FORMATION, INSTRUCTEUR

Les deux modes mentaux du pilote

Méta photo Landing

Deux modes mentaux pour piloter

Comme tout être humain, le pilote utilise deux modes mentaux pour exercer son activité. Dans certaines documentations de formation, ils apparaissent sous les termes « Lower-level intellectual skills » et « Higher-level intellectual skills ». Les neurosciences en éclairent le fonctionnement :

  • Le mode supérieur, siège du raisonnement, de l’analyse et de la réflexion consciente, n’est pas notre mode « par défaut ». Il exige un effort mental et devient difficile, voire inaccessible, sous stress intense : « J’étais tétanisé par le stress ».

  • Le mode inférieur, ou routinier, est celui que nous privilégions naturellement, car il demande peu d’effort. Il est rapide, efficace… mais aussi le siège des émotions, ce qui peut brouiller la compréhension.

Le mode routinier

La majorité de nos activités quotidiennes relèvent de ce mode automatique : conduire en discutant, effectuer des gestes appris par cœur, etc. En aviation, ce mode permet au pilote expérimenté de gérer son avion « sans y penser », libérant des ressources mentales pour autre chose. Mais il peut aussi piéger : une émotion forte ou un stress bloquent l’accès à une réflexion rationnelle.

Le mode supérieur

À l’inverse, l’apprentissage du pilotage repose sur le mode supérieur. L’élève doit réfléchir à chacune de ses actions : coordonner ses commandes, manipuler les systèmes, appliquer une procédure. Avec l’expérience, ces tâches basculent progressivement en mode routinier.

Mais certaines situations obligent à réactiver le mode supérieur : analyser une panne, décider d’un déroutement, planifier une stratégie de vol. C’est le domaine du raisonnement, de la résolution de problème et de la prise de décision.

La transition entre les deux

Les tâches mentales des pilotes ont été hiérarchisées des moins aux plus exigeantes :

  1. Habiletés routinières mentales ou physiques (pilotage réflexe).

  2. Connaissances de base, concepts et règles (lecture météo).

  3. Connaissances structurées (procédures, calculs).

  4. Représentations mentales dynamiques (trajectoire, météo, anticipation).

  5. Prise de décision et résolution de problème (carburant, déroutement).

  6. Stratégies de haut niveau (planification, ajustement face à l’imprévu).

La frontière entre les deux modes se situe entre les connaissances structurées (3) et les représentations mentales (4).

En formation et en pratique

Les programmes de formation n’énoncent pas directement ces modes, mais ils apparaissent implicitement dans les thèmes abordés : charge mentale, conscience de la situation, prise de décision, gestion du stress… Pour l’instructeur, la Gestion des Menaces et des Erreurs (TEM) constitue un levier efficace pour activer et entraîner les modes supérieurs, parfois appelés « mode intelligent ».

Références

  • « Intellectual skills are the foundation for all higher learning. Lower-level intellectual skills include associations, discriminations, concrete and defined concepts, rule-using, and verbal information. Higher-level intellectual skills are cognitive strategies (generation of strategies and tactics) and metacognition (verbalization of judgment and decision-making schema) »Air Force Handbook.

  • « Because cognitive skills are complex, a number of concepts have been explored related to the limitations of human cognition. Understanding and using these concepts will aid a pilot in making better judgments and increasing his or her expertise »Rethinking Pilot Error and the Causes of Airline Accidents.

Jean-Gabriel Charrier

Bons vols

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7 Comments

  1. andré

    Merci pour ces explications et je profite de rebondir sur l’évolution nécessaire d’anciens modèles qui ont fixé de très bonnes bases (SRK de rasmussen par exemple). Ceux-ci se développent maintenat et nous permettent de mieux travailler dans les actes de connaissances. Le TEM en fait partie et doit être exploité.

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  2. LE PILOTE : Constructeur amateur, très amoureux de sa machine.
    LA MACHINE :Type canard, très bien réalisée aux prix de gros efforts financiers et sans doute au détriment d’une vie familiale normale. (durée des travaux 10 ans)
    LA QUESTION : Une fois la panne survenue, d’un coté, l’ entrée de piste qui n’est peut-être pas accessible, de l’autre coté, un terrain possible, qui lui, est parfaitement accessible. Dans quel mode mental le pilote avait-il puisé la mauvaise et tragique décision ?

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    1. JG CHARRIER Author

      Je ne peux pas porter de jugement sur un événement par contre ce que l’on peut dire c’est que les modes mentaux supérieurs ne sont pas le mode de fonctionnement normaux de la plupart des gens, qui recherchent donc des routines. Je l’ai évoqué. Et face à l’apparition d’un risque la survenu du stress va limiter voir bloquer l’accès à ce mode intelligent synonyme de solutions.

      Prenons un pilote très expérimenté et qui possède cette capacité à rester ou passer en mode supérieur (analyse, maîtrise …). Sous forte pression temporelle il va prendre ce qu’on appelle une « décision naturelle » (Naturalistic Decision) qui va s’appuyer sur deux choses : son expérience (mémoire à long terme) et la situation présente (court terme). Il fait un mix des deux rapidement en « pleine conscience » pour aboutir à La décision. La pleine conscience induit le crash potentiel, il en est conscient, mais cela ne le bloque pas.

      On comprend que le pilote expérimenté suite à un problème majeur possède toutes les routines de pilotage qui lui permettent de dégager les ressources mentales nécessaires à cette analyse. Si ces automatismes ne sont pas en place et que le pilotage nécessite une attention particulière, il ne restera plus beaucoup de ressources pour l’analyse.

      Virer à droite pour sans doute crasher mon avion dans un champ ou à gauche vers le terrain que je ne suis pas certain d’atteindre ? En cas de stress important, le pilote va « régresser » vers ses schémas ou routines ancrées les plus profondément. Quels sont-ils ? Rejoindre la piste ? Il peut ne pas y avoir de décision. Le pilote agit machinalement plus ou moins déconnecté de la situation et de ses enjeux.

      On connaît quelques parades pour les cas les plus significatifs comme la panne au décollage : rendre la main et tout droit. Les pilotes expérimentés connaissent les champs en bout de piste et les différents scénarios au cas ou (vent, machine..). Le jour ou cela arrive ils sont déjà près mentalement (plus ou moins) à gérer la situation. Ils sont également capables à partir d’un schéma précis d’en trouver un autre plus adapté au contexte (un autre environnement).

      Si on peut dire une chose sur ces situations très stressantes à très forte dynamique c’est qu’il peut exister un fossé entre la réalité vécue et l’analyse ensuite « sur une estrade ».

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  3. BUFFET

    Bonjour

    Un pilote que nous appellerons Vincent, Instructeur PL et passionné, construit actuellement un avion…depuis environ 15 ans.

    Lorsqu’il a expliqué qu’il avait choisi le modèle idéal en cas de panne en campagne, en cas de crash…j’ai entendu nombre de personnes s’offusquer d’une telle pensée…

    Lorsque j’ai acquis un petit avion bizarre, j’ai immédiatement modifié la verrière pour assurer
    – La protection du pilote
    – L’évacuation rapide en cas de retournement à l’atterrissage.

    Beaucoup de constructeurs amateurs se tuent en voulant absolument sauver la machine, source de conflit familial pour parfois trôné dans la salle à manger durant de longues périodes de séchages…source d’investissement financier important, et gage de réussite et d’admiration collective méritée par une constance sans faille…!!.

    Alors, installer dans son mental que l’on peut casser la machine dès le premier vol n’est pas un réflex ….naturel….

    Et pourtant…il faut l’envisager, tout comme il faut envisager les conséquences et les moyens d’un tel projet.

    Combien de constructeurs se sont refusé une qualification sur le type de machine par soucis ultime d’économie…avec les conséquences dramatiques qu’ impliquent de découvrir non seulement la machine, mais le type de pilotage adapté à ce type de conception….

    Préparer son vol, c’est aussi préparer le premier vol de la future machine que l’on envisage de construire..

    Alors, rentrent en paramètres nouveaux, la fatigue, l’envie d’en finir…et de concrétiser ENFIN…les milliers d’heures de travail.

    Et puis…la pression de toutes celles et ceux qui vous ” attendent ” au résultat, soit par fierté d’avoir été associés au projet, soit par curiosité…ou parfois…par jalousie…

    C’est donc la décision du départ ………qui fera celle de l’arrivée..

    Bonne journée

    Pierre

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  4. Panne de radio

    Un jour un jeune pilote de ligne loue un petit coucou pour se promener. Il se retrouve à un mauvais endroit où il ne devrait vraiment pas être.

    La radio ne marche apparemment pas, il ne recoit pas d instruction… Comme il en a l’habitude.

    Son passager, qui n est pas pilote lui dit, laisse tomber la radio, fait demi tour et le problème sera réglé aussitôt…

    La solution était simple : qu’attendre de la radio quand il faut faire demi-tour ?

    Le pilote de ligne professionnel attendait une solution de la tour de contrôle.

    Remarquez, sans radio et dans sa position, en quelques minutes il aurait pu l’obtenir directement dans la tour dans laquelle il allait se planter, ou dans la cabine de pilotage d’un autre avion en vol…

    Comme quoi, il semble en effet que des comportements soient motivés par la formation, même dans des situations apparemment tres simples.

    La radio était réglée sur un mauvais canal…

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  5. Casanova Dom

    Je me rappelle un conseil, donné par un de mes formateurs initiaux en sécurité des vols.
    « Un navigant technique professionnel doit toujours douter à priori ».
    Finalement il avait raison, car Je pense que, même en aviation de loisir, le doute (météo, nav, technique), permet à l’esprit de rester en éveil, d’anticiper et d’éviter la routine. Il n’est pas question de monter dans l’appareil la peur au ventre, mais d’être conscient, que voler comporte quelques risques et que la première loi de MURPHY est toujours d’actualité quelle que soient les évolutions technologiques. (If anything can go wrong..it Will !!!!)

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    1. JG CHARRIER Author

      On parle aussi de vigilance, nous devons toujours être vigilant, et donc pour lever les doutes le plus tôt possible. Le plus tôt possible cela peut-être dès la préparation de son vol. Compréhension, anticipation, pour toujours conserver un temps d’avance sur les évènements.
      Jean Gabriel

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