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La nouvelle conception de l’erreur humaine (suite)

Vous trouverez ici le premier article sur La nouvelle conception de l’erreur humaine

L’ancienne conception de l’erreur humaine prend ses racines dans la nature humaine et la culture du blâme. Nous avons un besoin inné d’éliminer les incertitudes, et de chercher à attribuer la faute. Ce besoin tire son origine de la volonté de chacun de croire que : « une telle chose ne pourrait pas m’arriver à moi ! »

L’ancienne conception de l’erreur humaine était fondée sur les principes suivants :

– Les faiblesses humaines sont à l’origine de la plupart des accidents qui se produisent encore. Les erreurs humaines sont la cause principale des problèmes qui demeurent et que l’on n’est pas encore parvenu à mettre au point ou à organiser.

– Les règles de sécurité, les procédures et les politiques de formation sont censées empêcher ce comportement humain erratique.

– Toutefois, l’efficacité de ces mesures est contrée par les agissements de personnes peu fiables et imprévisibles qui refusent encore d’agir comme elles devraient le faire.

– Certaines « pommes pourries » conservent une attitude négative envers la sécurité qui se reflète sur leur comportement. Ainsi, le fait de ne pas se préoccuper de la sécurité est un problème personnel causé par un manque de motivation. C’est une simple question de choix personnel.

– Le système qui est intrinsèquement sûr, puisque constitué des nombreux moyens de protection soigneusement mis en place par l’organisation, est compromis par des personnes au comportement erratique. La solution consiste à mieux protéger le système contre ces « pommes pourries ».

Ce que nous avons appris jusqu’ici, c’est que l’ancienne conception est profondément improductive. Elle a été utilisée pendant plus de vingt ans sans produire de résultat perceptible (La fondation pour la sécurité aérienne attribue encore  80% des accidents à des erreurs humaines). Selon l’ancienne conception, le système est réputé être sûr, et pour qu’il puisse le demeurer, il suffit d’en retirer les « pommes pourries ». Du point de vue psychologique, l’ancienne conception repose sur le concept de l’erreur fondamentale d’attribution. Lorsqu’ils étudient le comportement d’autres personnes, tous les humains ont tendance à surestimer dans quelle mesure ce comportement est attribuable à des caractéristiques permanentes, comme l’attitude ou la personnalité, et à sous estimer l’influence de la situation.

Dans l’ancienne conception de l’erreur humaine, on expliquait les accidents par des facteurs comme les suivants : quelqu’un n’a pas porté suffisamment attention, si seulement quelqu’un avait reconnu l’importance de cette indication, de cet élément d’information, alors rien de tout cela ne serait arrivé, quelqu’un aurait dû faire un effort supplémentaire, quelqu’un a cru que le fait de contourner une règle de sécurité n’était pas si grave, etc. Ces explications reposent sur l’idée que l’erreur humaine est la cause du problème dans des systèmes qui seraient sûr autrement. Dans ce cas, vous pouvez mettre fin à vos recherches dès que vous avez découvert une erreur humaine que vous pouvez commodément tenir entièrement responsable du problème. Une telle conclusion et ses conséquences sont censées déterminer les causes de la défaillance du système.

Dans l’ancienne conception, les enquêtes permettaient généralement de mettre en lumière : des intervenants ayant mal fait leur travail, des preuves de comportement erratique, erroné ou inapproprié, de mauvaises décisions prises par certaines personnes, des évaluations imprécises, des écarts par rapport aux lignes directrices ou aux procédures établies. Ces enquêtes soulignaient également souvent comment des intervenants de première ligne avaient omis de remarquer certains renseignements ou de suivre certaines procédures dont l’importance n’est devenue évidente qu’après les faits. Puisque telles étaient les conclusions de ces enquêtes, il était logique de recommander qu’un groupe de personnes suivent une nouvelle formation ou que l’on procède à un resserrements des procédures ou de la surveillance.

Pourquoi est il si facile et confortable d’adhérer à l’ancienne conception? Premièrement, c’est peu coûteux et facile. Dans l’ancienne conception, on considère que la défaillance est une aberration, un soubresaut temporaire dans un système sûr où tout fonctionne normalement bien. On n’a pas besoin de changer quoi que ce soit de plus fondamental ou de plus coûteux. Deuxièmement, à la suite d’une défaillance, afin de sauvegarder l’image publique du club, du système ou de l’activité, on peut se sentir obligé de prendre immédiatement des mesures visant à rétablir la sécurité. Il est toujours bon de commencer par éliminer les intervenants imparfaits pour rétablir la perception de sécurité dans l’esprit des gens si ce n’est dans celui des responsables. Cette démarche indique que l’accident n’a pas été causé par un problème lié au système, mais qu’il s’agit plutôt d’un cas isolé regrettable au sein d’une exploitation où tout fonctionne bien. Les comportements désireux d’attribuer l’erreur fatale et de suivre le cycle du blâme sont bel et bien une réalité.

Afin de véritablement améliorer la sécurité, vous devez d’abord être convaincu que les personnes se présentent pour voler avec l’intention d’accomplir du bon travail. Ces personnes ne s’écraseront pas volontairement sur le flanc d’une montagne, elles n’endommageront pas sciemment le matériel, elles n’installeront pas un composant à l’envers en toute connaissance de cause. En définitive, ce qu’elles font est parfaitement logique à leurs yeux  au moment où elles le font. Il faut que leurs actes leurs semblent logiques, sinon elles n’agiraient pas ainsi. Par conséquent, si vous voulez comprendre l’erreur humaine, votre travail consiste à découvrir pourquoi l’action en question était logique aux yeux de ceux qui l’ont commise. Car si cette action était logique pour ces personnes, elles pourraient l’être aussi pour d’autres personnes en présence des mêmes circonstances, ce qui signifie que le problème risque de se répéter encore et encore. Si vous voulez comprendre l’erreur humaine, vous devez supposer que les gens faisaient des choses raisonnables compte tenu de leur environnement rempli de problèmes complexes, de dilemmes, de compromis et d’incertitudes. Le seul fait de découvrir les erreurs d’une personne et de les mettre en lumière n’explique rien. Pointer du doigt ce que des personnes ont fait, ou ce qu’elles auraient dû faire, n’explique pas pourquoi elles ont agi comme elles l’ont fait.

La nouvelle conception de l’erreur humaine a pris naissance à la suite de découvertes récentes dans le domaine des facteurs humains, et plus spécifiquement dans l’étude du rendement humain dans le cadre de systèmes complexes et d’un travail normal. Ce qui est frappant à l’égard de nombreux accidents, c’est que les gens faisaient exactement des choses qu’ils faisaient habituellement, le genre de choses qui menaient habituellement au succès et à la sécurité. Les gens font ce qui leur semble logique, compte tenu des indications fournies par la situation, des pressions et des normes présentent à ce moment là. Les accidents sont rarement précédés d’un comportement bizarre.

Pour adhérer à la nouvelle conception, vous devez reconnaître que les défaillances prennent leur source dans la nature même de la tache à accomplir et de l’organisation, qu’elles sont les symptômes d’un problème plus profond ou les sous produits d’une fragilité lié au système dans la façon de gérer l’activité. Cela signifie qu’il faut reconnaître que les accidents sont le résultat des influences de tous les jours sur les prises de décisions quotidiennes, et non pas des cas isolés provoqués par le comportement erratique de personnes non représentatives. Cela signifie qu’il faut découvrir pourquoi ce que les peronnes ont fait dans ces circonstances et à ce moment là leur semblait logique compte tenu de l’organisation et des opérations dans lesquelles elles évoluaient.

Les principes de la nouvelle conception de l’erreur humaine sont les suivants :

– Les systèmes ne sont pas intrinsèquement sûr. Les personnes au sein de ces systèmes doivent générer la sécurité en rassemblant les éléments épars que constituent les différentes technologies, en s’adaptant sous la pression et en agissant dans l’incertitude.

– La sécurité n’est jamais l’unique but dans les systèmes exploités par des gens. De multiples pressions et objectifs sont toujours en interaction, les pressions économiques, les pressions liées aux horaires, au service de la clientèle et à la protection de l’image publique.

– Il faut souvent faire des compromis entre la sécurité et les autres objectifs, et ce dans des conditions d’incertitude et d’ambiguïté. Les objectifs autres que la securité sont facilement mesurable. Toutefois, il est très difficile de mesurer jusqu’à quel point les gens doivent rogner sur la sécurité pour atteindre ces objectifs.

– Les compromis entre la sécurité et les autres objectifs s’insinuent au quotidien, qu’on le reconnaisse ou non, dans des milliers de décisions grandes ou petites et dans les considérations des intervenants. Ces compromis sont fait dans l’incertitude et souvent dans la hâte.

La nouvelle conception ne prétend pas que les gens sont parfaits, que les objectifs sont toujours atteints, que les situations sont toujours évaluées correctement, etc. Face à une défaillance, la nouvelle conception se démarque de l’ancienne par le fait qu’elle ne porte pas de jugement sur les personnes responsables de la défaillance. Elle va au-delà de ce que les gens auraient dû remarquer ou auraient dû faire. Au lieu de cela, la nouvelle conception cherche à expliquer le pourquoi. Elle veut comprendre pourquoi les gens ont fait ces évaluations ou ont pris ces décisions. Pourquoi ces décisions semblaient logiques de leur point de vue et dans cette situation. Lorsque vous examinez la situation de l’intérieur, c’est à dire reconstituer autant que possible la situation telle que les gens l’ont vécue, il se peut que vous commenciez à constater que ces personnes cherchaient à faire du mieux possible compte tenu des circonstances, alors qu’elles étaient entourées d’incertitudes et d’ambiguïté. En situation, le comportement de ces gens était sans doute logique, il était systèmatiquement lié aux caractéristiques des outils dont ils disposaient, des tâches qu’il leur incombait et de l’environnement dans lequel ils se trouvaient.

Les erreurs humaines ne se produisent pas sans avertissement. Elles sont l’envers de l’expertise humaine, la capacité à mener ces négociations lorsqu’il faut faire face à des signaux ambigus et à des résultats incertains.

Pour finir, les enquêtes réalisées en fonction de la nouvelle conception suivent un principe : les erreurs humaines sont le symptôme d’un problème plus grave. L’erreur humaine n’est donc que le point de départ d’une enquête. Si vous voulez tirer les leçons des défaillances, vous devez considérer les erreurs humaines comme étant :

– Une fenêtre qui donne sur un problème que tous les intervenants du système sont susceptibles d’éprouver.

– Un point marquant dans le comportement quotidien du système; et

– Une occasion d’en apprendre d’avantage sur les caractéristiques de l’organisation, des opérations et de la technologie qui sont susceptibles d’amener les gens à commettre une erreur.

Bons vols à tous, Christophe BRUNELIERE.

Référence : « The field guide to understanding human error », Dekker


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