de possibles problèmes directement liés au vol du jour, et déjà ébaucher des solutions possibles ; Appel à l’imagination !
“Anticipe” , comme le disait mon vieil instructeur.
Le grand avantage de cette philosophie (plus qu’une méthode), est de reculer le moment où les évènements vous font sortir du domaine entraîné, connu ou réfléchi. Car c’est le manque de solutions apparemment disponibles qui pousse à la vulnérabilité bien décrite ci-dessus.
Et même arrivé à ce point-là, si un peu de temps est disponible, les Anciens, qui ont posé tant de questions, avaient une amorce de réponse, en énonçant à haute voix (bonne idée!) : “la solution devrait me donner tel résultat, et devrait donc ressembler à …” ce qui oriente la recherche et la rend plus efficace.
Jean Breuls –