À l’image des Commandants de Navire, les Commandants de Bord devraient passer plus de temps à superviser le pilote aux commandes plutôt que de piloter eux mêmes.
Tel est le constat d’une dernière étude, résumé dans un article publié dans la revue : « Aviation Psychology and Applied Human Factors ».
Cet article suggère que les vols sont plus sûrs lorsque le Commandant de Bord supervise l’équipage plutôt que lorsqu’il est lui même aux commandes.
« Ce constat découle de mes 11 années d’expérience en tant que pilote de ligne, en qualité de Commandant de Bord mais aussi de copilote», déclare l’auteur de l’étude, Stuart D. H. Beveridge, de l’Université de New South Wales.
Lors de ma formation initiale, un instructeur m’a expliqué la philosophie d’un CDB. Idéalement c’est la position du capitaine Kirk sur le pont du Starship Enterprise : le superviseur stratégique, le décideur déléguant et répartissant les tâches à l’équipage. Ce conseil, je ne l’ai pas reçu qu’une seule fois ! Il a été présenté de manière informelle souvent par des CDB expérimentés et par des acteurs du secteur : Chef Pilote, ou Instructeurs. Il a aussi été évoqué par certains chercheurs universitaires. Ce concept, banal dans l’aviation militaire, a été mis en pratique dans certains cas isolés il y a plusieurs décennies, mais il a depuis pratiquement disparu pour d’obscures raisons.
Malgré cette « sagesse » sous-jacente et l’analogie existant dans d’autres domaines complexes tels que les passerelles de navires, les champs de bataille ou les centres de contrôle ; le statu quo sur ce concept au sein des Compagnies aériennes s’est maintenu. Dans certains cas, il a même conduit à une ferme opposition à sa mise en œuvre au sein des équipages de vol.
De nombreuses compagnies aériennes ont adopté la répartition des tâches PF/PM (Pilot Flying/Pilot Monitoring). Dans cette répartition des tâches, le CDB est aux commandes sur une partie d’une rotation et « supervise » sur une autre partie. D’autres compagnies (surtout dans la culture asiatique), au contraire, ont délégué au seul Commandant de Bord, le pilotage, et au copilote la surveillance.
Dans de nombreux cas, le commandant de bord est le Pilote aux commandes (en conséquence, il délègue la supervision au premier officier (ou copilote), et il est fermement convaincu que c’est la ligne de conduite la plus sûre. L’utilisation potentielle de cette philosophie (ou son absence) a des implications réelles et significatives sur la sécurité aérienne. Cela m’a amené à enquêter sur les preuves qui la soutiennent, afin que cette recherche puisse guider tout changement politique ou culturel nécessaire.
Pour leur étude, les chercheurs ont examiné des rapports sur l’attribution des rôles aux membres d’équipage provenant de conférences, d’études révisées par des pairs, de documents techniques et de mémoires. Beveridge et ses collègues ont trouvé des évidences selon lesquelles les équipages avaient une meilleure surveillance, une meilleure conscience de la situation et une meilleure prise de décision lorsque le commandant de bord n’était pas le Pilote aux commandes. En d’autres termes, il apparaît préférable que les CDB surveillent la gestion du vol et contrôlent les actions des premiers officiers (copilotes) plutôt que l’inverse.
Par exemple, les chercheurs ont constaté qu’un manque d’affirmation de soi ou un problème de statut pourrait empêcher un premier officier (copilote) de communiquer des informations ou des corrections importantes à un commandant de bord qui serait le pilote aux commandes. Ce facteur a été cité dans plusieurs études d’accident / incident.
« Au cours de mes recherches, j’ai constaté que ce n’était pas seulement l’industrie du transport aérien commercial qui ne mettait qu’occasionnellement un chef dans une tâche de contrôle avec de possible effets néfastes sur la sécurité. Les chirurgiens de bloc opératoire et les premiers intervenants urgentistes tels que la police et les pompiers en sont d’autres exemples », a déclaré Beveridge à PsyPost. Cette manière historique et culturelle de voir les choses, met ces professionnels dans ces positions. Mais il peut exister des moteurs psychologiques plus profonds qui assimilent la gestion de la réalisation d’une tâche à « le faire soi même ». Les principes classiques de gestion et de direction (ou managment) nous apprennent à déléguer les tâches secondaires afin de garder une vue d’ensemble, mais dans ces domaines à haut risque, nous faisons l’inverse. Il faudrait peut-être y repenser.
Comme toutes les recherches, l’étude comporte certaines mises en garde et limitations. « Une grande partie de cette affirmation provient de données sur les accidents et les incidents. Par conséquent, on ne se penche que sur un petit segment des opérations aériennes où des problèmes se posent, plutôt que lorsque les choses vont bien », a expliqué Beveridge. « Les quelques études qui ont observé des opérations normales ont eu des implications intéressantes pour la recherche. Je pense que davantage de ce type de données pourrait vraiment nous guider sur le moment où un commandant de bord devrait se reculer et déléguer la tâche du vol au premier officier (copilote). Il est très probable que ce ne sera pas une réponse binaire avec un degré de jugement requis. Il est donc très important de déterminer le moment où cela est le plus utile pour que toute orientation ou politique puisse avoir le meilleur effet possible dans la pratique», a-t-il déclaré à PsyPost.
« La recherche était également limitée dans le temps, de sorte que la portée était très spécifique aux opérations aériennes et aux résultats de sécurité démontrables. Le petit nombre d’études trouvent probable de partager un héritage commun en matière de recherche, et il est évident qu’il existe des facteurs historiques, culturels et psychologiques plus généraux qui sont pertinents et qui pourraient être examinés dans le cadre d’une analyse de portée plus large. »
Certaines des raisons pour lesquelles les compagnies aériennes tiennent les premiers officiers (ou copilote) à l’écart du vol, n’ont pas beaucoup de sens, a-t-il ajouté. « L’une des critiques les plus courantes que j’ai entendues à l’égard du commandant de bord délégant les vols est la suivante : Dans notre compagnie aérienne, nous avons vraiment des premiers officiers inexpérimentés, nous ne pouvons pas leur donner les commandes. Cela soulève deux questions plus préoccupantes : pourquoi avons-nous un pilote dans le poste de pilotage qui, par admission, n’est pas en mesure d’assumer la fonction la plus élémentaire du travail, à savoir la gestion de la trajectoire de vol? », a déclaré Beveridge.
En outre, pourquoi ces premiers officiers inexpérimentés sont-ils donc considérés comme plus capables de superviser l’autre pilote pour effectuer la même tâche, nécessitant sans doute un jugement encore plus compétent ? Les compagnies aériennes qui revendiquent cette position doivent réétudier ce qu’elles considèrent être les compétences essentielles d’un premier officier (copilote) et investir dans une meilleure formation pour eux, afin que piloter cet avion ne soit pas leur faiblesse.
Bonne réflexion.
Traduit et modifié par Christophe Brunelière.
Sources : L’étude intitulée «Commandement et contrôle: l’influence de l’attribution des rôles des équipages de conduite sur la sécurité des vols dans les opérations de transport aérien» a été réalisée par Stuart D.H. Beveridge, Simon T. Henderson et Wayne L. Martin.