BONNES PRATIQUES, DÉCISION

Vol SouthWest 1380 : explosion d’un réacteur, dépressurisation…

Explosion d’un réacteur à 38 000 ft, dépressurisation causée par les débris du moteur, qui va entraîner le décès d’une passagère partiellement aspirée vers l’extérieur de l’appareil. Une situation qu’aucun pilote ne souhaiterait avoir à gérer. C’est pourtant un évènement auquel l’équipage du vol SouthWest 1380 a dû faire face.

Malgré la perte d’un moteur et la dépressurisation, Tammie Jo Shults (commandant de bord) et Darren Ellisor (copilote) se sont posés à Philadelphie, tout en gardant leur sang-froid. L’ancienne carrière de Tammie Jo Shults, pilote de chasse sur F/A-18 explique très certainement  le professionnalisme avec lequel elle a appréhendé la situation. Une bonne gestion de ses émotions lui a permis de se concentrer sur l’essentiel : le pilotage de l’appareil et corrélativement la survie de ses occupants.

D’autres pilotes sont également entrés dans l’Histoire de l’aviation, comme par exemple Chesley Sullenberger (le « miracle » de l’Hudson)…

Ou encore Al Haynes, commandant de bord sur le vol United 232. Lors de ce vol, le 19 juillet 1989, le DC10 de la compagnie américaine ralliant Denver à Chicago perd le moteur n°2 (attaché à l’empennage arrière). Lors de l’explosion, des débris sectionnent la totalité du circuit hydraulique de l’appareil, le rendant quasiment impossible à piloter à l’aide des gouvernes. L’équipage réalise néanmoins l’exploit de « crasher » l’avion à Sioux City (Iowa) et de sauver 185 passagers (il y a malheureusement eu 111 morts dans l’accident). Les quatre membres d’équipage (le commandant de bord, le copilote, l’officier mécanicien navigant et un passager présent dans le poste qui s’avère être un pilote-instructeur sur DC-10) ont utilisé la poussée différentielle des deux moteurs restant en fonctionnement pour contrôler l’appareil (roulis induit).

Dans son édition de Juillet 2018, le magazine Plane & Pilot revient sur l’héroïsme de l’équipage du vol Southwest 1380 (en faisant des parallèles avec le crash de Sioux City) et propose six enseignements à tirer de ces évènements, des enseignements qui sont valables pour tous les pilotes, privés ou professionnels. Voici une partie cet article.

  1. Faites part de vos problèmes même si vous avez peur des conséquences

Dès lors que vous avez connaissance d’une urgence à bord, dites-le. L’équipage du vol United 232 a mis 15 secondes pour se rendre compte qu’ils étaient dans une très mauvaise situation, et 5 autres secondes pour lancer un message de détresse. N’attendez pas que le contrôle aérien devine votre situation et ce dont vous avez besoin. Dites-leur ! Ne vous préoccupez pas de ce qu’ils vont en penser, et encore moins si vous allez pénaliser d’autres vols. Annoncez clairement aux contrôleurs ce dont vous avez besoin.

  1. Demandez de l’aide à quiconque pourra vous en fournir

Dès que T. J. Shults a lancé son message de détresse, elle a commencé par limiter sa charge de travail. Elle a pour cela demandé la route la plus directe vers le terrain de déroutement le plus adapté et a demandé au contrôle de ne plus lui faire changer de fréquence. L’idée est de subir le moins de distractions possibles. Dès que vous savez que vous avez besoin de vous dérouter, demandez-le, et si vous êtes déjà débordés, demandez une suggestion au contrôleur quant au meilleur terrain. Par exemple, c’est le contrôleur qui a recommandé Sioux City à Haynes. C’est aussi le contrôleur qui a proposé Philadelphie à T. J. Shults. Ceci est valable pour toute autre chose dont vous auriez besoin. Si vous avez besoin de descendre, dites-le. Dans le cas du vol United 232, le commandant de bord avait déjà annoncé au contrôle aérien qu’ils n’avaient plus du tout d’hydraulique et que l’aéronef n’était que très marginalement contrôlable. Le contrôleur l’a alors autorisé à maintenir 28 000 ft. […] Au lieu d’expliquer la situation en détail, ce qui aurait consommé un temps précieux, le pilote s’est simplement déclaré en « Emergency », ce qui lui a donné l’option de faire tout ce qu’il jugeait nécessaire de faire, dans l’intérêt de la sécurité. Les pilotes d’aéronefs légers qui sont seuls membres d’équipage à bord peuvent demander de l’aide à un passager. Qu’il s’agisse d’ouvrir le manuel de vol à la section « Procédures d’urgence », ou bien calmer d’autres passagers et s’assurer qu’ils sont prêts à un atterrissage dur, si besoin, un passager compétent peut être d’une grande utilité. Haynes avait tout de suite réalisé que la priorité du moment était de conserver un semblant de contrôle sur la machine. Une fois la solution trouvée, l’équipage a demandé au pilote-instructeur qui était passager dans le poste de s’occuper des manettes des gaz dans le but de maintenir le contrôle de l’appareil et de l’aligner le mieux possible avec la piste.

  1. Focalisez-vous sur ce qui compte à l’instant t, c’est-à-dire : maintenir le contrôle de l’appareil, s’assurer que les passagers ont de l’air pour respirer, et que vous n’allez rien percuter

Après que Shults ait réalisé qu’il y avait des blessés parmi les passagers – elle pensait même qu’un passager était « sorti » de l’avion via un trou dans le fuselage – elle s’est concentrée sur ce qu’il était nécessaire de faire, c’est-à-dire poser l’appareil sur la piste la plus proche et la plus adaptée. Nous ignorons quelle était la répartition des tâches dans le cockpit au moment de l’évènement, mais nous pouvons être sûrs que les deux pilotes s’affairaient à contrôler les différents systèmes, déroulaient les checklists d’urgence/de détresse et coordonnaient l’arrivée de l’appareil avec l’équipage de cabine. Mais d’abord les priorités. Dans le cas du vol SWA 1380, il s’agissait de descendre pour aller chercher de l’air respirable, chose qu’ils ont accomplie en seulement huit minutes. Pour le vol United 232, la priorité était de garder un semblant de contrôle malgré la perte de l’hydraulique.

  1. Assurez-vous que la réponse est appropriée

Shults a demandé l’intervention des pompiers et une assistance prioritaire. Elle a aussi demandé à s’arrêter à l’endroit le plus adapté possible (près des pompiers). Haynes s’est également assuré qu’il s’était bien fait comprendre, et cela a permis de sauver des vies, puisque les pompiers étaient déjà présents et commençaient à intervenir avant même que les différentes parties du fuselage (séparées lors de l’impact) n’aient fini de bouger.

  1. Travaillez avec les contrôleurs, mais assurez-vous qu’ils font leur boulot

Shults a demandé de l’aide assez tôt et de manière régulière, mais elle a aussi fourni des informations que les contrôleurs lui demandaient, comme par exemple la quantité de carburant en livres plutôt qu’en gallons (elle avait déjà donné la quantité en gallons auparavant). Etait-ce bien nécessaire ? L’équipage a mieux à faire que de se lancer dans des calculs mathématiques. Certes, Shults et Ellisor ont rapidement pu obtenir un résultat, mais c’était une question qui n’aurait jamais du être posée.

  1. N’oubliez pas les passagers

Notre boulot consiste à piloter l’aéronef, mais si des passagers sont à bord, notre devoir est aussi de s’assurer que la moindre opportunité de survie face à une situation d’urgence leur soit fournie. Haynes le savait. En 2009, il a déclaré au New York Magazine : Environ quinze minutes avant notre arrivée, j’ai annoncé aux passagers : « Je ne vais pas vous mentir. Nous allons nous poser en urgence à Sioux City, et non pas à Chicago. L’atterrissage sera très dur, probablement plus dur que tous ceux que vous avez vécu jusqu’à aujourd’hui. Soyez bien attentifs aux consignes du personnel de cabine, et rendez-vous à Sioux City. » Malheureusement, 111 personnes ont péri dans le crash qui a suivi, et Haynes a mis plusieurs années à surmonter cette tragédie.

Lorsque nous volons, n’oublions pas l’essentiel : rester focalisé sur les priorités du moment, et ne pas hésiter à parler et à demander de l’aide. Il en va de notre sécurité et de celle de nos passagers.

Bons vols.

Alexandre

Breveté PPL,  Alexandre s’intéresse de très près aux connaissances techniques sur le pilotage, aux  facteurs humains… Il est actuellement contrôleur aérien en formation à Saint-Cyr-l’Ecole.

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One Comment

  1. Vladimir K

    Il y a une chose qui ne cessera de me surprendre, c’est ce besoin que ressent le néo-humain de filmer toute situation extraordinaire avec son portable, alors qu’il peut se mettre en danger ainsi :
    – se concentre-t-il sur son portable ou bien sur les instructions de l’équipage ?
    – en cas de choc sur l’appareil, qu’adviendra-t-il du portable que le passager imprudent aura invariablement lâché : frappera-t-il la tête d’un autre passager ? Bloquera-t-il le verrou d’une issue de secours ? Ces risques sont certes faibles, mais cela reste des risques.

    Peut-être faudrait-il équiper directement les avions de caméras de surveillance, comme dans les autobus, car oui, les preuves vidéo ont un intérêt, et encourager les passagers à ce concentrer sur ce qui est important : leur propre sécurité.

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