Il y a quelque temps, peu après un crash aérien, j’écoutais une émission qui donnait la parole à différents interlocuteurs parmi lesquels on trouvait un pilote professionnel très confirmé et un autre pilote qui possédait la qualification de pilote professionnel mais dont ce n’était pas le métier. Alors que le pilote expérimenté prenaient des précautions pour émettre quelques hypothèses en évitant de juger le comportement de l’équipage, le pilote le moins expérimenté portait un jugement sans appel : « C’est la faute de l’équipage », même si les trois membres de l’équipage avaient commis selon lui la même erreur.
Alors pourquoi cette prudence de la part du pilote expérimenté, face aux certitudes de la part du pilote le moins expérimenté ? C’est simple, plus le pilote est expérimenté, plus il comprend la complexité de son activité. Ce pilote avec son expérience a compris qu’il est faillible, que les pièges sont nombreux, et que le passage d’une situation normale à une situation périlleuse en seulement quelques secondes est tout à fait possible. L’équipage a commis une erreur est une explication beaucoup trop simple pour lui.
L’autre pilote moins expérimenté n’a pas encore perçu l’activité sous cet angle. Sa réaction s’inscrit dans une vision réductrice (simpliste), en l’occurrence très procédurale de son activité : il suffisait de pousser sur le manche ! La prise de recul, le questionnement (l’humilité), ne font pas encore partie de son répertoire. Il ne sait pas mais il croit savoir.
Tony Kern un pilote qui a beaucoup travaillé sur les « Qualités de l’Aviateur » nous dit qu’un pilote est avant toute chose ce qu’il est en tant qu’individu avant d’être ce qu’il est en terme de qualification ou d’expérience. Et les faits lui donne raison tous les jours. Un pilote c’est par dessus tout une attitude, une manière d’agir, et chez les meilleurs elle est emprunte de prudence et d’humilité (ce qui leur permet de progresser plus rapidement et d’éviter des jugements à l’emporte pièce).
[box type=”tick”]Un pilote est avant toute chose ce qu’il est en tant qu’individu avant d’être ce qu’il est en terme de qualification ou d’expérience[/box]
Vous n’avez pas besoin de posséder des milliers d’heures de vol pour acquérir cette vision de votre activité, cette prise de recul sur les évènements. Certains d’entre vous avec seulement quelques dizaines d’heures possèdent déjà cette attitude commune aux meilleurs, souvent grâce à leur instructeur.
A l’inverse, des pilotes expérimentés qui évoluent dans des milieux très protégés face aux menaces peuvent rester du « mauvais côté de la force » en ayant une perception incomplète de leur métier qui peut alors entraîner une manière d’agir qui ne sera peut être pas toujours à la hauteur des enjeux de sécurité : “T’inquiète pas, ça va le faire” !
Bons vols
Photos Follow Me : Daniel
Un grand merci pour cet article rafraîchissant !
l’observation est juste, l’explication ne l’est que partiellement, la conclusion reste pertinente mais incomplète. le critère expérience dans la différence de comportement est intéressant mais le point principal négligé ici ou confondu dans une polysémie néfaste dans le critère expérience est en réalité le professionnalisme. l’un est un professionnel, l’autre ne l’est pas. ce qui signifie que l’analyse du premier est socialement formatée de ce professionnalisme et l’autre pas. le second bien que pilote est encore un homme du commun au sens social.
ce que je veux dire par là est que le premier est inscrit dans la corporation, et ce terme est très important. le second parle comme la société dans sa généralité. or, que veux et comprend la société? pour la société, l’erreur n’existe pas, il n’existe que la faute, punissable ou non, laquelle faute implique sa réparation ce qui est le sens premier de la responsabilité (lire fauconnet en ce sens). lorsqu’il n’ y a pas d’explication à la blessure de la société doit être puni le sujet “magiquement” en contact le plus direct possible avec la blessure. ainsi dans un accident sans cause, la faute finale est toujours une faute de pilotage parce que le pilote est le personnage magique chargé d’empêcher la blessure de la faute. c’est pour cela qu’il se voit octroyer l’autorité.
le premier pilote, professionnel, connaît lui le sens subtil de l’erreur, la faute sans cause ou de causes multiples. de surcroît, inscrit dans la corporation il connaît au moins intuitivement la signification de l’autorité. se sentant et se sachant égal de l’équipage incriminé, il se garde bien de juger précipitamment. il refuse l’analepse par manque de partage des éléments permettant l’analyse alors que la société juge la décision par comparaison à rebours du comportement du “bon pilote” au sens juridique de cette fiction.
au-delà de la seule expérience, il y a donc une différence fondamentale de comportement social entre les deux pilotes du fait de leur différence de socialisation.
effectivement, parce qu’il est un peu pilote, le second personnage croit savoir et veut savoir, d’un savoir qui rassure, c’est là le propre de la société dans son hystérie.
100% d’accord avec toi Michel. Je ne voulais pas employer le terme professionnalisme pour ne pas faire peur aux pilotes non professionnels, mais le point de bascule (de la force) c’est effectivement le “Professionnalisme” qui n’a rien à voir avec une qualification, mais qui à trait à une manière de penser et d’agir.
j’aimerais préciser mon propos afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïtés ni de confusions ou encore d’oppositions entre professionnels et non-professionnels. il ne s’agit pas d’opposer les uns aux autres, loin de là. au contraire, c’est strictement la même chose et le même processus en œuvre. il ne s’agit que de montrer un processus social plus ou moins abouti. en effet, la sociabilisation des pilotes, quels qu’ils soient comporte deux phases. une sociabilisation primaire qui est l’envie de faire partie de cette communauté. on la rencontre déjà diffuse dans la société chez les spectateurs de meeting, les lecteurs de livres sur l’histoire ou l’épopée. un peu plus aboutie, encore chez les journalistes spécialisés ou équivalent, elle se concrétise par le passage à l’acte de l’intégration en devenant réellement pilote. commence alors une socialisation secondaire qui consiste à incorporer en soi les codes et les usages de cette sous structure pensée comme une corporation. il est alors évident que le professionnel, qui y passe le plus clair de son temps, y a subi une sélection puis une formation donc une intégration représente l’aboutissement le plus poussé. mais cela n’écarte pas le pilote non-professionnel, à condition que son investissement personnel conduise au même résultat ou au même niveau d’intégration, ce qui n’est pas rare.
le rapport à l’erreur, sujet sur lequel on se précipite toujours trop vite par fascination nécessite que cette sociabilisation soit aboutie. c’est pourquoi j’aime à parler d’éthique. si l’on veut poursuivre la métaphore star war, il faut un long apprentissage de padawan avant que d’affronter le côté obscur qui est la compréhension de l’erreur. connais-toi toi-même enseignait le philosophe. c’est un peu cela le sens de l’éthique, son côté chevaleresque. voilà pourquoi j’ai choisi personnellement de repousser à la fin de ma quête la recherche sur le sens de l’erreur.
Au lieu de parler de professionnalisme, peut-on alors parler d’éthique ?
Il existe plusieurs composantes dans le professionnalisme (expérience, recul sur l’activité, identité…) l’éthique est l’une d’entre-elle.
JG
Bonjour à tous,
Aujourd’hui âgé de 41 ans, journaliste (une profession au moins autant en crise que celle de pilote) depuis plus de quinze ans et actuellement plongé dans les cours de l’ATPL dans le cadre d’une formation de pilote pro, ce débat est passionnant. Selon moi, la différence d’approche entre les deux pilotes interviewés, à propos de l’accident, ne tient pas tant d’une différence d’expérience, que d’une question de comportement. D’ailleurs, dans les mois qui ont suivi l’accident du Rio-Paris, nombre de pilotes pros très expérimentés, dont au moins un instructeur de voltige “auteur” de livres à grand tirage sur les crashes aériens, ont affiché des avis bien arrêtés sur la responsabilité de l’équipage de conduite. Certes avec la complicité de médias en quête d’éléments à charge immédiats et sans aucune compétence, ne serait-ce que théorique, pour vérifier ou du moins modérer les propos des intervenants.
Cette notion de comportement, un grand classique sur le thème des facteurs humains, est flagrante dans les aéroclubs mais j’imagine que les sélections opérées par les compagnies visent notamment à détecter les candidats à risque. Il serait donc logique qu’un pilote de ligne soit naturellement plus prudent dans ses analyses.
L’expérience n’en demeure pas moins déterminante. Elle a pour avantage, entre autres, de confirmer ou invalider les schémas théoriques et plus largement, de renforcer la conviction selon laquelle chaque situation est différente, met en jeu des paramètres très variables et qu’il est donc délicat de porter un jugement définitif sur une situation donnée. Surtout lorsque l’on n’en connaît que certains éléments.
Finalement, si le corporatisme et l’éthique ont sans doute aussi leur place dans ce débat, l’expérience humaine en est à mes yeux le moteur. J’adhère pleinement à la conclusion de cet article: “Vous n’avez pas besoin de posséder des milliers d’heures de vol pour acquérir cette vision de votre activité, cette prise de recul sur les évènements. Certains d’entre vous avec seulement quelques dizaines d’heures possèdent déjà cette attitude commune aux meilleurs, souvent grâce à leur instructeur.” La compétence d’un pilote est souvent mesurée à l’aune de sa seule expérience “technique” mais l’histoire de l’aviation a montré que des pilotes autoritaires affichant des milliers d’heures de vol pouvaient être à l’origine de grandes catastrophes.
Bonjour Vincent,
Merci pour ton commentaire, je connais tes ouvrages comme sans doute d’autres lecteurs de ce blog. Un pilote possède des compétences techniques (gestion machine), des compétences non techniques (gestion/adaptation environnement) et des ressources personnelles synonyme d’engagement (attitude, manière de voir et donc manière d’agir). L’OACI conseil aujourd’hui se focaliser sur cette dernière dimension. C’est assez logique quand on regarde les chiffres.
Un document qui pourrait t’intéresser (sélection) :
http://www.iata.org/publications/Documents/pilot-aptitude-testing-guide.pdf
Et un autre qui aborde cette notion d’engagement :
http://www.cepremap.fr/depot/opus/OPUS09.pdf
JG