LE BLOG, PILOTE PROFESSIONNEL

La Pressionnite

Nous appellerons dans cet article « Pressionnite » ce que les anglo-saxons appellent « press-on-itis », « to press on » voulant dire continuer, persévérer. Il y a bien ici une notion de pression, mais que l’on s’inflige à soi-même. Il s’agit d’un phenomène psychologique ayant une relation avec les incidents et accidents. La pressionnite est définie par le fait d’avoir continué une action en direction d’un but prévu préalablement, alors que les conditions du moment indiquaient clairement qu’il y avait des alternatives plus sûres. On lui donne souvent d’autes noms comme « fascination d’objectif », « continuation de plan » et parfois « hurry-up syndrome » bien qu’ici s’ajoute la précipitation.

La pressionnite est le résultat d’une erreur dans la prise de décision. Le pilote va continuer vers son objectif initial alors que tout devrait lui indiquer qu’il doit modifier son plan. Voici quelques exemples ou la pressionnite fait son oeuvre:

Le pilote décide de partir alors que la météo est mauvaise, car le vol était programmé.

Le pilote en VFR continue son vol en IMC.

Le pilote atterrit sous un orage localisé au lieu d’attendre à proximité.

Le pilote effectue plusieurs percées aux instruments alors qu’il n’est pas prévu d’amélioration.

Le pilote contiue son vol alors que sa consommation est plus forte que prévue et ses réserves minimales.

Une approche non stabilisée est poursuivie jusqu’à l’atterrissage.

Le pilote IFR passe sous ses minimas d’atterrissage.

Le pilote décolle en surcharge pour emmener la charge prévue.

Dans une étude sur des accidents et incidents en approche et à l’atterrissage, en transport public, la Flight Safety Foundation a déterminé que 74% des cas avaient eu au moins partiellement pour origine des prises de décision inadéquates, dont 42% des cas relevaient de la pressionnite. Le facteur suivant était une erreur involontaire dans les procédures (72%), et encore 40% des cas relevaient d’un non respect volontaire des procédures (violation). Interrogés sur ces déviations volontaires, les pilotes répondaient d’une même voix « qu’il leur avait paru que c’était la chose à faire en fonction des informations dont ils disposaient à ce moment ».

Qu’est ce qui peut faire que des pilotes professionnels bien intentionnés puissent prendre des décisions qui avec le recul paraissent grossièrement inappropriées. Les équipages doivent respecter de très nombreux règlements et procédures. Il leur est demandé de choisir des stratégies sûres compatibles avec la rentabilité de leur compagnie. Cependant les rapports d’accidents montrent souvent des déviations faites avec les meilleures intentions. On voit que les pilotes se mettent eux mêmes la pression pour réaliser un objectif. On  déduit aussi que c’est par manque d’anticipation, d’évaluation des risques, que la pression monte toute seule, nous rendant incapables de modifier nos plans. Bien souvent, quand ça se termine mal, les différents scénarios possibles n’ont même pas été envisagés, et les briefings ont été négligés.

Les arguments entendus, quand on essaye de savoir ce qui a poussé les pilotes, sont du genre:»On y est presque, ça devrait le faire », »La ligne doit passer »,« L’heure c’est l’heure, et la ponctualité compte », »Si nous dégageons la charge de travail va être forte ». Les autres facteurs que l’on trouve sont entre autres: la saturation, la fatigue, la surconfiance, l’esprit de compétition, le sentiment que rien ne pouvait arriver, la peur de perdre la face, une faible conscience de la situation, une préparation et une anticipation insuffisante.

Comment lutter contre la presssionnite ? Il s’agit d’un phénomène intimement lié aux organisations et aux personalités. Il faut donc mettre en oeuvre l’ensemble des moyens dont on dispose en matière de sécurité:

– Bien gérer l’équipage, la machine et les automatismes (CRM).

– Planifier, anticiper, évaluer les riques, envisager les scénarios probables (TEM).

– Avoir, au niveau de lacompagnie ou autre organisme, une bonne culture de la sécurité (SGS).

– Enfin et surtout, chaque pilote ne doit avoir qu’un seul objectif principal : voler toujours avec le plus haut niveau de sécurité qu’il soit capable de réaliser. Et croyez moi, réaliser cet objectif est passionnant.

Bons vols

Version 2 : légères modifications destinées à éviter des contre sens.

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