Voici un article de Jean-Marie Alard, un passionné de vol à voile. Il cumule un bon millier d’heures de vol dont près de la moitié en montagne. Il va bientôt se lancer dans l’instruction. Quand il ne vole pas il est médecin (Anesthésie-Réanimation et Médecine Aéronautique et Spatiale). Jean Marie nous montre qu’il existe des moments particuliers en vol qui se caractérisent par une forte pression temporelle (dans ce vol il doit prendre une décision très rapidement), des risques, et une situation complexe c’est à dire pour laquelle il n’existe pas de choix qui soit vraiment évident. Pression temporelle et risques, Jean Marie ne nous en parle pas, mais si nous rajoutons stress, on ne doit pas trop se tromper.
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Ce jour là, à Saint-Auban, il pleut. Nous sommes quelques uns, les mains dans les poches, à regarder se préparer les “furieux” qui suivent le Chef Pilote, plus optimiste que nous. Nous sommes convaincus qu’ils vont revenir bientôt et nous ricanons quelque peu. Un fort vent de Sud balaye la piste. Nous remontons le col de nos imperméables. Finalement, nous entendons à la radio qu’ils ont trouvé de l’onde à Sisteron ville. Enfin convaincu, je pars, sur un ASW-28 du Centre, accompagné d’autres. Ca serait bête de ne pas voler du tout. Je me paye un remorqué d’émir jusqu’aux abords du rocher de la Baume sur lequel je vois “ramer” quelques planeur en vol de pente. Ne trouvant rien, je me rue vers le sommet de Hongrie et je découvre un ressaut d’onde de Sud. Il me monte à 2700 m QNH. Ayant atteint un plafond nuageux, je constate que le trou de foehn tend à se refermer. Il devient évident que ce vol sera le plus court de ma semaine dans les Alpes du Sud. Je sors les aérofreins et je redescend vite, afin d’éviter la R70 qui est active, et je me dirige vers le chemin du retour. Une pluie fine commence à tomber. Je vois une tache claire au loin, ça doit être Saint-Auban aéro. Je sors mon train et rentre les aérofreins, me considérant visuellement dans le plan pour une directe, ce que confirme mon GPS. Plusieurs messages radio rendent compte des difficultés des autres planeurs, bas et vent de face, de retour sur la piste d’origine. Au fur et à mesure de mon plané, je constate que la tache claire est un champ et non pas le terrain.
Mon GPS me donne un plan direct sans prise de terrain. Mais je n’ai pas spiralé et le paramètre vent n’est pas intégré par le calcul informatique. Je tente malgré tout une rentrée en jugeant du plan visuellement. Fort des briefings sur la polaire de l’aile mouillée et l’équivalent vent, je vole 100 km/h, privilégiant la finesse au taux de chute. Chemin faisant, je passe au dessus des champs de Salignac et je vois un, puis deux, puis trois planeurs posé dans les cultures. Des Janus, donc, des instructeurs… Ce n’est pas de bonne augure ! Ils ont choisi les champs à dominante brune plutôt que les verts sombres. De vrais pros ! Mais, que voulez-vous ? “Janus mouillé, Janus posé !” Arrive, au loin, le rocher Saint Jean. Je réfléchis rapidement : s’il y a des rabattants, je fais demi tour et je me pose dans les champs avec les Janus. Sinon, je continue sur la finesse. Pourtant, j’observe bien que, derrière ce rocher, il n’y a que des bosquets et des toits hérissés de rateaux. Il faut prendre une décision. Je tente le coup. Je passe à 700 m QNH au dessus du rocher Saint-Jean; pas de rabattants ! Je plane au ras des toits; j’en vois les tuiles provençales, aux teintes claires. A droite, des arbres et la route. A gauche, des arbres puis l’usine. Je me dis qu’il faut “vaincre ou mourir”. Je m’en veux d’être aussi bas. Enfin, je passe le seuil de la piste avec 50 m de réserve. J’atterris en finale directe sans problème.
Mes camarades me rejoignent en souriant de ce vol “gag”. Pourtant un je ne sais quoi ne me satisfait pas. J’ai du mal à jouir de mon succès.
L’analyse de la fin du vol montre plusieurs choses intéressantes :
- – mauvaise analyse visuelle du local terrain
- – bonne gestion du vent de face et de l’aile mouillée. – bonne gestion de la zone R70
- – évaluation de la prise de risque jusqu’au rocher Saint-Jean
- – mauvaise décision, en terme de gestion du risque, au rocher Saint-Jean
- – train laissé ouvert dans une phase de recherche de finesse.
La bonne décision, en terme de sécurité, eut-été de rejoindre les planeurs biplaces qui étaient “vachés”. Au lieu de quoi, j’ai opté pour une prise de risque qui compromettait possiblement le pilote et le planeur. Cette histoire met également en valeur la notion de “chance”. Puisque je m’en suis sorti, il n’y a pas eu de problème, donc, aucune raison de réfléchir à la gestion du risque. Cela revient à nier qu’il y ait eu une erreur grave. Dans une assimilation au modèle de Reason, trois erreurs sur six items. Quel aurait été l’effet de l’addition d’une autre erreur ? (vitesse à 130 km/h). Quelle a été ma marge de sécurité ? Qu’ai-je risqué de l’avoir tenté ? Qu’ai-je gagné de l’avoir fait ?
Celà dit, comme rien n’est simple, voici la fin de l’histoire…
Je suis allé dépanner les planeurs biplaces des instructeurs. A mon arrivée dans le champ, j’ai été frappé par la hauteur de la végétation. Les planeurs émergeaient de blés hauts de 1 mètre. Les champs vert foncé étaient couverts de luzerne, 25 cm de hauteur au maximum. Si j’avais choisi d’aller aux vaches, j’aurai peut-être choisi le mauvais champ et cassé le planeur…
A moins qu’un des instructeurs ne me prévienne !
Cette erreur est profitable. Elle aurait pu être fatale.
Si je ne l’avais pas commise, je n’aurais pas bénéficié de la leçon qui en découle.
Seul le fait que j’en parle permet au lecteur de profiter de la leçon, sans avoir pris le risque.
Pourquoi donc priverais-je autrui de ce bénéfice ?
C’est ce qui nous différencie des animaux : nous pouvons transmettre notre expérience au delà de notre personne et au delà du temps, grâce à l’écriture.
Bons vols
Jean Marie
Bonne gestion de la R71 ?