Voici le deuxième article de Michaël sur l’apprentissage de l’atterrissage. Les conclusions de cet article nous montrent une nouvelle fois que les interventions de l’instructeur doivent être mesurées.
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Lors d’un précédent article (voir ici), nous avons vu qu’il était possible de s’intéresser à l’apprentissage de la phase d’approche d’une façon originale. En effet, les avancées scientifiques récentes, notamment dans le domaine de la perception et de l’action, offrent la possibilité de s’intéresser à la « perception » des pilotes débutants et plus exactement aux moyens permettant de les aider à détecter et utiliser les informations visuelles utiles au contrôle de la trajectoire d’approche. Par exemple lors d’un atterrissage à vue, le pilote utilise les informations visuelles au niveau de la piste et de ses alentours pour contrôler sa trajectoire. Plusieurs études montrent ainsi que la forme de la piste [1], l’utilisation d’angle visuel (l’angle H [2]) ou encore la densité et la saillance des objets autour de la piste [3] constituent un socle informationnel pertinent pour le pilote. Cependant, peu d’études se sont intéressées à la façon d’orienter l’attention des pilotes débutants vers ces informations. Le but de cet article est précisément de présenter un outil permettant « d’éduquer la perception des pilotes débutants ».
Les théories nouvelles de l’apprentissage issues de l’approche écologique de la perception et de l’action [4] suggèrent qu’il est possible d’aider le participant dans sa recherche de l’information utile [5]. En effet, des études menées en réalité virtuelle sur des tâches de navigation ou d’atterrissage révèlent que l’utilisation d’informations artificielles appelées ‘feedback’ facilite l’apprentissage. L’exemple type de feedback dans le domaine aéronautique est le PAPI (Precision Appraoch Path Indicator), dispositif lumineux d’aide à l’atterrissage. En effet, la combinaison de lumières rouges et blanches est une information artificielle qui « complète » les instruments de bords et permet au pilote d’avoir accès à sa position par rapport au plan de descente.
Figure 1: Le PAPI est un dispositif lumineux généralement situé à gauche de la piste d’atterrissage qui permet au pilote de connaître sa position par rapport au plan de descente lors de la phase d’approche.
Lors d’un atterrissage en situation réelle, ce type de dispositif permet au pilote de vérifier que l’approche se déroule correctement et qu’il est bien placé sur le plan de descente. Cependant, cet outil peut aussi être utilisé dans une situation d’apprentissage. Par exemple, il est possible de penser que le PAPI va permettre de mettre en place une relation fine entre une information visuelle et l’état du système pilote-environnement. Autrement dit, le PAPI permettrait au pilote de faire un lien concret entre l’information utilisée et la position sur le plan de descente. Sur la figure 1 à droite, on voit que lorsque le pilote est sur le plan de descente, la piste a une forme particulière. Par conséquent, tout écart vers le haut ou le bas par rapport au plan de descente se traduira par une modification de la forme de la piste (i.e. trop allongée ou trop aplatie) et permettra au pilote de percevoir qu’il s’écarte de la bonne trajectoire. Concrètement l’hypothèse est que le PAPI va permettre de mettre en évidence l’information naturelle (la forme de la piste) et ainsi d’éduquer plus rapidement l’attention du pilote débutant vers l’information qui correspond à une approche de 3°.
Cette méthode a été testée lors d’une expérience sur un simulateur de vol à base fixe [6]. La tâche consistait à diriger un avion (Cessna 172) vers la piste en suivant le plus précisément possible un plan de descente à 3°. Un premier groupe de participants appelé groupe contrôle effectuait des approches vers la piste sans le PAPI. Un deuxième groupe appelé groupe PAPI disposait du PAPI pour les approches effectuées pendant l’entrainement. Le PAPI était fourni « à la demande ». Lorsque les participants appuyaient sur la gâchette du joystick, les lumières du PAPI s’éclairaient pendant deux secondes, indiquant alors au participant sa position par rapport au plan de descente puis s’éteignaient automatiquement*. Les participants pouvaient demander autant de fois que voulu le PAPI lors de chaque approche. Pour vérifier l’efficacité de cette méthode, l’une des variables analysées consistait à enregistrer le pourcentage de temps passé sur le plan de descente lors de la phase d’approche. Les participants suivaient un entrainement de 4 jours puis effectuaient un test de rétention le cinquième jour (lors du test de rétention des groupes ne disposaient du feedback). Les résultats montrent que le pourcentage de temps passé sur le plan de descente était significativement plus important pour les participants qui disposaient du PAPI à la demande que pour les participants du groupe contrôle (83% vs 47%).
* Il faut bien comprendre ici que l’utilisation du PAPI était détournée pour les besoins de l’expérience. Le PAPI était utilisé en tant que feedback dans le cadre d’une expérience sur l’apprentissage. Rappelons qu’en réalité, lorsque le PAPI est présent sur les bords de la piste d’atterrissage, il est allumé en continu et ne fonctionne pas au bon vouloir du pilote en approche.
Figure 2 : Temps passé sur le plan de descente en fonction des différentes phases de l’expérience. Le prétest permet de vérifier que le niveau de départ est similaire pour les deux groupes. On peut suivre l’évolution de la performance lors des 4 jours d’entrainement. Enfin, le test de rétention réalisé sans le PAPI permet de révéler la performance finale des participants.
L’une des questions que peut soulever de tels résultats réside dans la procédure utilisée pour donner le PAPI. En effet, si le PAPI est tellement efficace pour l’apprentissage, pourquoi ne pas l’utiliser en continu ? Pourquoi le donner uniquement à la demande ?
Ces questions sont étroitement liées. Plusieurs études [7] se sont déjà intéressées à l’utilisation d’un feedback continu dans une tâche de navigation. Les auteurs comparaient alors trois groupes expérimentaux : un groupe contrôle (sans feedback), un groupe fading qui recevait le feedback de façon régressive au cours de l’expérience et un enfin un groupe full qui disposait du feedback en permanence. Les résultats ont montré les groupes contrôle et fading atteignaient un meilleur niveau d’apprentissage que le groupe full qui disposait du feedback en continu. En effet, comme le feedback était tout le temps disponible, les participants réalisaient la tâche en utilisant uniquement l’information artificielle sans faire l’effort de la mettre en relation avec les actions exécutées. Et cela alors même que les participants étaient prévenus dès le début de l’expérience que le test final se ferait sans le feedback !
La procédure de feedback à la demande constitue donc une alternative efficace pour lutter contre ce phénomène de dépendance. Avec cette méthode, les participants mettent en place de façon spontanée un mécanisme d’autorégulation leur permettant de tirer parti du feedback tout en s’affranchissant du phénomène de dépendance. De plus, la méthode « à la demande » implique aussi un facteur de motivation supplémentaire puisqu’il laisse au participant la possibilité d’être acteur de son propre apprentissage.
Pris dans leur ensemble ces études mettent en avant les bénéfices liés à l’utilisation d’un feedback à la demande. Cet outil, qui dans notre cas s’est matérialisé sous la forme du PAPI s’avère être efficace pour aider le pilote débutant à construire la relation qui unit une information visuelle et le mouvement qu’il exécute. Eduquer la perception semble donc être un challenge intéressant pour améliorer et/ou compléter la formation des pilotes débutants. Bien que le chemin pour concrétiser cette démarche soit encore long (il faut faire la transition des résultats obtenus sur simulateur vers les conditions réelles) et en attendant que les pistes de formation soient équipées de « PAPI à la demande », n’intervenez pas trop et n’hésitez pas en finale à laisser vos élèves vous dire s’ils pensent être sur le plan de descente et le cas échéant, à jouer le rôle du feedback à la demande !
Bons vols,
Michaël
Commentaire de Mentalpilote : Plus généralement, demander à son élève de commenter sa perception nous en dit beaucoup sur son niveau de maîtrise. On remarque fréquemment lors de l’apparition d’un écart qu’il ne corrige pas, qu’il est souvent capable de le percevoir mais qu’il est occupé ou préoccupé par autre chose. L’organisation et le rythme de son circuit visuel est en construction. Vous pouvez l’aider de temps en temps en recentrant ses priorités : “Attention à ton plan”, et parfois en prenant les commandes et en commentant exactement, ce que vous regardez, ce que vous percevez, et quelles sont vos actions. Assez souvent vos élèves seront surpris par le rythme soutenu de votre circuit visuel.
Bibliographie
[1] Galanis, G., Jennings, A., & Beckett, P. (2001). Runway width effects in the visual approach to landing. International Journal of Aviation Psychology, 11(3), 281-301.
[2] Lintern, G., & Liu, Y. (1991). Explicit and implicit horizons for simulated landing approaches. Human Factors, 33(4), 401-417.
[3] Lintern, G., & Koonce, J. (1992). Visual augmentation and scene detail effects in flight training. The International Journal of Aviation Psychology, 2(4), 281-301.
[4] Gibson, J. (1979). The ecological approach to perception. Boston, MA: Houghton Mifflin.
[5] Huet, M., Jacobs, D.M., Camachon, C., Gray, R., Missenard, O. & Montagne, G. (2011). The education of attention as explanation of variability of practice effects: learning the final approach phase in a flight simulator. Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance.
[6] Huet, M., Jacobs, D.M., Camachon, C., Goulon, C. & Montagne, G. (2009). Self-controlled concurrent feedback facilitates the learning of the final approach phase in a fixed-based simulator. Human Factors, 51, 858-871.
[7] Camachon, C., Jacobs, D.M, Huet, M., Buekers, M., & Montagne, G. (2007). The role of concurrent feedback in learning to walk through sliding doors. Ecological Psychology, 19(4), 367-382.