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Le CRM – des premiers pas à aujourd’hui. Testez vos connaissances

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C’est à vous !

Avant de lire la suite de cet article, nous vous invitons à une réflexion personnelle : A quoi vous associez le CRM ? Prenez une feuille et un stylo et notez vos réponses. Ne trichez pas ! Cette expérience vous sera utile par la suite. Voici notre question : Si vous deviez définir le CRM à l’aide de seulement  3 mots ou expressions-clés, comment le définiriez-vous (analyse de votre réponse à la fin de cet article) ?

Le présent article s’inspire de plusieurs publications mais plus largement des travaux de Robert L. Helmreich, Ashleigh C. Merritt et John A. Wilhelm de l’Université de Texas, Austin, et leur étude « The Evolution of Crew Resource Management Training in Commercial Aviation ».

Vous ne pensez pas que nous allons guider votre réponse ?
Restez sur cette belle image, juste le temps de noter vos réponses…

Il était une fois…

.L’étude de plusieurs dizaines de catastrophes aériennes des années 1970 a révélé la part importante des éléments non techniques parmi les facteurs contributifs des accidents. Les erreurs humaines identifiées comme les plus fréquentes étaient dues à des problèmes liés à la communication, à la prise de décisions et au leadership.

Ainsi débutent les travaux sur la « ressource humaine » dans le cockpit, à l’origine du concept CRM (Cockpit Resource Management) dont la finalité était de réduire les « erreurs humaines » en optimisant les ressources humaines dans le cockpit.

Ce qui est très intéressant dans ce qui suit, c’est de noter les évolutions du concept, depuis ses balbutiements, jusqu’à une intégration totale de la complexité du métier.

Deux pilotes dans un cockpit – les débuts du CRM

United Airlines est la première compagnie à mettre en place une formation CRM pour ses pilotes en 1981. Les premières formations CRM avaient pour principal objectif de permettre une prise de conscience des différences de « style » (personnalité) entre pilotes et les risques liés à certains types de communication. Comment aider un copilote, jeune et peu expérimenté, à signaler au commandant de bord, plus expérimenté, qu’il se trompe ? Comment améliorer l’écoute d’un pilote chevronné face aux suggestions de son copilote, et de se remettre en question ? Trouver le juste équilibre entre la prise en compte de l’autre en tant que personne et la communication à but purement technique, telle était la nature de la formation.

Un point positif : dès le début, le CRM a été identifié comme devant faire partie de la formation continue régulière des pilotes, et en aucun cas se limiter à une initiation ponctuelle unique.

Les premières formations CRM, conçus par des spécialistes en management dans l’entreprise, ont toutefois été marquées par un handicap de taille : la plupart des exercices pratiques proposés avaient peu de lien avec les réalités du métier d’un pilote aux commandes d’un avion.

Un équipage dans un cockpit – les années 1980

A la fin des années 1980, le CRM a évolué en introduisant la notion d’équipage dans le cockpit. Le sigle CRM, défini d’abord comme Cockpit Resource Management, a été redéfini en Crew Resource Management.

Certains exercices pratiques (mais, de loin, pas tous) ont été davantage adaptés au métier spécifique de pilote professionnel. Par ailleurs, le champ des sujets abordés en formation a été étendu avec notamment le team building, la gestion du stress et la conscience de la situation.

Le CRM n’est pas que pour les pilotes – les années 1990…

A partir des années 1990, la formation CRM a progressivement évolué pour s’intégrer totalement à la formation technique et prendre place dans les séances de simulateurs. Les scénarios sont plus réalistes et exigeants. On sollicite le jugement des pilotes, on les pousse à hiérarchiser les priorités dans des situations où la charge de travail est importante. Le débriefing des séances permet aux équipages de prendre du recul sur leur manière d’agir et de communiquer, dans le but d’améliorer leurs pratiques.

CRM 3 Au cours de cette période, l’approche CRM a aussi été étendue à d’autres corps de métiers à l’intérieur et même autour des avions : personnel navigant commercial, personnel de maintenance, etc. Dans ce contexte, malgré le recentrage dès la deuxième génération du CRM vers une approche plus globale du vol, le CRM a été davantage compris comme une façon d’améliorer le travail en équipe, plutôt qu’un moyen pour réduire les erreurs en vol qui était son objectif initial. En réalité, ces deux aspects ne sont pas antinomiques, mais il faut bien comprendre la manière dont ils sont liés : le travail en équipe est l’un des moyens permettant d’atteindre la finalité qu’est la réduction des erreurs en vol.

Le CRM à l’âge de jeune adulte – toujours plus près de la réalité

Dans les années 2000, une nouvelle vision de l’erreur apparaît, et elle est alors acceptée comme faisant partie de l’activité. Les compagnies sont encouragées à développer une attitude non punitive par rapport aux erreurs dont on reconnaît qu’elles ne peuvent être éliminées à 100%. La stratégie doit donc consister à percevoir (rapidement, si possible) les erreurs qui ont été commises afin d’en limiter les conséquences en plus des efforts qui consistent à éviter celles qui peuvent l’être.

Tout comme la technologie dans les cockpits, le CRM évolue toujours. Non seulement il évolue, mais il fait évoluer, lentement, mais sûrement, les comportements des pilotes. Les progrès sont réels et visibles. Toutefois, comme dans bien d’autres domaines, dès que l’on touche à la variable humaine il faut être très patient.

Avec le CRM dans un cockpit, nous touchons de près à la culture du risque. Or, la culture diffère d’un pays à un autre, d’un métier à un autre (PNT, PNC, contrôleurs aériens…) et d’une compagnie aérienne à une autre. L’adaptation de la formation CRM au contexte et à la culture des personnes formées est une clé pour qu’elle soit acceptée. Et l’acceptation du CRM est la clé de son succès. Le défaut de jeunesse des premières générations de formation CRM a été une prise en compte insuffisante de ces différences de culture. Au fil des années, certains pays ont commencé à adapter leurs programmes de formation à leur culture, ce qui a permis d’augmenter leur efficacité.

Et aujourd’hui ?

La toute dernière génération de CRM élargit encore le champ d’analyse des pilotes en prenant compte l’environnement de leur machine et la projection dans le temps des différents éléments. Quels sont les menaces susceptibles de se transformer en erreur ou en situation indésirable ? C’est la naissance du concept de TEM (Threat and Error Management), que nous appelons Gestion (ou Traitement) des Menaces et des Erreurs en français.

Il est intéressant de noter que la TEM est apparue lors de vols de supervision CRM qui ont permis de constater que la dimension temporelle avec la notion d’anticipation était une des clés de voute de la sécurité du pilote. C’est le passage d’une démarche réactive à une démarche proactive, invitant les pilotes à faire davantage appel à leurs capacités de réflexion … pour éviter de commettre des erreurs et rattraper les erreurs résiduelles plus rapidement.

Note : La TEM repose sur trois composantes principales : les menaces (qui peuvent être internes ou externes), les erreurs (y compris celles liées à la communication) et les situations indésirables dans lesquelles un avion peut se trouver pendant le vol. Nous y reviendrons plus longuement sur la TEM dans un prochain article.

Retour à la case (finalité de) départ du CRM

Revenons maintenant à vous, à votre propre perception du CRM. Quels sont les mots clés que vous avez notés ?

Le CRM consiste à utiliser toutes les ressources dont un équipage dispose pour assurer la sécurité du vol. C’est donc un instrument de réduction des risques qui se concentre sur la réduction des erreurs humaines. La réduction du stress en est une composante, condition souvent nécessaire, mais non suffisante pour réduire les erreurs. La communication et le travail en équipe sont deux autres composantes. Aucune de ces composantes ne représente la finalité ultime de l’approche CRM.

Et voici la grille de réponse que nous vous proposons :

Bla-bla de psys / tarte à la crème / exercices inutiles .→ 0 point

Vous avez pensé (ou même noté ?) bla-bla inutile de psys ? Dans ce cas, vous partagez la vision de nombreux pilotes qui ont découvert le CRM des années 1980 et 1990, lorsque les outils pédagogiques étaient encore loin des réalités de votre métier.

Communication …..→ 1 point

Si vous avez noté communication, vous avez identifié un mot clé important. Ce n’est toutefois pas la finalité première du CRM.

Travail en équipe .→ 2 points

Si travail d’équipe est écrit sur votre feuille, c’est un autre moyens pour arriver à l’objectif final du CRM.

Réduction ou maîtrise des erreurs ……→ 3 points

Vous avez noté réduction des erreurs dans vos mots clés ? Bravo ! Vous êtes sur la bonne piste ! Attention, il s’agit de réduire les erreurs en nombre et de gérer les erreurs restantes afin d’en limiter les conséquences. Eliminer totalement les erreurs serait un objectif irréaliste. Le risque zéro n’existe pas, c’est un principe bien connu. C’est la raison pour laquelle il faut se préparer à gérer les risques résiduels.

Précurseur de la TEM ……→ 4 points

La (le) TEM  est le prolongement du concept du CRM, avec une extension du périmètre. Pour cette raison, l’OACI qualifie la TEM de « CRM de 5ième génération ». Ainsi, si vous avez noté précurseur de la TEM dans vos mots clés, vous avez raison.

Réduction des risques / Qualités d’Aviateur ….→ 5 points

Avec ces mots clés vous êtes déjà au niveau « expert », bravo !

Vous avez fait un bon score ? Le CRM et la TEM n’ont plus aucun secret pour vous, ou presque ? Alors nous avons un nouvel exercice pour vous : Si vous deviez décrire le progrès de la TEM par rapport au CRM en trois mots clés, quels mots seraient les plus adaptés ? Réponse dans un prochain article.

Dans tous les cas, vos associations du début de cette lecture peuvent vous donner une indication précieuse sur votre propre attitude face aux erreurs, à votre manière d’agir. Elles sont intéressantes pour vous, et elles peuvent l’être pour nous aussi. Alors, si vous voulez les partager, n’hésitez pas à nous laisser quelques mots dans la rubrique « Commentaires » ci-dessous.

Merci beaucoup et bons vols !

Veronica Lund

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8 Comments

  1. le floch

    CRM: Cockpit Ressource Management , ou Crew Ressource Management ou Company Ressource Management ?
    la reponse semble evidente mais Cosmos Ressource Management n’est elle pas envisageable ?

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  2. charrier

    Personnellement je pencherai pour World Ressource Management. Je m’explique:
    Cockpit Ressource Management: on constate une amélioration des pratiques mais les erreurs sont toujours là. Et quand tous les pilotes du Monde font autant d’erreurs (en moyenne 3 par vol), il faut sortir du cockpit pour trouver d’où vient le problème (qui diminue quand même années après années).
    Crew Ressource Management: c’est une apparition du PNC (et du sol) pour le moins incongrue eu égard à la cartographie des risques et de ses facteurs contributifs. Le PNC n’a rien à voir avec la sécurité des vols du point de vue de la conduite du vol, des décisions, des accidents… Au contraire, c’est une pollution inutile dans le système. Une évolution à mettre sans doute sur des aspects sociaux (si tu as une idée de l’origine de cette affaire ?).
    Et par la suite, effectivement la TEM nous dit que c’est devant que ça se passe (pas derrière), qu’il faut avoir un temps d’avance sur les évènements. Grosse révolution, auparavant on demandait au pilote d’appliquer, de réfléchir un peu (LOFT), là on lui demande de réfléchir de manière systématique.
    Or la TEM, cela peut se discuter bien entendu, est comparée avec une certaine logique avec les Qualités de l’Aviateur (l’Airmanship). Et oui, un pilote qui applique parfaitement la démarche TEM fera peu d’erreur (f° du contexte!).
    Donc la TEM, regroupe l’ensemble des comportements et des compétences, dont les compétences non techniques : conscience de la situation, résolution de problème, jugement… Et donc la culture ! On commence à voir des programmes PPL qui intègrent la culture et la TEM 🙂
    Donc World Ressource Management pour benchmarker les meilleures pratiques.
    Je ne suis pas passé par la case constructeur ou régulateur, mais nous pourrions nous y intéresser puisque ce sont eux qui décident où placer le curseur de l’exigence du métier, avec les compagnies. L’origine des erreurs dans les postes de pilotage, ce sont eux (sélection, formation, régulation, exploitation…) pas les pilotes.
    Un clin d’oeil sur un processus de réduction des erreurs : Il faudrait mettre quelques ingénieurs dans un simu à 6 h du matin, avec chacun : leurs kilos de procédures (qu’ils ont rédigés) à appliquer, un peu de stress, un contrôleur de mauvaise humeur, quelques aléas, on secoue le tout pendant 3 ou 4 heures avec une turbulence modérée, et ensuite on compte les erreurs 😉

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  3. Sylvestre Goux

    Effectivement le PNC n’a pas de rôle en relation avec la conduite du vol et il n’y a pas d’accidents en relation directe avec l’action du PNC, du moins à ma connaissance. Il y a quand même quelques erreurs provoquées par le PNC par suite d’interruptions de tâches et interventions peu appropriées ( c’est une des raisons à l’origine du concept de cockpit stérile ). Cependant le rôle du PNC en matière de sécurité est important (après l’incident ou l’accident, et en cabine ) et lui faire profiter des concepts FH initiaux issus du CRM ( communication, erreurs, leadership, etc..) est utile comme cela l’est aussi pour la maintenance, et le serait aussi dans bien des domaines. L’erreur c’est de considérer un CRM commun PNT/PNC comme une formation utile au pilote et faisant partie de sa formation règlementaire au CRM, comme on peut le voir dans les compagnies. C’est à l’autorité et aux responsables formation d’être plus exigeants sur ce sujet…

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  4. michel mouton

    Il était une fois, c’est le sens du passé. Mais le crm c’est aussi et surtout l’avenir, le seul levier restant pour réduire le nombre d’accidents dit-on. Or, l’avenir du crm ce n’est pas uniquement une question organisationnelle en ce posant la question de l’ensemble ou de la structure impactée, ce qui sous-entend sa seule inflation ou son élargissement. C’est aussi une question de recherche. Un exemple concret de cette recherche est le biais. Depuis sa création dans les années 70, la complexité du biais n’a cessé de croître. La règle cognitive ne cesse d’incorporer des exceptions, ce qui fait dire à de brillants universitaires que plutôt que de multiplier les exceptions il faut revoir la règle.
    Au niveau de la structure, la recherche ne peut être que sociologique, afin de bien prendre en compte les solidarités. Il ne faut pas vouloir créer des structures pour la beauté de l’ensemble si ce qui le compose ne s’accorde pas ensemble.
    Au niveau de l’homme, la recherche ne peut être que transversale, la proéminence psychologique ayant atteint sa limite. La psychologie sait décrire le comment elle ne sait pas en général dire le pourquoi. Elle peut proposer des solutions, mais rarement les faire admettre au-delà de l’incantatoire par incapacité précisément à décrire ce pourquoi, lequel contient l’ensemble des désirs.
    Dans cette recherche, le navigant (tous les navigants) ne peut se contenter d’être spectateur ou élève studieux d’une science qui s’impose jusqu’au dogmatisme.
    Au-delà du stade actuel, le crm ou quelque soit le nom qu’on lui donne, ne peut progresser que si le navigant devient acteur de la recherche.

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  5. charrier

    Le monde industriel conçoit l’activité du pilote suivant une approche procédurale avec ses référentiels et le CRM n’échappe pas à la règle. Maintenant, avec les mêmes avions, les mêmes règlements etc. le niveau de sécurité peut varier facilement de 1 à 5 entre des pays ou des compagnies aériennes. Cela démontre que la définition des compétences, avec ses référentiels, en aéronautique ne couvre pas tout le périmètre. Dans beaucoup d’accidents, il a été constaté que l’équipage n’appliquait pas les principes basiques du CRM, et de dire qu’il fallait se poser la question pourquoi ? et aller chercher un peu plus loin. Il existe un très bon papier de Seamster sur le sujet qui dit que l’activité est loin de se résumer à une suite de procédure et que pour passer du stade de novice au stade d’expert (place gauche) c’est environ dix années de pratiques professionnelle sous un angle constructiviste: le pilote doit sans cesse réfléchir à ses pratiques, son environnement… pour avoir le jour venu le temps d’avance, la perception du signal faible…qui fera la différence. Ce niveau de vigilance et d’implication est semble-t-il en corrélation étroite avec la culture individuelle qui elle même est impactée par la culture nationale. Et effectivement, des études ont montrés des différences énormes sur l’apparition des erreurs en fonction des comportements. Implication, engagement, motivation…

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  6. JG CHARRIER

    Bonjour Driss,
    Oui tu as raison, quand je dis que le PNC n’a rien à voir dans la sécurité des vols c’est bien entendu erroné, ce n’était pas le fond de ma pensée. Par contre, je maintiens mon point de vue sur le décalage énorme qui existe entre le contenu et l’organisation d’une formation CRM qui intègre donc une partie commune importante PNT/PNC, et la réalité des risques auxquels sont confrontés les équipages. Une formation CRM vise à réduire les risques. Alors quels sont les risques sur lesquels il serait souhaitable de se focaliser ? NOTECHS nous donne une bonne partie de la réponse ainsi que le TEM, et pas mal de littérature. Et nous retrouvons quelque chose qui tourne autour de 3 composantes qui sont : le comportement des PNT (physio, psychologie), la conscience des risques (prise de décision) et des situations opérationnelles souvent exigeantes. En conclusion, sur une formation par exemple de 4h, eu égard aux problématiques des PNT, je ne suis pas certain qu’il y ait matière à dédier une partie de celle-ci à sur une démarche commune PNT/PNC, même de 15 mn.

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  7. Sylvestre Goux

    Le problème n’est pas que les PNC suivent une formation CRM, c’est effectivement souhaitable et très certainement utile. Le problème c’est qu’en se contentant d’une formation commune PNC/PNT comme principale action de formation de ses PNT (par exemple lors d’un vol simulé ) une compagnie aérienne ne fournit pas, à mon avis, une formation FH suffisante à ses PNT. En effet le champ de la relation PNT/PNC, si il est intéressant et a un rôle de sécurité, ne couvre qu’une petite partie des risques auxquels le PNT est confronté.

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