Liminaire

La licence MPL semble s’inspirer des techniques pédagogiques les plus sophistiquées pour atteindre des objectifs ambitieux : la compétence des pilotes. De nombreuses recherches d’optimisation de la transmission des savoirs existent. La méthode retenue semble privilégier la « socialisation des métaphores ». Cette théorie est déjà utilisée dans l’industrie automobile et a permis des gains significatifs dans les coûts de formation. Est-elle transposable pour la formation des pilotes ?

Caractéristique de la compétence du pilote

Un pilote compétent est une absolue nécessité dans un poste. Cette compétence est le résultat d’une appropriation individuelle d’une culture collective construite depuis plus de 100 ans par les pilotes qui nous ont précédés. Elle s’est construite dans la douleur et fonde sa légitimité dans la vie perdue de nombreux collègues et passagers. C’est notre patrimoine, notre richesse et notre spécificité.

Cette compétence est l’addition d’une aptitude et d’une formation. A ce stade il serait vain de vouloir privilégier l’aptitude au détriment de la formation. Un pilote qui refuserait de se former serait un danger pour lui-même et pour ses collègues.

Transmission de la compétence

Comment cette compétence se construit elle ? Est-elle « transmissible » ? Est-elle une simple « connaissance » ?

La compétence du pilote est avant tout le résultat d’une heuristique. Cette technique empirique de résolution de problèmes tient compte à chaque étape de la construction de la compétence, des résultats des étapes précédentes et donc des modifications personnelles. C’est donc un enseignement très « dynamique » qui déduit à chaque instant la stratégie à adopter pour atteindre les objectifs fixés à l’avance. Il y a une actualisation en « temps réel » du projet. Contrairement aux méthodes algorithmiques de la pédagogie traditionnelle, la méthode heuristique ne peut garantir que le résultat sera atteint en un nombre fini d’étapes. C’est au formateur d’évaluer constamment tout au long de la formation des progrès réalisés par le stagiaire. Il en déduit à chaque instant l’écart par rapport à l’objectif final : un pilote compétent quelque soit l’état de sa machine, de l’environnement météo et enfin quelque soit les éléments perturbateurs connu d’avance ou non.

Cette transmission de la compétence est difficilement « normalisable » même si les progrès des outils utilisés permettent d’envisager une « optimisation ». Par exemple : Le jour d’une séance d’atterrissage avec du vent de travers il se peut qu’aucun terrain ne présente ce genre de situation. La séance doit elle être maintenue, déplacée, simulée ou au contraire faut il confronter le stagiaire à des paramètres réels ? La réponse à cette question banale influencera directement le niveau de compétence atteint par le stagiaire.

A l’inverse de l’heuristique la métaphore est d’abord la transmission d’une connaissance et non d’une compétence. Une transmission de connaissance fut elle « socialisée » est réductrice. Elle appauvrit considérablement la transmission de la compétence en faisant croire que la compétence est « normable » , que derrière le pilote il n’y a pas un être humain avec des capacités cognitives spécifiques et fortement individualisées. Croire qu’il est possible de standardiser la transmission de la compétence est une erreur stratégique majeure que la profession et le transport aérien dans son ensemble risque de payer très cher. La notoriété de notre profession est avant tout basée sur notre compétence, la réussite économique de nos entreprises aussi. Air Liberté a été la première compagnie à mettre en pratique les vols ETOPS. Un esprit de pionner y était présent et a permis à la compagnie de prospérer et de se développer. La « normalisation économique » a eu raison de la compétence des pilotes qui ont déserté l’entreprise  et l’issue a été fatale.

Construire un modèle économique sans tenir compte réellement de la compétence des pilotes c’est se condamner à court terme. Moins de 10 ans ont suffi pour transformer une compagnie novatrice en un canard boiteux dont la pérennité n’était plus envisageable.

Les mêmes « gestionnaires avisés » prétendent aujourd’hui considérer la compétence du pilote comme une marchandise de type industrielle. Si cet objectif était atteint cela aboutirait rapidement a une perte de compétence significative et remettrait en cause la présence dans les postes des pilotes : sont ils capables d’assumer ce pari ? L’état actuel de la technologie permettra t elle une substitution rapide ? Les passagers accepteront ils le risque ? Le TLS sur les commandes de vols n’est atteint que par une redondance « riche et dissimilaire », les pilotes chez les constructeurs d’avion sont toujours considérés comme des « hot back up » sauront ils se passer rapidement de cette solution très « économique » en définitive ?

Pour les aider voici des questions.

Pour mémoire Un pilote MPL est aussi compétent sinon plus qu’un pilote « normal ». Dans ces conditions quelle sera l’expérience minimale requise pour voler avec une licence MPL sur A380 ? sur 787 ? sur 777 ? En existe t il une pour le « long courrier » ?

Quelle sera l’expérience minimale pour voler avec des autorisations opérationnelles spécifiques (cat II, III, MNPS, HUD, LAHSO, terrains non conformes a l’annexe 14 etc….)

La « socialisation des métaphores » suppose une métacognition non défaillante : comment sera t elle évaluée pour une entrée en formation à la licence MPL ? Par qui ?

Conclusion

Nous pensons que le marché n’est pas encore mur pour une mise en place rapide d’une nouvelle licence sans en avoir évalué tous les impacts. La sécurité du transport aérien est mécaniquement liée à la compétence de tous les opérateurs : les pilotes sont en première ligne. En cas de défaillance ils en subiront les conséquences : ils ne seront pas les seuls.

Julien MRV