Peu avant chaque vol, les pilotes de la célèbre patrouille acrobatique nationale pratiquent un rituel de préparation qui peut paraître surprenant. Ce rituel s’appelle « la musique ». Assis sur une chaise, chaque équipier mime les gestes de pilotage de l’enchainement au gré des ordres du leader. La main droite agit sur le manche pendant que la gauche gère la manette des gaz. A l’annonce du leader « pour la boucle…, on cadence…, top…», le pouce droit agit par impulsions sur le bip trim* tandis que les avants bras décrivent une sorte de boucle. A chaque virage, la tête s’incline et le regard se pose sur l’équipier voisin situé à quelques mètres. C’est ainsi que le mental des pilotes répète la chorégraphie d’une présentation aérienne à couper le souffle.
En sport ou n’importe quelle autre discipline, pour ancrer un nouveau mouvement il faut le répéter un certain nombre de fois. C’est à ça que servent l’entraînement et la pratique. Une fois mémorisé, on peut améliorer l’exécution du geste en recourant à une technique de répétition mentale (RM) basée sur l’imagerie. Ce procédé est couramment utilisé par les athlètes de haut niveau. C’est ainsi qu’ils peuvent parfaire ou corriger un geste technique pour gagner des fractions de secondes ou de précieux centimètres. Cette possibilité repose sur une propriété étonnante du cerveau : quand on s’imagine en train de faire un mouvement, on active les mêmes zones cérébrales que celles liées au contrôle musculaire de cette action.
Les sportifs de haut niveau savent visualiser mentalement leur activité dans les moindres détails. Aidés ou non d’un coach, ils ont la capacité de construire des scénarios positifs dans leur tête pour lutter contre le stress et se projeter en situation de performer et gagner. Ils savent se concentrer pour répéter ou améliorer un geste par le biais de l’imagerie mentale. L’image, c’est la représentation ou la visualisation que se fait le mental d’un geste, d’un évènement, ou d’une situation, et cela par le biais des expériences antérieures et des sens : vue, ouïe, toucher, ressenti kinesthésique**, etc. L’image mentale de l’exécution d’un geste n’est donc pas qu’un simple film dans la tête, c’est surtout la réactivation des sensations associées à l’action.
L’imagerie en « perspective interne » consiste à imaginer un geste de son propre point de vue, en tant qu’acteur. Cette perspective fait appel au cinq sens et à la kinesthésie. On s’imagine par exemple aux commandes de son avion en train de faire un exercice. On voit les événements à travers ses propres yeux et on peut mimer les gestes comme si on y était. Cette forme d’imagerie travaille sur les séquences d’actions, les sensations proprioceptives du mouvement, sa vitesse, son ampleur et sa force. On imagine précisément la suite d’actions et on mime tous les gestes sur les commandes mais aussi, les mouvements de tête et d’yeux pour rechercher les paramètres, la piste, les repères et les autres usagers. On vit littéralement l’action grâce au mental.
L’imagerie en « perspective externe » consiste plutôt à se voir de l’extérieur en train d’effectuer une activité, un peu comme un spectateur. Par exemple, on visualise l’avion de l’extérieur, dans son contexte de vol, comme si on regardait une vidéo. On voit l’avion au-dessus ou derrière, en train d’effectuer une manoeuvre et on se représente les actions nécessaires pour le guider mais sans la gestuelle. Cette technique est plus adaptée pour visualiser et répéter l’arrivée sur un terrain, un tronçon difficile de navigation, du vol en patrouille, un enchainement de voltige, un ravitaillement en vol, ou encore les étapes importantes d’une mission complexe. On voit parfois les voltigeurs se concentrer au pied de leur avion en répétant mentalement les figures imposées du concours. La main droite tient le manche et la main gauche imite le saumon d’aile avec le triangle métallique qui sert de référence visuelle. Ils combinent les deux perspectives, interne et externe.
Pour que cela « marche », la technique de RM repose sur un protocole précis. La RM doit être faite tranquillement, loin de l’épreuve ou du vol. L’ultime répétition effectuée quelques minutes avant est plutôt une pré-activation du mental, elle-même basée sur l’imagerie.
« La RM est une technique qui consiste à répéter, en état de détente (1), un geste technique, un enchainement de plusieurs mouvements ou actions, ou une activité dans sa totalité, pour les reproduire correctement (2). Vous reproduisez mentalement, en mieux si nécessaire (3), un geste que vous avez réellement effectué auparavant (4). Cela nécessite donc un minimum de connaissance sur l’habileté à développer (5). »
(Comprendre et pratiquer les Techniques d’Optimisation du Potentiel – Edith Perrault-Pierre, InterEditions 2012).
La technique de RM peut permettre d’améliorer l’apprentissage du pilotage. Cette technique requière de prêter attention à quelques points :
1) « État de détente » : l’état de détente appelé « relaxation » est indispensable pour accéder aux diverses techniques d’imagerie. La détente est un état de concentration orienté sur soi, un peu comme la méditation. Mais on ne dort pas…
2) « Reproduire correctement » : il est nécessaire de préparer correctement l’image avant de se lancer dans la RM. Il y a toujours des détails gestuels auxquels on ne pense pas, qui permettent de reproduire correctement l’action ou le geste, par exemple : bouger la tête pour poser le regard au bon endroit, vérifier tel paramètre à tel un instant clé, etc.
3) « En mieux si nécessaire » : améliorer un geste ou une séquence d’actions requière d’identifier (seul ou avec l’instructeur) le détail qui cloche ou qui manque.
4) « Geste effectué auparavant » : La technique de RM s’appuie sur le vécu antérieur. Il faut donc que le geste ait été préalablement exécuté réellement. L’action réelle (le vol) introduit une quantité d’informations sensorielles nécessaires à la fabrication de l’image.
5) « Connaissance sur l’habileté à développer » : Les connaissances sur le sujet sont constituées d’un ensemble de savoirs théoriques et techniques, de procédures, d’expériences vécues, sans oublier les remarques utiles issues des débriefings.
Assis sur une chaise, au calme, yeux ouverts ou fermés, la RM consiste à mimer tous les gestes de pilotage correspondant par exemple au circuit d’atterrissage. Etabli (mentalement) en début de vent-arrière, main gauche sur la manette des gaz et main droite tenant le manche, le but est de reproduire précisément le déroulé chronologique des actions et des gestes. Il faut mimer les actions basiques, pied, manche, gaz, trims, pompe, phare, volets, etc. Le tout sans omettre les mouvements de tête et de regard pour vérifier les paramètres en cabine, les assiettes, la piste, le bout d’aile, les abords extérieurs, etc.
Tout cela suppose d’avoir décortiqué chaque action en s’appuyant sur les vols précédents. Un simple mouvement du regard pour aller chercher l’information de vitesse ou un repère d’assiette est à considérer comme une action. Avec l’entraînement, le niveau de pratique s’améliore et les résultats deviennent perceptibles. Il est illusoire d’espérer de bons résultats tout de suite, en essayant vaguement la technique. La RM requière elle-même de s’entraîner pour devenir progressivement efficace. Les causes d’échecs sont souvent liées à une trop faible concentration (un état de relaxation insuffisant), ou une séquence d’actions trop longue, ou une image mal préparée ou encore un niveau de détails trop compliqué. Pour débuter en RM, il vaut donc mieux s’attaquer à des choses simples et déjà bien maitrisées. Par exemples, faire le tour avion, mettre en route, s’aligner et décoller, ou faire un virage. La RM ne permet pas de parfaire la technique d’arrondi et de toucher des roues car il s’agit là d’un geste adaptatif dont la réussite dépend de beaucoup de variables externes et aléatoires.
Les fruits d’une telle pratique sont un gain de temps d’apprentissage et un ancrage mental plus profond des techniques et des gestes (mécanisation gestuelle). Pour un pilote débutant, c’est de l’espace mental libéré pour gérer l’environnement et prendre des décisions. Bien évidement la RM n’a pas la prétention de remplacer les séances au simulateur et les vols réels… Mais c’est un bon complément d’apprentissage, surtout si les séances de vol sont espacées.
Pascal Berriot
*Commande du compensateur électrique situé sur le sommet du manche.
**Perception de la position et du déplacement des membres et du corps.
Crédits : le Reporter Sablais : Photo PAF au sol. EVA, PAF, A2 : extraits vidéo.
Bons vols
Pascal
Breveté pilote de chasse en 1983, Pascal BERRIOT a servi plusieurs années dans la défense aérienne sur Mirage F1C. Instructeur, il a formé de nombreux élèves pilotes militaires sur Alphajet, Tucano, Cap 10, Jodel et TB 10. Passionné de pédagogie aéronautique, il a également été moniteur en aéro-club.
Les ouvrages de Pascal sont ici et son prochain ouvrage Elève-Pilotes, améliorez l’apprentissage du vol par la répétition mentale sortira prochainement aux éditions Cépaduès.
j’ai lu quelque part que la décision est un rêve en images.
Pingback: Des livres pour le pilotage avancé - LF5422 Micheville