INSTRUCTEUR, LE BLOG, PILOTE PRIVE

« Jusqu’au bout sur mon DR 221 »*

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Un récit de vol raconté par un lecteur ; merci à lui.

Cette mésaventure m’est arrivée vers la fin de l’hiver 1988, j’avais 18 ans. J’avais été lâché trois semaines plus tôt, par un instructeur avec qui j’avais pu voler régulièrement. Difficile de bénéficier d’un suivi, dans ces aéroclubs de la région parisienne en ces temps de pénurie de pilotes … Et de plus la météo n’avait pas été favorable. Les pistes, en herbe et parallèles s’en souvenaient, le terrain était lourd, boueux.

Ce jour là j’avais rendez vous avec un instructeur que je ne connaissais pas, nouveau dans ce club aux aspirations d’école de pilotage professionnelle.

Il faisait un beau temps anticyclonique, ciel bleu et visibilité voilée, avec un vent faible du Nord-Est. J’ai informé mon nouvel instructeur de mon lâcher récent, à une douzaine d’heures de vol au total, et nous sommes partis pour une séance de tours de piste. Après deux tours de piste mon instructeur m’a demandé un atterrissage complet, et m’a proposé de repartir pour deux tours de piste en solo. L’avion était un DR221, c’est un avion à train classique pour ceux qui ne connaissent pas. J’étais un peu ému bien sûr, et super partant !

En vent arrière, j’entends à la radio qu’un hélicoptère demande à transiter par la verticale des installations. En finale, concentré sur la stabilisation de la trajectoire, axe, plan, vitesse, je suis soudainement et brutalement déstabilisé. J’ai le souvenir d’avoir « été sur la tranche ».

J’agis sur le manche en roulis pour ramener l’avion à l’inclinaison nulle et cesse pendant ce temps de me préoccuper du plan d’approche. Lorsque je reviens à ma trajectoire, je recherche  le point d’aboutissement et ne vois pas immédiatement que je suis trop haut. Dès que je m’en aperçois, et pour ne pas dépasser VFE, je réduis complètement la puissance. Et j’arrive comme cela au moment de débuter l’arrondi, sur un plan fort, trop vite … Je touche finalement trois points, un sol très lourd.

J’ai en tête que je dois repartir, ce qui parait faisable à condition de ne pas lambiner. J’actionne la commande des volets, mais elle grippe quelques instants avant que j’arrive à la positionner sur le premier cran, pour configurer « décollage ». J’applique la puissance, je mets l’avion en ligne de vol, mais la réaccélération n’est pas franche. Le terrain est lourd, j’ai oublié de retirer le réchauffage du carburateur. Je répare mon oubli et ça accélère. Je crois que je ne pourrais pas m’arrêter avant la clôture du terrain et je poursuis. Je réussis finalement à décoller, à passer ce premier obstacle. Maintenant j’ai devant moi, à une centaine de mètres, une rangée de peupliers.

Je sais intuitivement que je ne pourrais pas les passer si j’essaie de monter maintenant. Je tiens bon face à l’obstacle, puis je tire pour juste passer et décroche, je rends aussitôt la main et réaccélère, les obstacles sont passés. Je vois le monde en noir et blanc, tout est très clair, comme surexposé, j’ai mal aux genoux et je les sens trembler. Maintenant j’ai peur de me perdre. Je prends le cap de la vent arrière et reconnais un repère. Mais j’ai l’impression d’être en sens inverse du circuit. En fait je suis juste au delà, le repère au lieu de passer à droite, passe à gauche. J’aperçois la piste et reprends mes esprits.

En finale, je suis à nouveau trop haut, j’ai du mal à être précis et j’appréhende l’arrivée de la piste. Ce sera deux gros rebonds, avec ajout de puissance pour ne pas décrocher et un splash. Rien de cassé, je roule vers le parking.

Pas de débriefing, pas un mot.

Je suis instructeur depuis une quinzaine d’années, une vraie mère poule pour mes élèves.

Les commentaires de MentalPilote

…la météo n’avait pas été favorable… j’avais rendez vous avec un instructeur que je ne connaissais pas… En racontant son histoire le pilote d’emblée évoque des facteurs peu favorables à un relâché.

J’étais un peu ému bien sûr, et super partant. Le pilote est sujet à des émotions. Tout pilote sujet à des émotions voit ses capacités diminuer. Par contre, il ne faut surtout pas les nier ou les ignorer. Bien au contraire, dans un lâcher, il y a obligatoirement une part de stress, l’instructeur doit le savoir et en tenir compte.

Lorsque je reviens à ma trajectoire, je recherche le point d’aboutissement et ne vois pas immédiatement que je suis trop haut. Il est difficile de se mettre à la place du pilote, mais le principe de remettre les gaz en finale quand la machine n’est pas stabilisée nous vient tout de suite à l’esprit. Cette remarque est d’autant plus valable avec un pilote qui effectue ses premiers solos (la stabilisation de l’avion lui permet de stabiliser également ses émotions).

J’actionne la commande des volets, mais elle grippe quelques instants… Le terrain est lourd, j’ai oublié de retirer le réchauffage du carburateur. Trois facteurs vont s’additionner pour aboutir à un décollage trop long. Les volets qui grippent et l’oubli du réchauffage carburateur sont sans doute à mettre sur le compte du stress. L’atterrissage a été visiblement long, le pilote n’a pas eu de consigne sur cette éventualité, en l’occurrence effectuer un atterrissage complet.

… puis je tire pour juste passer et décroches, je rends aussitôt la main et ré-accélère… La parfaite conscience de l’incidence et de sa relation directe avec le manche (une position de manche égale un angle d’incidence … quelque soit la vitesse de l’avion) a été l’élément salutaire de ce vol. Le concept de “pilote naturel” est à méditer, même si l’expérience du pilote est ici très faible.

Je vois le monde en noir et blanc, tout est très clair, comme surexposé, j’ai mal aux genoux et je les sens trembler. Depuis une ou deux minutes ce jeune pilote a vécu une succession d’évènements particulièrement stressant qui sont allés crescendo jusqu’à un décrochage ou quasi décrochage près du sol. Sa réflexion sur sa vision du monde en noir et blanc est à mettre en parallèle avec un accident d’un avion de ligne qui est entrée en collision avec des montagnes malgré ses équipements (EGPWS). L’hypothèse que les pilotes, sujets à un stress intense, ne voyaient plus les couleurs (rouge !) sur leurs écrans a été évoquée comme un facteur contributif possible de l’accident.

Maintenant j’ai peur de me perdre… Le pilote est complètement déboussolé, comme en état de choc. Il a peur de se perdre alors qu’il est à 30 secondes de vol du terrain.

J’aperçois la piste et reprends mes esprits. Le pilote est en train de sa raccrocher à des choses connues, il va pouvoir souffler un peu et stabiliser toutes ses émotions, retrouver un peu de lucidité.

Pas de débriefing, pas un mot. Quand un pilote a vécu de telles émotions, il faut qu’elles sortent. Il ne faut pas le laisser repartir comme ça. Il existe une technique de débriefing* des équipages qui ont été confrontés à des évènements très chargés émotionnellement qui comporte trois étapes : une introduction avec des faits objectifs (phase cognitive), une phase affective pendant laquelle le pilote revit ses émotions avec une description de ses symptômes, et enfin une nouvelle phase cognitive plus constructive dans le domaine technique. *Critical Incident Stress Management in Aviation éd. Ashgate. L’idéal dans ces cas là serait que l’instructeur aille accueillir son élève au parking, avec de l’empathie : « C’était chaud, tu t’en est super bien sorti, prends ton temps, je vais m’occuper des papiers… ». Ensuite direction la machine à café : que s’est-il passé ? L’élève raconte son vol telle qu’il l’a vécue. « Tu t’es fait peur ? » ; l’élève doit parler de ses ressentis. Et pour finir le débriefing, l’analyse des faits et comment éviter qu’ils ne se reproduisent.

*Le titre « Jusqu’au bout sur mon DR 221 »  est un clin d’œil à un livre célèbre : « Jusqu’au bout sur nos Messerschmitt » d’Adolph Galland.

Bons vols

Crédit photo DR221 Jetphoto

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