LE BLOG, PILOTE PRIVE

Un escargot dans le cockpit !

Voici un récit de Xavier de l’équipe Mentalpilote. Ce qui lui est arrivé prend un relief particulier quand nous connaissons son investissement pour la sécurité et plus particulièrement pour les facteurs humains, ainsi que son expérience au moment de cet évènement avec plus de 6000 vols en parapente. Alors que Xavier subit encore les traumatismes de son accident, il va jusqu’au bout de sa démarche en partageant son analyse en espérant qu’elle puisse vous apporter un peu de recul sur vos propres pratiques. JG.

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Après la théorie passons maintenant à la pratique.

Un bon ami que je connais très bien….Un bien beau dimanche de juin. Nous le trouvons à la maison avec sa fille de huit ans. Huit heures du matin, il projette de jouer avec elle tranquillement et pourquoi pas de l’emmener à la piscine. Attendant la soirée pour aller voler, une fois son épouse revenue du concours d’équitation l’ayant faite se lever aux aurores.

Jusqu’ici la saison n’a pas été formidable. Xavier aurait besoin de quelques journées de relâche pour avoir beaucoup travaillé ces derniers mois. Il rêve de pouvoir prochainement voler sans contraintes et profiter simplement de l’été. Xavier est reconnu pour sa prudence. Il vient de terminer la co- écriture d’un petit manuel de facteurs humains pour les pilotes qu’il distribue quand il le peut à qui le souhaite sur son site fétiche de vol libre… Le téléphone retentit. L’un de ses proches lui propose de se faire une navette à deux pour un vol à la fraîche. Xavier éveillé depuis peu demande à sa petite si l’idée l’intéresse. La réponse ne tarde pas, en effet cela fait plusieurs mois qu’elle lui demandait de l’accompagner. D’habitude le père emmène avec lui son ainé. Premièrement parce que c’est lui le plus motivé. Mais aussi parce qu’il est plus grand et que les limites aérologiques qu’il se fixe sont plus amples en raison d’une meilleure charge alaire sous son aile tandem la moins surfacée. Sa petite dernière, elle, a déjà volé une quinzaine de fois. Pour elle il choisit toujours des conditions très calmes. Vents légers, soarings laminaires. Il faut aussi ajouter que depuis deux semaines son fils est hospitalisé pour des problèmes de santé. Une pathologie ajoutant très certainement son lot à l’inconscient de notre pilote : tristesse, craintes, fatigue et soucis. Une visite à l’hôpital est d’ailleurs programmée en début d’après-midi…

Consciencieux, Xavier vérifie sur « portique » que la petite sellette va toujours à sa fille et procède au pré réglage des sangles. Il rajoute une mousse dorsale à l’arrière de la sellette kids qu’il avait installée dans un autre siège depuis l’hiver dernier. Il pèse la demoiselle puis calcule leur poids total volant afin de vérifier qu’ils se trouvent à l’intérieur de la fourchette des données constructeurs. Il pioche rapidement une sellette pilote avec écarteurs dans le contenant qu’il réserve au matériel biplace adultes. Soucieux d’éviter des conditions convectives avec l’avancement de la matinée, Xavier se dépêche. Il sort laissant un salon empli de sacs de parapentes encore ouverts et une table non débarassée du petit déjeuner. Si Xavier s’écoutait à ce moment, il entendrait qu’il n’a pas envie d’y aller. Des conditions matinales synonymes de beaucoup de route et de préparatifs de mise en oeuvre pour un vol court d’une poignée de minutes. En réalité Xavier franchit ici l’une première barrière les conduisant vers l’inconnu. Son état de conscience du moment ne lui permet pas à cet instant de mettre en pratique les règles qu’il avait pourtant bien décortiquées lors de la réalisation du petit livre sur les notions de sécurité. Les voilà montant tous vers le décollage. En haut, une déception : le vent présent ce matin au départ (vu sur la manche à air avec les jumelles) vient de cesser. Plus le moindre souffle sur la montagne. Le calme plat. Des écoles font partir leurs élèves sur le décollage le plus usité. Xavier émet pourtant une réserve à son ami libériste. Au vu de l’absence de portance initiale engendrée par l’absence de vent, il lui propose de se rendre à l’ancien déco, une pente plus raide et suffisament longue, augmentant l’angle d’incidence de l’air sur le profil dans la course et donc facilitant nettement la manoeuvre d’envol pour lui et sa fille. Au lieu de renoncer, Xavier se rapproche de La limite. Sur place les hautes herbes ont envahi l’espace. Les deux parapentistes s’installent. L’un devant l’autre. Le biplace partira en premier. Xavier prépare le matériel, opère les vérifications tout en ayant repéré un cheminement sans trop de chaos pour la course. Sa fillette s’impatiente un peu. Xavier ne souhaite pas tergiverser. Il s’élance en avant. Immédiatement l’aile prend en charge sa fille. Xavier en tout début de course ressent son aile molle et dissymétrique côté droit. Il stoppe. Sa fille est étonnée. Xavier lui explicite que celui là n’était pas vraiment le bon ! Qu’il vont opérer un deuxième décollage en attendant un chouïa de vent de face. Xavier réinstalle. Au milieu des herbes folles et des multiples suspentes, rien de louche ne retientson attention. Bien sûr si Xavier savait, il aurait pu, à cet instant, faire un gonflage en solo afin de vérifier que la géométrie de son aile ne présentait aucun défaut. Hélas ce gonflage manqué n’a pas éveillé en lui de signal particulier ! Les voici prêts pour le deuxième round. Après avoir reçu une légère brisette sur le bout du nez Xavier énergique se réélance en avant. L’aile monte promptement et arrive au-dessus d’eux d’un bloc. Xavier accélère en levant brièvement les yeux pour un rapide contact visuel. Sa fille est immédiatement prise en charge, Xavier accélère dans la descente manoeuvrant les commandes dans des gestes réflexes et bien rôdés. L’aile le soulève à son tour et c’est le décollage. A peine ont-ils pris un mètre d’altitude que leur aile s’enfonce sur trajectoire au lieu de prendre correctement sa ligne de vol ! Xavier retouche alors le sol mais la situation semble déjà verrouillée au vu de leur vitesse et de l’inertie en jeu: impossible de s’arrêter avant la cassure au risque de passer purement au trou ! Xavier n’a plus qu’une chose à faire, relever légèrement les mains et forcer sur la vitesse en propulsant l’aéronef en avant sur le dernier caillou. L’aile atteint le vide (une barre rocheuse d’une vingtaine de mètres). Les dés sont jetés. Le parapente avance de quelques mètres sur le vide puis, à l’instar de ce qu’il venait de faire aux abords de la sortie, cesse littéralement de voler. Il chute tel un ascenseur qui aurait été appelé du rez de chaussée. Tout se déroule dans un laps de temps si court qu’il n’y a pas même matière à déclencher le parachute.

Fort heureusement dans cette adversité, l’aile ni ne décroche, ni ne plonge ou ne change brutalement d’axe. Xavier réussit d’un geste léger à enrayer un début de rotation vers leur droite. Victime d’une phase parachutale déclenchée très probablement par un noeud. Une clé qu’il n’a visiblement pas su déceler. Alors que le sol monte vers eux dans ce régime transitoire dans lequel l’aile s’est installée il lâche ses commandes et opère un geste ultime de protection pour son enfant avant l’impact dans une vire herbeuse. Prise en soin par les secours pour des douleurs, il s’avérera que la petite n’a pas été blessée. Notre pilote lui en sera quitte pour quelques mois de patience et d’immobilisation.

Aujourd’hui notre casse-cou du jour est un homme partagé. Oh, si peu ! Tellement heureux et reconnaissant de ne pas avoir eu sa passagère blessée… Pour le reste, sa passion de voler restera entachée par ce constat simple mais désormais irrévocable : celui d’avoir un jour failli ! Il revolera peut-être un jour : Seul. C’est ce qu’il a fermement décidé. Comme le temps et parce qu’elle a tout son temps, l’adversité nous accule pour inexorablement un jour nous gagner ! Je ne souhaite pas de sitôt l’oublier.

Meilleures salutations d’une chaise longue bigarrée, Et très bons vols à Vous les grands oiseaux colorés !

Xavier Bévant

One Comment

  1. franck renouard

    Bonjour,

    votre histoire est édifiante, d’autant plus que j’ai vécu plus ou moins la même il y a de nombreuses années, mais en hélico pour ma part. Au fur et à mesure que je lisais votre texte, j’ai ressenti à nouveau les doutes rétrospectifs à mon accident. Je n’ai pas bien compris ce qui vous est arrivé, mais je vous félicite pour ce partage. Ce genre de texte devrait être lu régulièrement dans toutes les écoles de pilotage, pour bien comprendre que, bien souvent, l’accident (le votre et le mien) commence bien avant l’arrivée sur le terrain. Il faut savoir identifier ces petits signes que certains appellent le 6éme sens et qui n’est qu’une manifestation, aujourd’hui bien identifiée, d’une partie du cerveau. Mais encore faut-il y prêter attention, et ne pas se laisser pousser par son environnement humains et/ ou matériel.

    cordialement

    Franck Renouard

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