LE BLOG, PILOTE PROFESSIONNEL

Le pilote commet une erreur mais la faute est parfois ailleurs

Dans une entreprise si vous demandez à une personne de résoudre un problème, soit il a les moyens de vous aider, soit cela ne fait pas partie de son domaine de compétence et il vous dirigera vers un autre service. Son obligation de résultat est jugée par rapport aux moyens dont il dispose.

Dans un avion c’est complètement différent, l’équipage confronté à un problème, quel qu’il soit, n’a qu’une seule obligation : c’est celle du résultat, quels que soient ses moyens. L’équipage est donc seul et il  existe également une autre différence avec le monde des terriens, il avance à 8 nautiques par minute (15 km/mn) dans un environnement hostile, il fait nuit, le décalage horaire use les organismes, la pression temporelle est forte… Les contextes générateurs d’accident sont rarement de tout repos.

Et si un accident survient, souvent le premier constat c’est que le pilote a commis une erreur, même s’il n’avait pas les moyens de gérer problème. Et si vous mettez en évidence cette lacune, on va tirer sur une ficelle et on vous dira alors qu’il devait éviter de se mettre dans cette situation. Et, quand une partie du système cherche à se dégager de ses responsabilités pendant que l’autre cherche à trouver un responsable, si ça ne suffit pas encore on continuera à tirer toujours sur la même ficelle, celle du pilote, et on déterrera un livret de progression à la recherche d’une faille technique ou comportementale : « je vous l’avais bien dit » !  Et l’erreur du pilote devient alors une faute : «  C’est une faute de pilotage ».

La résolution des problèmes

Si vous donnez un problème de troisième à un élève de quatrième, il va commettre des erreurs, on évite donc de mettre la charrue avant les bœufs. Dans la vraie vie les choses ne sont pas aussi simples et parfois les équipages se retrouvent malgré tout face à des situations inédites pour lesquelles ils n’ont pas été formés, ils font face à la plupart de celles-ci et parfois ils commettent des erreurs. Un petit rappel, la résolution d’un problème dans un poste de pilotage ce n’est pas une bonne ou une mauvaise note donnée par le professeur, un compliment ou une réprimande de la hiérarchie, c’est la sécurité de l’équipage et de celle de ses passagers qui sont en jeu.

Oui, mais…

Une fois l’erreur commise (malgré l’obligation de résultat), et s’il y a des conséquences importantes, nombre de spécialistes, d’experts, vont rechercher l’origine de l’erreur. La plupart du temps, cette origine va se cantonner au poste de pilotage. Je vous invite à relire l’article de Christophe : « Réflexion sur la nouvelle conception de l’erreur humaine », dans lequel il écrit : Dans cet exemple, l’enquêteur est victime du biaisement du jugement rétrospectif. Disposant d’une vue d’ensemble de vos actions et des événements, il voit, après coup, l’information dont vous auriez dû vous inspirer. Il regarde le scénario de l’extérieur, en connaissant le dénouement de la situation. Je vous invite à lire également ces quelques lignes : « Un accident aérien », qui s’inspirent du même constat.

Christophe dans son article fait également référence au syndrome de la pomme pourrie : Un grand mathématicien New Yorkais explique de la façon suivante la théorie de la pomme pourrie : (Traduction) « «… Les systèmes complexes fonctionneraient bien si ce n’était le comportement erratique de personnes non fiables (pommes pourries) qui en font partie… ». Avec en moyenne deux erreurs par trajet (LOSA/USA), chaque pilote commet des milliers d’erreurs au cours de sa carrière. Existe-t-il un seul pilote qui n’ait jamais commis une seule erreur. En tant que pilote si nous devions avoir une seule certitude, c’est que ce pilote n’existe pas.

C’est pourquoi il nous faut aller chercher plus loin.

Taper sur la tête des pilotes, c’est facile, ça ne demande pas beaucoup d’expertise, peu de jugeote, c’est médiatiquement porteur, et en plus ça évite de soulever le tapis sous lequel on a peut-être balayé un peu trop facilement pas mal de choses. Des chercheurs ont perçu les limites de ces analyses superficielles, et souvent réductrices vis à vis des équipages. En s’inspirant du modèle de REASON, ils ont inventé un modèle (Human Factors Analysis and Classification System) qui permet d’aller voir sous le tapis pour rechercher des conditions latentes qui se trouveraient en amont des acteurs de première ligne, et qui seraient des facteurs contributifs de ces erreurs ou déviations : la technologie était-elle adaptée, la supervision des pilotes correctement effectuée, les procédures correctement rédigées, la formation bien adaptée … ?

La formation était-elle adaptée ?

Prenons en exemple, à l’intérieur de ce modèle, le cas de la formation. Les programmes de formation sont rédigés à partir d’une analyse du métier, de ses tâches, vient ensuite l’apprentissage et finalement l’exercice du métier. L’individu va alors accomplir des tâches pour lesquelles il a été formé, mais parce que l’erreur est indissociable de toute activité humaine, il va en commettre, la plupart d’entre elles étant bénignes, et les systèmes « résistants » à l’erreur. Mais certaines tâches particulières n’entraînent-elles pas trop d’erreurs ? Analyse des vols, retour d’expérience, système qualité… les boucles retour existent. Une fois identifiées par ces boucles, ces tâches ou ces situations particulières sont à nouveau analysées pour, dans cet exemple, amender le programme de formation et éviter ainsi que certaines erreurs ne se reproduisent.

A partir de quel seuil c’est sous le tapis qu’il faut aller voir ?

Il est d’usage de considérer que le contenu d’un programme de formation doit être revisité si plus de 20% des individus n’accomplissent pas la tâche correctement (la MPL utilise un autre critère similaire : pour pallier ces carences, un critère de validité, selon lequel 80 % des stagiaires devraient atteindre 80 % des objectifs, est communément utilisé). Il peut certainement arriver que certaines situations soient trop compliquées à gérer pour un pilote en particulier qui ferait donc partie de ces 20% et ceci ne remettrait alors pas forcément en cause le contenu de la formation. Si vous mettez deux pilotes le risque de voir la situation non maîtrisée diminue fortement, et avec trois la probabilité devient très faible. A moins que ! A moins que ce soit la formation qui n’est pas été pas correctement calibrée (contenu, supervision etc.), on soulève alors le tapis.

Si une situation n’est pas comprise par un équipage, et a fortiori un équipage de trois personnes, il faut  rechercher des causes latentes dans la formation, la certification, la conception, entre autres, ceci pour éviter le renouvellement de l’accident, plutôt que dans les comportements des pilotes au  moment de celui-ci.

Si vous demandez à un élève de quatrième de résoudre un problème de troisième, c’est votre élève qui va commettre l’erreur, mais par votre faute.

Bons vols


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