LE BLOG, PILOTE PROFESSIONNEL

Le pilote professionnel et la pression économique

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Qu’est-ce qu’un pilote professionnel ?

C’est un pilote titulaire d’une licence lui permettant d’exercer une activité rémunérée dans un cadre défini. C’est donc un pilote qui doit pratiquer une activité aérienne en toute sécurité, ce que garantit normalement sa licence, et aussi avec une certaine efficacité économique absolument nécessaire pour assurer sa rémunération. Ces deux objectifs sont cependant partiellement contradictoires. Ce n’est pas que la sécurité soit contraire à l’efficacité économique (qui aurait les moyens d’un accident ?) mais c’est que le besoin de rentabilité exercera en permanence sur le pilote professionnel, comme sur les autres acteurs de l’activité, une pression qui pourra être nuisible à la sécurité.

Comment s’exerce cette pression et quelles formes peut-elle prendre ?

L’horaire

Tout d’abord cette pression joue sur l’emploi du temps du pilote : là ou l’amateur choisit son moment, le professionnel le subit. Le planning, l’horaire sont des contraintes fortes de nature économique et seules la maladie ou l’incapacité à réaliser le vol sont des raisons admissibles pour rentrer chez soi où être absent. D’autre part le besoin de ponctualité fait que le travail des pilotes est totalement minuté et ressemble souvent à une course après les retards. Les conséquences sont multiples sur la sécurité : méforme, fatigue, démotivation, précipitation (hurry-up syndrom), pressionnite (press-on-itis ou fascination d’objectif).

La Météo

Puis vient la prise en compte des conditions météo : il ne s’agit pas, comme pour une promenade, de savoir s’il fait beau ou mauvais mais si le vol est possible ou pas. Tant que les limitations réglementaires  ne sont pas dépassées, le professionnel , qui est réputé savoir faire, devra partir, continuer ou rendre des comptes. Il est toujours désagréable et difficile de se justifier en rédigeant un rapport. Souvent le pilote devra aussi gérer lui même une grande part des inconvénients liés à une irrégularité (annulation, demi-tour, dégagement), celle-ci constituant toujours une mini catastrophe économique (l’annulation d’un vol sur un gros porteur long-courrier peut coûter plus d’un million d’Euros). Le pilote mettra donc un maximum d’engagement en faveur de la réalisation du vol tant que des preuves évidentes d’une sécurité dégradée  de manière conséquente ne lui apparaissent pas. Cette pression économique pourra influer sur son jugement et le compromis efficacité-sécurité risque probablement de se dégrader en faveur de la performance économique. C’est d’ailleurs le cas général pour toute activité, la réussite étant la règle et l’accident l’exception (Hollnagel). La réglementation constitue un filet de sauvegarde qui ne sera que très rarement franchi mais il s’agit d’un cadre minimal issu d’un compromis qui ne couvrira pas tous les cas. Il n’existe, par exemple, aucune limitation de vent de face pour décoller et atterrir si le vent est dans l’axe de la piste : il n’en demeure pas moins qu’il peut être dangereux de voler dans une tempête. Ce n’est pas parce que vous avez vos minimas d’atterrissage que vous réussirez l’atterrissage.

L’appareil

Voyons maintenant l’état de l’appareil.  Tous les avions de transport et de plus en plus d’appareils sont dotés d’une Minimum Equipment List (MEL) qui définit les conditions de fonctionnement d’un appareil avant son départ (systèmes en panne, équipements manquants, etc…).  Le pilote reste seul responsable de l’acceptation ou non des dispenses nécessaires à l’accomplissement du vol. Si le plus souvent cela ne pose pas de problème, le pilote doit quand même savoir dire non dans certaines conditions d’exploitation ou dans certains cas de cumul de panne. Là encore le refus d’un pilote se traduira par au moins un retard pour réparer ou bien par l’annulation du vol. En vol le pilote pourra hésiter à se dérouter ou faire demi-tour suite à une panne en raison des coûts que cela entraîne. La pression économique est donc bien là et elle pourra à nouveau biaiser le jugement du pilote, principalement en lui faisant sous évaluer les conséquences ou les risques.

Le carburant

À l’époque des merveilleux fous volants on citait souvent la phrase suivante : « L’aviation commence quand le moteur s’arrête ». Les pannes étaient nombreuses et l’aventure se terminait souvent dans un champ, sans bobo le plus souvent. Il va de soi que les avions modernes ne sont plus faits pour ça et qu’il est donc absolument nécessaire d’avoir toujours assez de carburant pour finir le vol. Dans l’aviation de transport l’optimisation du vol est un souci permanent, justifié par le coût du carburant. Il reste peu de variables sur lesquelles agir une fois que les ordinateurs ont fait leur travail. Il en reste cependant une qui relève de la décision du commandant de bord, c’est le fait de prendre une quantité de carburant supérieure au minimum réglementaire.

Toute quantité de carburant supplémentaire implique une surconsommation (due au poids de ce carburant) dont la valeur dépend de la durée du vol, faible sur les vols courts et élevée sur les vols long. Si la météo est excellente ou au contraire épouvantable le choix est souvent vite fait : rien ou beaucoup. Si des aléas sont prévisibles ils seront déjà pris en compte. Mais dans de nombreux cas le choix n’est pas si simple et dépend beaucoup de l’équation personnelle du pilote. Très souvent il sera informé du coût supplémentaire généré par l’emport et ce sera l’un des seuls domaine où il exercera  un choix de gestionnaire. Un soupçon d’invulnérabilité, une petite dose de machisme et la balance penchera vers une valeur faible où nulle puisqu’il est probable que son encadrement lui aura communiqué qu’il s’agit de faire des efforts dans ce sens, toujours sous la pression économique.  Même si les gains sont souvent faibles le choix du carburant est un des   rares endroits où l’on peut faire des économies dans l’exploitation des avions.

Dans certaines compagnies la pression sera si forte qu’il n’existera pas vraiment de choix : le mini réglementaire, un point c’est tout. Dans certains cas de vols en limite d’autonomie  ou de performance il faudra échanger de la charge contre du carburant et les coûts d’un emport supplémentaire seront cette fois très élevés, donc la pression sera également très forte. Alors comment gérer cette pression pour qu’elle ne dégrade pas la  la sécurité  tout en restant raisonnable d’un point de vue économique? Il n’y a pas de réponse toute faite à cette question mais nous pourrions nous inspirer pour les avions de ligne du modèle américain. Tout d’abord la réglementation américaine prévoit que pour les vols domestiques d’avions de ligne les  réserves de carburant soient supérieures à ce qui se pratique en Europe. Ceci couvre déjà de très nombreux aléas et répond particulièrement bien au problème que pose les aéroports à fort trafic où une attente imprévue est toujours possible. Ensuite les compagnies américaines disposent de dispatchers ayant une licence et donc responsables, connaissant parfaitement les lignes et leur environnement, suivant personnellement les vols et donc à même de faire des propositions raisonnables aux pilotes en leur inspirant confiance, les aidant donc considérablement dans leurs décisions. Ce travail d’équipe est à même de diminuer fortement l’influence de la pression économique car les choix deviennent justifiés au lieu de dépendre de l’état d’esprit de l’équipage.

Il existe une autre possibilité, qui est une approche TEM (Traitement des Erreurs et des Menaces) des besoins de carburant : réfléchir à ce qui est possible, probable, ou certain à l’heure de l’arrivée, donc évaluer les risques, et avoir des portes de sortie plus élaborées qu’un simple « 10 minutes d’attente et puis on dégage ».Avant toute chose il faudra définir ce qui constitue une situation indésirable d’un point de vue du carburant : Avoir moins de trente minutes d’attente comme carburant restant prévu à l’atterrissage constitue déjà une raison valable pour passer un message « mayday » (il reste alors peu d’échappatoire…).  Sur un avion de transport il y a d’autres situations indésirables qui contrairement à celle-ci ne donneront sans doute pas lieu à un rapport de sécurité. Citons en quelques unes :

  • N’avoir plus qu’un seul piste  d’atterrissage disponible en sécurité ( pour diverses raisons elle peut fermer).
  • Ne plus avoir de dégagement et se diriger vers un terrain où les conditions sont marginales (elles peuvent encore se dégrader).
  • Avoir un terrain de dégagement où les conditions sont aussi mauvaises qu’à destination.
  • Avoir une zone de mauvais temps à traverser pour pouvoir dégager alors que le dégagement est probable (plus de pétrole aurait permis de partir dans une autre direction ?).

Il faut que de telles situations ne se produisent  que rarement car ce sont des précurseurs d’accident .

Prenons un exemple fictif : soit une compagnie qui encourage ses pilotes à prendre toujours le  carburant minimum réglementaire pour revenir à la base car le terrain possède quatre pistes et que l’attente y est rare. Cette compagnie effectue environ 350 retour à la base par jour. Si le carburant d’attente disponible moyen est de seulement 10 minutes, quand un événement non prévu se produira des dizaines d’avion se retrouveront dans des situations indésirables (rappelons que la météo ne garantit que 50% de réussite pour ses prévisions). Admettons que 2% des jours connaissent une situation imprévue difficile pendant une plage d’arrivée concernant cinquante avions. Si, toujours par exemple, la moitié des avions se retrouvent dans une situation indésirable du point de vue carburant ça fait tout de même 175 situations indésirables par an  à la base et probablement autant dans les escales, soit environ une par jour en moyenne. Combien de temps faut-il  alors attendre pour que se produise un accident… ???  Et si maintenant on constate une diminution de 50% du nombre de situations indésirable en augmentant les réserves de 10 minutes et de 90% en les augmentant de 20 minutes, quelle politique faut il adopter ? Bien sûr il ne faut pas prendre ces chiffres pour une étude de sécurité sérieuse mais les valeurs données ici sont crédibles et on voit que quand on prend des quantités de carburant faibles,  une petite quantité de carburant supplémentaire peut faire évoluer le niveau de sécurité lié au problème de l’emport de carburant d’un facteur important . Il  nous reste à faire le calcul du surcoût lié à l’emport des réserves carburant et à le comparer à celui d’un accident du à un manque de carburant : là pas besoin de calcul compliqué car un tel accident risque bien de signer la fin de l’entreprise !!!

Le zèle

Le métier de pilote peut être passionnant pour bien des raisons, comme de se retrouver seul maître à bord après Dieu. Les pilotes peuvent alors se prendre facilement au jeu consistant à assurer la meilleure gestion économique du vol, surtout si leurs intérêts rejoignent ceux de leurs employeurs par un système d’incitation financière. Il y a là un danger, celui de faire passer l’efficacité économique comme la priorité alors qu’un pilote de transport doit avant toute chose s’occuper du niveau de sécurité qu’il offre à ses passagers et ensuite seulement de la rentabilité du vol.

Conclusion

Le professeur Erik Hollnagel le recommandait lors d’un important audit de sécurité : c’est la responsabilité des gestionnaires de l’entreprise de définir où placer le compromis efficacité-sécurité.  Les consignes données au pilotes doivent être claires et indiquer aux pilotes  qu’ils ont une responsabilité de sécurité qui est non seulement individuelle mais aussi collective. Ce n’est pas seulement leur sécurité individuelle qui est en jeu, comme c’est le cas pour un automobiliste. C’est celle de toute une entreprise et même d’une industrie. Le niveau de sécurité souhaitable en transport aérien est  extrêmement élevé et il faut savoir résister à la pression économique, car au fond, l’enjeu économique le plus important c’est la sécurité.

Bons vols

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