FONDAMENTAL

La culture juste

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Voici un article aimablement proposé par Arnaud Delmas qui est ingénieur en aéronautique. Il travaille aujourd’hui dans le domaine nucléaire. Il est instructeur avion et planeur en aéroclub. Il a 3000 h de vol dont 1500 h en instruction.

De la « Culture Punitive » à la « Culture Juste »

Depuis l’antiquité, l’homme a toujours été considéré comme responsable de ses actes, même quand il s’agit d’erreurs involontaires. C’est le « œil pour œil, dent pour dent » de la Bible qui limite la soif de justice – de vengeance ? – des familles des victimes et du grand public. Notre nature humaine nous pousse à considérer que le responsable est coupable.

Cette conception de la justice ou « culture punitive » a peu évolué sauf pour les peines qui sont beaucoup moins barbares ! Selon notre code pénal, non seulement la négligence ou l’imprudence mais même la maladresse ou l’inattention suffisent pour condamner le responsable d’un accident avec des conséquences graves : mort ou blessures graves.

L’aéronautique est une de ces activités à risques qui mettent en œuvre des systèmes complexes où la sécurité est un facteur déterminant. Cette « culture punitive » est de plus en plus perçue, par les opérateurs de ces systèmes, comme injuste et inefficace :

–     injuste, car on condamne indifféremment la malchance et la violation délibérée des règles,

–     inefficace, car contrairement à la « théorie des pommes pourries », tous, sans exceptions, nous commettons des erreurs (1). Il est illusoire de prétendre éradiquer l’erreur humaine !

En effet, la « Culture Punitive » ne fait pas de différence entre la faute qui est une violation délibérée des règles, et l’erreur qui est involontaire (2). L’erreur peut se traduire par une violation involontaire.

(1) Cf. Réflexions sur la nouvelle conception de l’erreur humaine : Les pommes pourries existent-elles ? Sécurité aérienne – Nouvelles n° 4/2006 pp. 6

(2) Par exemple, l’erreur de navigation qui conduit à pénétrer une zone contrôlée sans clairance est une violation involontaire.

Avec la judiciarisation accrue de notre société, chacun cherchant légitimement à se protéger, cette « Culture Punitive » a deux conséquences perverses pour l’aviation :

–       le refus du risque, application contestable du « Principe de précaution »,

–       la non-communication des erreurs, pour « préserver les droits de la défense ».

Or, pour faire progresser la sécurité, il est beaucoup plus efficace d’analyser les erreurs de ceux qui ont eu la chance de s’en sortir et qui veulent bien en parler, plutôt que de tenter de faire parler les épaves et les témoins quand les acteurs du drame sont morts.

L’accident grave est la partie émergée d’un iceberg d’accidents, d’incidents ou d’événements significatifs pour la sécurité des vols. En réduisant le nombre de ces évènements, on peut espérer diminuer la probabilité d’accident grave. Cette réduction passe par une bonne compréhension des causes de chaque évènement.

La sécurité des vols repose donc sur la transparence et le partage des informations. En effet, l’efficacité de tout système de retour d’expérience dépend de la bonne volonté de chacun pour fournir des renseignements essentiels pour la sécurité, ce qui signifie souvent d’accepter de signaler ses propres fautes et erreurs. La mise en oeuvre d’une « Culture Juste » est un élément essentiel pour créer un climat de confiance qui encourage et facilite la communication et le partage des informations.

La “culture juste”

Le concept de « Culture Juste » repose sur le traitement « non-punitif » de l’erreur humaine. Par contre, il impose de sanctionner la transgression volontaire.

Le professeur James Reason définit la culture juste comme « un climat de confiance qui incite les personnes à fournir des renseignements essentiels liés à la sécurité, voire les récompense, et qui établit une ligne de démarcation claire entre le comportement acceptable et le comportement inacceptable ».

Les Etats et organismes européens ont proposé comme définition : « Une culture dans laquelle les acteurs de première ligne ne sont pas punis pour des actions, omissions ou décisions proportionnées à leur expérience et leur formation, mais aussi une culture dans laquelle les négligences graves, les violations délibérées et les actes destructeurs ne sont pas tolérés ».

En France, le Code de l’Aviation Civile (Art. L 722-3) prévoit déjà que : « Aucune sanction administrative, disciplinaire ou professionnelle ne peut être infligée à une personne qui a rendu compte d’un accident ou d’un incident d’aviation civile ou d’un événement […], dans les conditions prévues à l’article L. 722-2, qu’elle ait été ou non impliquée dans cet accident, incident ou événement, sauf si elle s’est elle-même rendue coupable d’un manquement délibéré ou répété aux règles de sécurité ».

Pour l’aviation légère, cette protection bénéficie aux pilotes qui déclarent un événement au REC – Recueil d’Evènements Confidentiels – créé par le BEA français. La déclaration n’est pas anonyme mais confidentielle : les personnes concernées ne sont pas identifiables dans les rapports du REC.

Les Forces Aériennes Canadiennes fournissent un autre exemple intéressant à travers les quatre principes fondamentaux de leur Programme de la SV (Sécurité des Vols) :

« – Le principal objectif du Programme consiste à prévenir les incidents et les accidents. Bien que des causes soient attribuées aux incidents et aux accidents, elles ne le sont que pour favoriser l’élaboration de mesures de prévention efficaces ;

– On attend du personnel qui participe à la conduite et au soutien des opérations de vol qu’il signale librement et ouvertement tous les incidents et tous les accidents ainsi que toute préoccupation liée à la SV ;

– Afin de déterminer la cause des incidents et des accidents pour que des mesures de prévention pertinentes et efficaces soient élaborées et mises en œuvre, on attend du personnel participant à la conduite et au soutien des opérations de vol qu’il reconnaisse volontairement ses propres erreurs et lacunes ;

– Afin de faciliter le signalement libre et ouvert ainsi que la reconnaissance volontaire des erreurs et lacunes, le Programme n’attribue aucun blâme. Le personnel mêlé à un incident ou à un accident n’est pas identifié dans les rapports finals, et les rapports eux-mêmes ne peuvent être utilisés dans une action en justice, pour des sanctions administratives ou disciplinaires ou pour toute autre procédure judiciaire ».

Mise en oeuvre de la “culture juste” au sein d’un aéro-club

Pour susciter la confiance, la confidentialité dans le traitement des évènements déclarés est essentielle. Dans la petite structure qu’est un aéroclub, c’est le rôle d’un « Correspondant Sécurité des Vols » distinct du chef-pilote.

Dans ce cadre, la « culture juste » peut se traduire par :

  • Pas de sanction en cas d’erreur, ou de violation involontaire.
  • Mais, tout évènement mettant en cause la sécurité des vols doit être déclaré au correspondant sécurité des vols.
  • Confidentialité dans l’analyse des incidents déclarés (pas de confession publique !) et exploitation du retour d’expérience sous une forme désidentifiée.
  • Sanction en cas de manquement délibéré ou répété aux règles de sécurité, ou de non déclaration d’un incident manifestement significatif.
  • Chacun étant appelé à reconnaître ses erreurs et ses lacunes, une demande de réentrainement n’est pas une sanction, mais une pratique normale de l’activité.

Souvent, cette « culture juste » est déjà pratiquée, mais il est souhaitable de l’inscrire dans un règlement intérieur adapté, connu de tous et appliqué.

Bons vols Arnaud DELMAS

4 Comments

  1. le floch

    Pouvez vous donner une définition de la : “violation involontaire” ?

    elle nécessite une formation parce que le sens commun laisse penser qu’il est peu important de connaitre les lois régissant l’activité le pilote bénéficiant de l’excuse miracle “de la violation involontaire” .
    Concept dangereux sans une formation et un cadre rigoureux

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  2. JG CHARRIER

    La réponse à la question peut-être abordée sous l’angle de l’erreur et de la faute. Faire une erreur c’est ignorer les conséquences négatives de ses actes. La faute est intentionnelle, le pilote connaît à l’avance les conséquences : déviation à la norme, prise de risque évidente… Donc une violation involontaire est une erreur (excusable) et une violation volontaire une faute (non excusable).

    Mais cela ne s’arrête pas là, le pilote à des obligations, c’est le fond de la question, en l’occurrence il doit posséder des connaissances, tout n’est pas excusable. Pénétrer dans un espace aérien interdit parce qu’il n’a pas préparé sa navigation relève de la faute, alors que s’il a préparé correctement son vol et qu’il se retrouve dans une situation difficilement prévisible et qu’il pénètre par mégarde dans cette espace, c’est une erreur. La frontière entre les deux ce sont les « règles de sécurité » qui sous entendent des connaissances, et la notion « d’obligation de prudence » qui est un terme juridique qui sous entend le bon sens. Donc, on ne peut pas faire n’importe quoi, Reason parle de comportement acceptable ou inacceptable.

    Maintenant, il faut bien comprendre l’esprit de la « culture juste » qui vise le futur, c’est-à-dire d’éviter qu’un évènement ne se reproduise. Pour y parvenir le retour de ces évènements de sécurité par les pilotes est une démarche qui doit être encouragée, c’est le concept de base. Dans cette démarche le pilote n’est pas concerné en tant que personne mais en tant qu’indicateur du système.

    Pour bien comprendre l’intérêt de cette démarche, il existe un exemple parlant dans un autre domaine. Il y a quelque temps, suite à un problème de sécurité dans une centrale nucléaire, les médias s’emparent de l’information, et dans la foulée arrive un communiqué de la direction : « Nous allons prendre des sanctions ». On comprend l’importance de la « culture juste » dans ces grands systèmes où les employés vont chercher à cacher leurs prochaines erreurs pour éviter les sanctions. Son intérêt est certes plus limité dans l’aviation légère, mais il permet également de communiquer sur l’erreur, de sensibiliser les pilotes à leurs vulnérabilités.

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  3. JM Alard

    Quelques slogans :

    “MIEUX VAUT CORRIGER L’ERREUR QUE SON AUTEUR”

    “UNE ERREUR DOIT ÊTRE UNE LEÇON, SA RÉPÉTITION EST UNE FAUTE”

    (errare humanum est, perseverare diabolicum)

    “APPRENEZ DES ERREURS DES AUTRES, VOTRE VIE NE SERA JAMAIS ASSEZ LONGUE POUR LES COMMETTRE TOUTES…”

    Cordialement

    JM

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  4. Troncal

    Le problème est qu’il y a un continuum entre erreur et violation, et non une séparation nette et claire comme certains semblent le dire, ce qui complique encore un peu l’approche…

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