DÉCISION

Alors, qu’auriez-vous fait à la place de ce pilote ?

Mentalpilote A18

Le pilote n’a pas volé depuis deux Jours pour cause de météo impossible… Le troisième, le soleil est de la partie, temps magnifique, mais étrangement et la loi du secours médicalisé est ainsi faite, aucun coup de téléphone de la journée !

Évidemment, une heure à peine avant le coucher de soleil en ce mois de décembre, le téléphone sonne. Une mission assez courte, un aller-retour simple, bien que les conditions du moment soient encore bonnes elles vont s’amenuiser. Le pilote accepte le vol, d’une part parce qu’il est faisable mais aussi, parce que l’attente est longue ! Conscient que les conditions météorologiques vont diminuer avec le rapprochement du point de rosée, ce vol est sans surprise la destination est une hélistation de bonne facture.

Au posé sur l’hôpital de destination, le pilote observe le phénomène de rétrécissement de la visibilité, il ne faut donc pas s’éterniser, comme convenu, cependant les minima admissibles ne sont pas atteints.

En vol retour vers sa base principale, le dernier de la journée, on lui demande un posé dans un village qu’il est juste en train de survoler, pour une urgence caractérisée, la nuit sera installée dans 10 minutes. Il accepte bien entendu, comment pourrait-il le refuser, il est en vol, on est à quelques minutes de la nuit, entre chien et loup, l’hélicoptère passe quasiment à la verticale de l’urgence en question.

Le seul vol possible devient celui vers la base principale à quelques minutes de vol. Au sol, dans ce hameau isolé, le froid s’installe et les conditions météorologiques continuent normalement à se dégrader !

On ne va pas laisser le patient ici à si peu de l’hôpital mais, c’est clair, il ne faut plus trainer. Le décollage préalablement repéré et jaugé par le pilote intervient dans une nuit noire avec le patient à bord, le vol se déroule avec un petit, trois kilomètres de visibilité, c’est administrativement inférieur à la règle, mais jouable pour ce pilote expérimenté sur ce compartiment de terrain.

Quelques minutes après le poser, le point de condensation est atteint, la région se pare du voile caractéristique de cette région qui se transforme rapidement en brouillard…

Commentaires

Sans en être forcément conscient, certaines de nos décisions  sont soupesées dans une balance bénéfices/risques. C’est également le cas des règles d’exploitation qui fixent des seuils en de ça desquels le risque est considéré comme plus important que les bénéfices attendus.

Mais il existe une différence entre les règles d’exploitation dont le rapport bénéfices/risques est calculé sur la seule sécurité des vols, et le secours à une personne. En poussant un peu le bouchon, pas plus que ça d’ailleurs, c’est comme si ce pilote voyait une personne se noyer dans un lac.

Le pilote a donc décidé de prendre un risque supplémentaire (calculé) en prenant en charge cet enfant pour le transporter au plus vite à l’hôpital et ainsi augmenter ses chances de survie. Il a donc considéré que dans ce rapport bénéfice/risque, le bénéfice attendu était supérieur au risque.

Alors, qu’auriez-vous fait à sa place ? Vous lui donnez une médaille avec votre casquette de Préfet, ou vous lui collez une infraction avec votre casquette de la DGAC ?

Livre 3D intel 3

Info : Le point de rosée, ou température du point de rosée, c’est la température de condensation de la vapeur d’eau contenue dans l’air. Dans le message suivant c’est 2° : LFRN 110900Z AUTO 26007KT 9999 NSC 05/02 Q1033. Quand la température diminue, comme ici avec la tombée de la nuit, l’apparition du brouillard surviendra quand la température de la masse d’air (T) atteindra celle du point de rosée (Td). En voici un exemple : LFBZ 240800Z VRB01KT 0800 0400E R09/1300VP1500N R27/1400VP1500N FG VV/// 16/16 Q1013. Il existe un petit truc simple pour se faire une idée du plafond si on a que les températures T et Td, c’est de multiplier la différence entre les deux par 122 pour obtenir la base des nuages (des basses couches : stratus, cumulus) en mètres.

Bons vols

12 Comments

  1. Jn Benoit

    Les pilotes de la protections civils sont très expérimentés ! De par leur expérience en vol et aux situations d urgence , ils on un jugement objectif de la situation et de la faisabilité de l’ intervention à réaliser !
    On est plus dans du vol loisirs où les règles sont faites pour être respectées et appliquées. On entre dans un domaine où on doit secourir des vivants! Les enjeux ne sont plus les mêmes.
    L exemple du lac est très bon, quand les Hélico sortent c est qu aucun n autre moyen de secour n est approprié!
    Conclusion: le pilote a fait son job , ni médaille du préfet , ni blamade de la DGAC.
    Bonne journée
    Jean Noël

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  2. JG CHARRIER Author

    Je suis entièrement d’accord avec toi Jean Noël. Il existe une description des différents niveaux de compétence chez les pilotes. Le plus haut niveau correspond à celui de “l’expert” dont les capacités d’analyse et d’adaptation sont particulièrement importantes (et nourries par l’expérience). Ce sont des années d’activité professionnelle, nous ne sommes plus dans les vols du dimanche !

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  3. Kerbrat

    En réponse à Jn Benoit,
    Sans polémique aucune, Il n’y a pas, entre autre, que les pilotes de la protection civile qui sont expérimentés, les autres aussi !
    Et comme ce petit monde est généralement issu du même moule, celui de la Défense à epsilon près, on n’a pas de différence de performance ni de compétence ici ou là.
    En contre partie c’est bien là la très grande différence, le pilotes de Samu assurant les contrats SAMU, sont seul à bord de jour comme de nuit !
    Entre un équipage à deux et un mono-pilote, la nuance est de taille…
    La grande partie du transport médicalisé par hélicoptère en France est exécuté par des société privées et en mono-pilote.

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  4. Pépé

    Depuis une vingtaine d’années, il y a eu en France 3 accidents mortels impliquant des hélicoptères engagés au profit du SAMU, 2 “privés” de nuit et 1 Sécurité Civile de jour. Dans tous les cas il s’agit de CFIT/perte de références dans un contexte de dégradation des conditions météo.
    Une prise de risque volontaire consistant à s’affranchir des minima est non seulement une infraction mais peut aussi être vu comme une mise en danger de l’équipage, des tiers au sol et du patient transporté. La pression morale induite par le fait qu’il s’agit d’un enfant à secourir ne doit pas influencer une décision qui devrait rester strictement technique et rationnelle. L’expérience permet d’avoir des stratégies pré-établies pour faire face aux situations délicates et de réduire les marges mais peut aussi conduire à un excès de confiance.
    Ni médaille ni sanction dans ce cas qui se termine bien mais un retour d’expérience à méditer pour nous aider à prendre les bonnes décisions en pareilles circonstances.

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  5. charrier

    Pour alimenter le débat avec Pépé, il existe en effet des minimas, mais de quels minimas parle-t-on ? On aura par exemple 200ft ou 100ft de plafond pour un atterrissage en IFR avec une hauteur de “décision” qui doit entraîner une décision quasi simultanée puisqu’il n’y a aucune marge ou presque. On est dans une approche rationnelle, tout est parfaitement calibré. Mais quand on parle de 3000m ou 2000m de visibilité les choses sont différentes. Le règlement est alors un compromis qui est le résultat d’une approche empirique, basée sur l’expérience. Un pilote privé armé de ses 50h de vol d’expérience dans sa machine, avec ses trois pendules sur son tableau de bord, à le droit de voler avec 1500m de visibilité, et un pilote du SAMU avec ses 5000h et un hélico équipé pour aller sur la Lune est limité à plus de 3000m (je ne connais pas les minimas du SAMU). Dans les règlements nous avons ce qu’on appelle la hiérarchisation des textes. Dans le bas de la page nous avons les minimas d’exploitation. Ensuite, plus haut dans la hiérarchie nous avons un texte qui dit que le pilote peut déroger pour des raisons de sécurité. Bien entendu, pour la sécurité des personnes à bord de l’hélicoptère. Et encore un peu plus haut, nous allons trouver un texte sur la non assistance à une personne en danger. Donc, je suis dans mon hélico et une personne est en détresse proche de moi, la visibilité est inférieure à mes minimas d’exploitation (mais deux fois supérieure aux minimas du pilote débutant), et cette visibilité ne me pose aucune difficulté technique dans les conditions opérationnelles présentes. Qu’est-ce que je fait : en tant que pilote, en tant que citoyen ? Quand je vois les reportages sur les hélico de la Protection Civile en montagne qui tutoient sérieusement les barbules, c’est clair qu’ils “emplâtrent” leurs minimas, mais ça ne choque pas grand monde, peut-être parce que ce n’est pas choquant. Je ne connais pas du tout cette exploitation, mais comme tu le précises Pépé, cela doit nous aider à prendre les bonnes décisions. Attention ! Nous parlons d’une activité professionnelle avec des pilotes très expérimentés, si vous êtes peu aguerri sachez que moins de 3% des pilotes sont capables de voler avec 1500m de visibilité.
    Concernant la médaille, personnellement je la donnerai à tous les pilotes du SAMU et de la protection civile quelques soient les circonstances 😉
    Jean Gabriel

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  6. durandal

    En outre l’hélico peut réduire sa vitesse de sorte à voir suffisamment loin en temps de vol, mais pas trop bien sûr.

    A quelle vitesse le brouillard (visi < 1 500m) se forme-t-il lorsque T=Td ?

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  7. Laurent

    Réponse à Pépé

    En effet, ces accidents ont par ailleurs eu comme premier effet de mettre de l’ordre dans la conformité du temps de service des pilotes de SAMU.
    En effet, ces nuits-là, car ces événements fâcheux se sont produits de nuit par mauvais temps et à une heure tardive par un pilote dont le temps de service semblait largement dépassé.
    Dans les clôtures d’enquête la notion d’état de fatigue n’est pas clairement établie ni le régime de travail et le temps accumulé de jours de permanence.
    Ceci est évidement en matière de facteur humain, assez primordiale !
    Les mauvaises pratiques ne font pas bon ménage avec la sécurité des vols.
    En ce qui concerne l’adéquation “risque sécurité” ce vol, réduit à minima, ne se situe pas du tout dans le même cadre et ne peut en aucun cas être comparé aux accidents auxquels vous faites, de mon point de vue, maladroitement référence.
    En effet, le pilote est dans son temps de service, il a donc conventionnellement “les yeux en face des trous” la météo du moment est une diminution de visibilité lente sans souci de plafond, le vol est court sur un terrain plat.
    Il n’y a pas d’acharnement et la faisabilité de ce vol est estimée sereinement par le pilote qui peut, comme le précise Jean Gabriel Charrier, concéder en cours de mission, une diminution momentanée des minima météo.
    Il n’y a donc pas ici d’impasse aux termes de la règle, les minima étant rassemblé au départ de la mission retour.
    En corollaire, le pilote commandant de bord décide de la meilleure adéquation, sécuritaire pour réaliser sa mission de secours à la personne et ce tout au long de l’année, seul à bord, il est de fait, devant l’impondérable, l’expert du dernier recours.
    Ces pilotes exercent et appliquent, tout au long de l’année et de la nuit, la politique du Safety-First, ne nous trompons pas de cible avec les accidents de:
    Ludières, Mai 1997, passage en couche et descente en spiral, région de moyenne montagne à 22h25.
    Puivert, juillet 1997 moyenne montagne, pluie vent fort (30 nœuds) réduction de visibilité jusqu’à 500m à 23 h 02.

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  8. Kevin.E

    Bonjour,

    Je vais apporter quelques éclaircissement au niveau de la réglementation.
    La nouvelle réglementation SERA pour Standardised European Rules of the Air a des minimums VMC de visibilité et de distance par rapport aux nuages. (Pour plus d’informations se reporter au paragraphe SERA.5001)

    Au niveau des hélicoptères :
    Les Hélicoptères peuvent être autorisés à voler avec une visibilité en vol inférieur à 1500m mais supérieure à 800m s’ils volent à une vitesse qui permet de voir tout autre aéronef ou tout obstacle à temps pour éviter une collision. Les visibilités en vol inférieures à 800m peuvent être autorisées dans les cas particuliers tels que les vols médicaux, les opérations de recherche et de sauvetage ainsi que les vols de lutte contre les incendies.

    Au niveau de l’équipage mono-pilote, la France est en retard par rapport aux voisins Européens mais doit se mettre à jour cette année. En effet l’Air-OBS obligera les vols en équipage. Donc d’où la création de la problématique pour les vols SMUH et de savoir qui secondera le pilote dans sa tâche.

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  9. Vladimir Krementzoff

    Je suis plutôt d’accord avec Pépé : tout s’est bien terminé, et c’est tant mieux. Le pilote était frais, il a calculé le risque, ça a marché. On ne saura jamais (et c’est tant mieux) s’il a été proche de la catastrophe ou non, et sachant que le facteur environnemental était déjà mauvais, il ne suffisait pas de grand chose. S’il avait été un petit peu plus fatigué, en plein divorce ou que sais-je encore…

    Mais le pilote a sauvé une (des) vie(s), et cela reste le principal. Après, ce n’est pas parce que tout s’est bien terminé qu’il ne faut pas analyser la situation (ce qui d’ailleurs est fait sur ce post), et trouver une solution pour que les pilotes n’aient à prendre le moins de risques possibles, et je suppose que le facteur financier entre en ligne de compte.

    —-

    En parlant de facteur financier, je me souviens d’une situation vécue il y a deux ans dans un aéroport canadien. Météo exécrable toute l’après-midi, orage violent, interdiction pour tout employé de mettre un pied sur le tarmac, et bien évidemment avions cloués au sol. J’attendais alors au comptoir d’un FBO et discutais avec des pilotes, deux français travaillant pour une petite compagnie canadienne qui faisait du transport sur turboprop pour un grand groupe américain de messagerie express.

    L’orage s’arrête enfin, l’aéroport reprend vie, les avions peuvent décoller, sauf que… sauf que les pilotes en question ont commencé leur journée à 6h00 du matin, et bien que la règlementation canadienne soit très souple, ils ne devraient pas reprendre le vol…

    Coup de fil du patron de la compagnie, haussements de voix de part et d’autres du téléphone, négociation avec le groupe, voir si un camion peut prendre le relai… les pilotes n’en démordaient pas, la loi, c’est la loi point final, même si eux même préfèreraient partir.

    Finalement après quelques menaces du gérant, les pilotes ont décollé le soir même, malgré le dépassement horaire.

    Un des deux pilotes a fini par démissionner, l’autre y est toujours.

    Tout ça pour dire que les lois sont parfois trop protectrices – vous avez sans doute déjà croisé au moins une personne qui considère que rouler à 150 sur l’autoroute, malgré une limitation à 130 c’est sûr, “après tout, l’Allemagne l’autorise, et ils ont moins d’accidents” – mais il est peut-être mieux ainsi. Avoir de la marge n’a jamais fait de mal.

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  10. Arnoux Gerard

    j’ai eu l’occasion faire de 22 h non stop de TSV sur Falcon 10 en équipage à 2, juste le temps de refueler et attendre l’équipe médicale avec la blessée à Kigali (un hôtesse de la Sabena avec la rate éclatée dans un accident de la route au Ruanda). Bien évidemment au départ c’était pas prévu comme ça (attente sur place estimée de quelques heures le temps de dormir un peu mais…). En survolant Le Bouget au retour vers Bruxelles nous avons décidé de ne pas nous poser pour gagner un heure. Elle a été sauvée. Cette décision nous l’avons prise à deux et en accord avec l’équipe médicale, conscients de notre fatigue. Mais après tout il s’agissait “d’achever un vol urgent” ce qui laissait au CDB la possibilité de déroger sans états d’âme à la règle.

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