CONSCIENCE DE LA SITUATION

C’est arrivé comme ça : 3 avions pour 1 seule piste

Voici un événement raconté par André (ATPL, instructeur multi turbo prop, responsable FH, enquêteur aéro, 7500 H) qui en a été le spectateur depuis son cockpit. La situation est connue, mais ce qui est intéressant c’est l’analyse qu’en fait André en tant que pilote qui cherche à comprendre pour forger un peu plus sa compétence et celle de son équipage.

Apprendre des situations

J’ai récemment été spectateur avec mon équipage d’un quasi accident, qui a été très prolifique individuellement et collectivement.

Malgré de bonnes conditions météorologiques, une piste longue et une  densité de trafic correcte, le télescopage de deux avions de ligne s’est presque produit à 500 mètres de notre position.

Ce terrain international cumule quelques problèmes d’infrastructure : pas de taxiway parallèle, deux pistes sécantes, l’éloignement de la tour de contrôle (car déplacée en raison de travaux) qui n’a pas le visuel sur toute la bande, l’obligation de remonter toute la piste 23 pour rejoindre le parking avec pour seuls échappatoires deux « loops » ou « holding bays ».

Posés ce jour ensoleillé, il nous est demandé de dégager à la première bay à mi piste environ et de nous y maintenir (« Vacate first bay and report when runway is clear »). Deux appareils arrivant en finale derrière nous expliquent à eux seuls la raison de cet arrêt au sol avant de pouvoir rouler au parking. Pas de doute dans l’équipage et attente à cet emplacement du poser du suivant qui sera très long (toucher estimé à 2000 m). Même ordre du contrôle à celui-ci « Vacate second bay and report runway vacated ». Le collationnement est identique et quelle surprise de voir l’appareil faire son demi tour par cet emplacement et remonter la piste sans s’arrêter. Voyant l’appareil suivant en finale, nous nous apprêtons à prévenir la tour quand le contrôleur demande à l’appareil sur piste s’il est bien dans sa bay : « Négatif, nous remontons la piste pour dégager comme demandé ». Ordre immédiat lui est donné de se glisser derrière nous dans la zone à mi piste et remontrance. Mais tout finit bien !

Expérience très riche pour tout notre équipage, nous avons profité ensuite d’émettre des suppositions sur les éléments qui ont été favorables à ce quiproquo qui s’est très bien terminé heureusement et qui aurait pu également nous arriver.

Concentration et gestion collective d’un plan d’action

L’atmosphère ce jour de septembre n’imposait pas de surcroit de préparation et pourtant, les pièges cachés dans l’environnement proche de l’aéroport, la compréhension radio et la configuration même de la piste ont simplement failli créer un accident majeur ou désorganiser toute une zone de vol. Nous avons tous la faculté de nous concentrer et préparer un atterrissage par mauvaises conditions ou sur des terrains réputés difficiles et ce, en insistant dans l’équipage sur les minima, les risques ou simplement en construisant un plan d’action sérieux et précis. Mais le faisons nous dans toutes les situations, même celles qui paraissent être les plus simples ?

Emotion, relâchement et gestion du stress

Le poser très long de l’appareil a pu influer sur la communication dans le cockpit et ainsi amener une moins bonne compréhension réelle du message du contrôleur ; l’émotion  participant à titre physiologique dans la modification du traitement des messages et actions ordonnés par notre cerveau. Des raccourcis sont ainsi mis en place par notre organisme favorisant la moindre utilisation des circuits sensoriels standards (audition, perception, vision…).

Des barrières si faciles à passer

La succession de plaques passées à notre insu nous arrive en permanence en aéronautique comme dans beaucoup d’autres métiers. Au-delà des plaques de Reason, bien connues, la théorie des dominos d’Heinrich  présente bien ces petites portes qui permettraient l’arrêt d’une succession d’erreurs  ou de stopper la mise en place d’un accident listé comme « séquentiel » par Hollnagel dans sa catégorisation des modèles d’accident « Sequential, Epidemiological or Systemic accident models».

Passage de la théorie FH à la pratique collective

Le contrôleur n’a pas laissé planer son doute sur la position exacte de l’avion remontant la piste par erreur.  Dans son livre « the Human Contribution » (Ashgate), James Reason soulève un point crucial dans la gestion des facteurs humains. La connaissance théorique et les pratiques enseignées ne suffisent plus à endiguer les accumulations d’erreurs qui amènent aux incidents. Chacun doit donc chercher à lever les doutes, participer à la sécurité du système dans lequel il évolue et être acteur collectif au sens propre du terme.  Me sont revenues à l’esprit ce jour quelques paroles d’anciens instructeurs : « Aucune question n’est bête et elle se doit d’être posée » ou encore que « Tout doute se doit d’être levé ».

Recadrer ou féliciter à un moment adapté

Nul doute que le poser très long du deuxième appareil a amené commentaire, frustration ou silences pesants dans le cockpit (il nous est tous déjà arrivé de nous poser long). Capitaliser les expériences en échangeant d’une manière constructive sur les semi échecs est professionnel et fédérateur. Frustrez, enguirlandez et contrariez un personnel suite à une erreur et vous disposerez à coup sûr ensuite d’un acteur fermé, déconcentré et totalement inutile pour la sécurité du reste du  vol. La coopération est un des piliers de la sécurité des  vols et même  si un rappel franc, un retour obligatoire sur une action erronée sont à effectuer, l’endroit et le moment adapté (fin du vol) permettront de maintenir une cohésion importante de la part des acteurs à la recherche d’un niveau de sécurité optimal.

Bons vols

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