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L’erreur est souvent une conséquence, pas une cause !

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Nous savons que dans la plupart des accidents, une ou plusieurs erreurs seront pointées comme facteur contributif de celui-ci, en toute logique. Or si l’erreur participe à la survenue d’un événement, en amont de celui-ci, elle est quasiment mais la conséquence d’une situation particulière.  La plupart des pilotes victimes d’accidents étaient qualifiés, compétents, expérimentés, entrainés, prudents … C’est le niveau d’exigence du contexte opérationnel qui est à l’origine de beaucoup d’accidents. Pour le dire autrement, les accidents par beau temps dans une machine en parfait état de vol sont rares.

Il existe un modèle (empirique) d’analyse qui compile plusieurs facteurs pouvant impacter notre performance pour aboutir à une probabilité dans la survenue d’une erreur. Ces différents facteurs sont :

–    L’exigence de la tâche.

–    L’exigence temporelle.

–    La compétence.

–    L’émotion.

–    L’ergonomie.

On multiplie ces cinq facteurs entre eux en fonction du contexte, et finalement on découvre que la marche était un peu haute, et finalement la sortie de piste n’est pas le résultat d’un hasard malheureux.

Exigence de la tâche x Exigence temporelle x Compétence x Emotion x Ergonomie = Niveau de performance

L’intérêt de cette méthode c’est son approche globale avec un modèle qui permet de quantifier de manière simple et rapide notre niveau fragilité.

La performance du pilote c’est un résultat final, mesurable en nombre d’erreurs, nombre d’événements … Analysons sous l’angle de la performance ces différents facteurs. Pour les instructeurs, cette architecture peut s’avérer un outil précieux d’analyse qui permet de discerner l’origine des écarts suivant une approche globale.

1) L’exigence de la tâche.

Il existe des tâches liées à l’avion : une approche classique par mauvaise condition, une procédure conditionnelle compliquée… Et celles qui concernent l’environnement : les choix opérationnels ne sont pas toujours simples, qu’ils soient tactiques ou stratégiques. Le pilote fait face à l’exigence de ces situations avec ses ressources mentales répertoriées en six niveaux distincts (de l’automatisme à la gestion stratégique du vol). Les tâches « externes » : compréhension, anticipation, sont souvent les plus exigeantes mentalement (dynamique, interactions, compréhension).

Les erreurs des tâches mentales « externes » ne sont pas perçues ou difficilement. Leurs conséquences visibles apparaîtront dans des actions inappropriées du pilote. L’erreur de cap est la conséquence d’une mauvaise évaluation du vent.

2) L’exigence temporelle de la tâche.

Il faut distinguer les tâches routinières des aléas : un changement de piste, une trajectoire raccourcie, un descente tardive, un problème à gérer… Gérard DUBEY chercheur à la Sorbonne qui a beaucoup étudié notre activité posait la question suivante : « Est-ce que la première compétence du pilote n’est pas la gestion du temps ? ». Cette exigence temporelle renvoie à la surcharge de travail qui est repérée dans 50% des accidents.

Il faut mentionner une exigence temporelle particulière chez le pilote qui est la synchronisation de toutes les composantes internes (système avion et équipage) avec les composantes  externes qui sont pour la plupart subies dans le temps et dans l’espace. Cette exigence de « phasage » n’est pas toujours aisée.

L’activité du pilote est basée sur de nombreux automatismes et routines procédurales. Leur acquisition nécessite de la pratique, beaucoup de pratique. Il doit en effet y avoir un « débit » mini dans la performance du pilote pour effectuer ses tâches en de ça duquel l’exigence temporelle va se transformer en pression temporelle.

Nous sommes mono tâche alors que la situation exige régulièrement que nous en fassions plusieurs à la fois. On effectue les tâches par « échantillonnage ». Les routines ou les automatismes nous permettent de traiter plusieurs tâches simultanément, mais au risque d’effectuer des erreurs (rappel, la plupart des paramètres que nous devons gérer sont subis, imposés, dans le temps).

Si toute l’énergie est concentrée sur les sorties, le pilote n’arrive plus à réguler les entrées et c’est la conscience de la situation (Situational Awareness : SA) de son environnement qui va diminuer, c’est à dire la situation actuelle et sa projection dans le temps. La déconnexion avec la situation opérationnelle est propice aux erreurs. Dans le pire des cas c’est la perte de contrôle de la situation externe (CFIT).

L’exigence temporelle des tâches internes avion est forte. Mono tâche, la conscience de la situation de l’environnement diminue. La disponibilité et l’anticipation sont au plus bas. Les échéances sont perçues au dernier moment et crées un déphasage entre les actions nécessaires et les actions effectuées. Les espaces d’ajustement temporels sont réduits. L’équipage pare au plus urgent.

3) Les compétences.

La compétence par définition est indissociable de l’action. L’essentiel de la compétence est le « savoir agir » dans un contexte professionnel : savoir mobiliser, savoir combiner, savoir transposer, savoir apprendre, savoir apprendre à apprendre et savoir s’engager pour être compétent. Pour être compétent il faut également pouvoir et vouloir agir (une petite synthèse inspirée par Le BOTERF  « Repenser la compétence » Eyrolles 2009).

Pour un pilote c’est un ensemble de capacités, de ressources dans le domaine technique (principalement avion), et non technique (qui vise plutôt l’environnement). Cela renvoie également à la notion de novice et d’expert ou de pilote débutant et expérimenté avec un constat en aéronautique, cette compétence met du temps à se construire (10 années : voir l’article : « La motivation, le moteur de la performance du pilote »). Difficile d’aborder un tel sujet en quelques lignes. Le lien entre l’activité et la compétence est très fort et primordial et par conséquence une faible définition des compétences entraîne des risques (Le Boterf). En aviation, se pose le problème des référentiels de formation basés sur des référentiels d’activité qui décrivent des situations : linéaires, contrôlables et prédictibles. Or, l’analyse des événements démontre que c’est la combinaison des éléments qui crée des situations accidentogènes, la plupart sont externes à l’avion ou l’équipage: dans un environnement linéaire, prédictible et contrôlable, le pilote est à l’origine de seulement 5% des événements de sécurité (étude Lufthansa).  La compétence du pilote, et donc sa performance, passe par la prise en compte des interactions de son environnement.

4) Les facteurs émotionnels

Ces facteurs sont à dissocier de la compétence qui un ensemble de ressources qui doivent ensuite passer dans le filtre des émotions pour aboutir à la performance. Pour être complet, cette performance est conditionnée par : les compétences, la performance mentale qui est donc directement impactée par la charge émotionnelle et la condition physique (fatigue …). Compétent, si vous ne savez pas gérer vos émotions votre performance s’en ressentira. Deux facteurs émotionnels se détachent.

Le premier c’est la notion d’engagement, car sans engagement ou avec un engagement à minima, la construction de l’expertise à long terme est fortement hypothéquée (voir l’article : « La motivation, le moteur de la performance du pilote »). A court terme, dans le poste de pilotage c’est le niveau de vigilance qui risque de ne pas être au niveau souhaité et qui entrainera des erreurs.

Le deuxième facteur émotionnel c’est le stress. La performance mentale du pilote c’est une vitesse et une qualité de traitement! Le stress va diminuer la vitesse et dégrader la qualité du traitement avec une régression vers les modes mentaux les plus basiques : le pilote agit machinalement en étant déconnecté d’une manière plus ou moins importante de son environnement.

5) L’ergonomie.

Pour nous pilotes, c’est la façon dont on nous relie à l’environnement, avec ce qui nous permet d’effectuer nos tâches. La perception des informations qui doit passer par des filtres plus ou moins ergonomiques  dont l’interprétation n’est pas toujours simple et entraine une charge mentale. Idem pour les sorties (actions) avec l’entrée de données dans un FMS … Difficultés d’interprétation, temps d’analyse des données ou d’activation des systèmes … autant de résistances à la fluidité des flux à gérer en entrée et en sortie.

La gestion des menaces et des erreurs

Le modèle à partir de la compilation des différents facteurs vus précédemment quantifie la probabilité des erreurs suivant une approche systémique (globale). Pour le pilote cela devient un indicateur de la complexité auquel il risque d’être confronté et donc de menace.

Complexité → Menace  Erreur  Situation indésirable

La probabilité d’occurrence de l’erreur est proportionnelle au nombre de facteurs concernés dans un contexte donné ; suivant une loi exponentielle !

Les valeurs de chaque facteur se multiplient entre-elles :   1 + 3 + 2 + 4 = 10  > Non         1 x 3 x 2 x 4 = 24 > Oui

Quand tout va mal, tout va mal ! C’est effectivement un autre constat de LOSA, dans certaines situations le pilote n’arrive plus à réguler son vol et les erreurs s’enchaînent les unes après les autres. L’exigence est trop importante, le pilote est derrière l’avion.

La TEM demande à l’équipage d’anticiper les menaces : perte de contrôle de la situation, perte de conscience de la situation, surcharge de travail … L’étude Lufthansa évoquée plus haut confirme que c’est rarement un facteur contributif isolé qui crée un accident.

L’analyse du niveau de criticité de la situation trouve sa logique dans un processus TEM. Ce sont des ordres de grandeurs dont le résultat final doit nous alerter ou non pour apporter des réponses qui peuvent aller de la simple vigilance aux contres mesures TEM. Cette méthode empirique de notation segmentée en vue d’une appréciation globale existe déjà dans notre corps professionnel : elle est recommandée chez certains corps d’examinateurs étrangers.

Voici un exemple de déclinaison d’une procédure TEM qui pourrait découler de ce modèle. Il pourrait être enrichi de facteurs et contextes accidentogènes particuliers connus en aviation avec une notation des criticités pondérée par le retour d’expérience (un prochain article peut-être).

Gestion des menaces et des erreurs

Quantification de la menace suivant une approche systémique, ou niveau d’exposition au risque

Importance de la menace entre 1 et 3

Départ  au sol

Roulage au sol sur un terrain non familier (menace isolée)

Menace(s)

Exigence de la Tâche → Niveau 2

Départ en vol

Exigence de la tâche – Départ exigeant (segment de trajectoire courts) → Niveau 2

Exigence temporelle –  Importante  → Niveau 3

Compétence – L’équipage est confirmé

Machine – Le PF est peu expérimenté sur la machine. → Niveau 2

Emotions – De fortes turbulences sont possibles avec des Tower cumulus (le facteur de charge génère du stress)

            Un membre d’équipage est confronté à un stress personnel important (stress cumulatif : exigence temporelle, turbulence …) → Niveau 2

Calcul de la menace : 2 x 3 x 2 x 2 = 24

Briefing TEM

 « Le départ est particulier et exigeant avec un palier à 2000 ft. Si on passe dans les nuages là-bas on va s’en prendre des bonnes. Nous avons passé une nuit courte et de ton côté tu découvres l’avion. C’est 4 menaces différentes qui vont air simultanément. On a calculé un index de 24. Nous devrons être donc particulièrement vigilants.

Approche simplifiée

Les choses peuvent être présentées plus simplement. On rejoint des approches similaires existantes.

Exemple (principe) : Un pilote privé va effectuer un vol IFR seul à bord.

Compétence :                  Entrainé pas entrainé ?

Emotion :                          Stressé pas stressé ?

Exigence :                         Mauvais temps, beau temps ?

Pression temporelle :    Départ /arrivée compliqué, chargé (sous entendu, charge de travail pour un pilote peu entraîné) ?

Nombre de menaces/niveau d’exposition aux erreurs :

1 menace : niveau 1

2 menaces : niveau 3

3 menaces : niveau 9

Pour conclure

D’une manière générale, ce modèle met en relief l’écart qui peut exister, entre une vision simpliste du métier : linéaire, prédictible, sous contrôle, et la complexité opérationnelle qui peut générer un enchaînement d’événements incontrôlés, dont l’erreur est une des premières conséquences.

Les facteurs « Emotion » ne sont pas usuels mais leur impact, avec le stress surtout, peut-être très important suivant les individus et les situations. L’engagement dans une vision proactive correspond à la vigilance, un terme récurrent dans la littérature sur la sécurité en aéronautique.

Il y a souvent dans la mise en œuvre d’une pratique un intérêt à court terme et un autre à long terme. Avec ce modèle, à court terme c’est la gestion des risques de la mission. A long terme c’est la construction de la compétence de haut niveau (analyse : utilisation des modes mentaux supérieurs).

Quel est le niveau de risque auquel je suis confronté ? C’est une question que se posent régulièrement beaucoup de pilotes. L’analyse des risques pris indépendamment les uns des autres est intéressante mais elle loin de refléter le niveau réel d’exposition au risque. La quantification du risque global (ou systémique) permet de percevoir avec plus d’acuité quelles sont réellement nos marges. La TEM avec ses outils de contre mesure étant là pour veiller à les préserver de la meilleure manière qui soit.

Bons vols

2 Comments

  1. briand

    Bonjour,
    je ne suis pas spécialiste de la sécurité aérienne, mais attention à l’usage du mot ergonomie : l’ergonomie c’est un ensemble de connaissances sur le fonctionnement de l’Homme en activité – cf A Wisner-.
    L’ergonomie ne peut être un facteur d’erreur. L’absence “d’ergonomie” (pour faire court) elle peut être un facteur d’erreur.
    Ne perdons pas de vue que ce qui est “ergonomique” c’est ce qui est adapté à l’usage que l’ on souhaite en faire.
    Très cordialement et merci pour ce site.

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  2. Peloille

    Le petit Robert retient comme définition de l’érgonomie : “étude des conditions de travail et des relations entre l’homme et la machine”. L’accident de l’A320 d’Air Inter est assez parlant sur le sujet si l’on tient compte de la définition du petit Robert.

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