CONSCIENCE DE LA SITUATION, récit

J’ai une boule dans la gorge…

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Un récit qui nous a été gentiment adressé par son narrateur. Merci à lui.

Voici une expérience qui m’est arrivé avec un ami il y a peu et qui aurait pu se terminer mal … Nous sommes au alentours du 20 juin et nous devons partir à deux pilotes pour voir un ami sur une piste avion à environ 90 km de notre terrain de rattachement pour dîner avec lui dans un restaurant distant de quelques kilomètres et retour. Nous connaissons bien la région et nos expériences cumulées se montent à plus de 1500 heures, avion et ULM compris. Nous volons, mon ami et moi, très régulièrement depuis des années. Nous décollons vers 18h00 et, juste avant, deux pilotes rentrant de la zone où nous projetons d’aller nous disent ” il y avait un bon 30 kts de vents là-bas”. Je pense : “tiens bizarre, j’ai pas vu ça à la MTO et ici il n’y a rien”.

Nous partons donc et arrivons 40mn plus tard avec effectivement un bon vent arrière d’au moins 20kts. Lors du repas, je pose la question à mon ami : on doit repartir à quelle heure ? À quelle heure est la nuit aéro ? On regarde une application iPhone bien connu … Qui donne la nuit aéro (couché du soleil plus 30′). Première erreur : je réponds à mon ami 21h54 et je comprend que c’est le coucher du soleil donc je rajoute 30′ ce qui me donne donc 22h24. Or il s’agissait bien de la nuit à aéro et non du coucher du soleil. Seconde erreur : dans la brouhaha du restaurant, et assez distrait, mon ami comprends que le chiffre que je lui donne correspond au coucher du soleil et il rajoute encore 30′ ce qui nous donne 22h54!! Troisième erreur de ma part : je retiens par commodité 23h00 et je me dis que si nous décollons à 21h au plus tard, il faut 50mn de vol sans vent et ça nous laisse une heure de sécurité. Donc tout va bien. Nous restons donc sur un décollage au plus tard à 21h.

Nous retournons au terrain et nous décollons effectivement à 21h 03. Des le début du vol on s’aperçoit que le vent n’a pas faibli, au contraire : il y a un bon 30 kt de face pile sur notre cap. Mais peu importe, on a de la marge … Croyait-on ! Le vol est malgré tout agréable et on se permet de multiples altérations de cap pour se balader. On ne suit même pas de cap précis, on a les grands repères naturels de notre région que nous connaissons bien. Nous essayons de contacter le SIV pour avoir un code transpondeur, mais bizarrement ils ne répondent pas alors que nous les recevons très bien et nous savons qu’à cet endroit et cette altitude ça passe très bien. Nous n’insistons pas. Au bout d’environ 30mn le vol dure plus que prévu et le GPS nous donne une arrivée 35 mn plus tard.

Le soleil commence à baisser plus que nous le pensions et un doute commence à s’insinuer : “dis, on se serait pas planté ? ” je reprends mon iPhone et regarde à nouveau l’heure de la nuit aéro : quel c… ! C’est 21h54 et pas 22h54 on comprends en même temps notre erreur. C’est pas trop grave, mais on est pas fier … Et puis comment a-t-on pu penser que le soleil se couche à 23h même au mois de juin ?! Il a fallut qu’on soit bien plus préoccupé par le repas que le vol … Cependant un rapide calcul nous indique qu’on ne sera déjà plus dans les clous réglementaires pour la nuit aéro.

On met la peine puissance continue, mais le GPS nous indique une arrivée que deux minutes plus tôt pas plus. Le vol se poursuit et là plus question d’altération de cap. On essaie encore de contacter le SIV pour demander une directe sur le terrain à travers une zone militaire qui est presque tout le temps activée, même la nuit. Pas de réponse. On insiste pas. Et puis de toute façon le cap direct nous donnait que 4 mn d’arrivée théorique plus tôt et il aurait fallut prendre deux milles pieds de plus en raison du relief. Et dans cette zone le vent nous aurait brassé bien plus. Donc sur notre position, le gain de temps aurait été négligeable, voir négatif.

Le soleil est déjà invisible et je commence à peiner pour voir les instruments de bord car ils ne sont pas éclairés. La lecture est facilitée par mon ami qui éclaire avec son iPad les instruments. Le vent ne faiblit pas. On décide de garder une altitude de sécurité conséquente pour avoir le maximum de lumière et de la sécurité supplémentaire car la région est montagneuse. on se donne une altitude de sécurité de 5500ft. C’est la Max admissible car au dessus il y a une TMA. On a aucun mal pour la nav, mais une couche de nuages haute baisse encore la luminosité.

Là, je ne sais pas pourquoi, mais je repense aux circonstances d’un accident qui s’est produit dans des conditions similaires. J’ai une boule dans la gorge… Je sais que pour rentrer plus vite on devrait descendre, car en altitude le vent est plus fort, mais on décide de retarder encore la descente par sécurité, même si grâce à l’Ipad on disposait d’une représentation du relief. Nous n’avons ni l’un ni l’autre d’expérience en VFR de nuit, même si nous avons déjà fait des tours de pistes à la limite de la nuit aéro sur une piste éclairée et dans des conditions de très bonne visibilité ; l’appareil n’a ni horizon ni bille aiguille. Au loin on commence à distinguer une fine couche de brume près du sol. La tension commence à monter : la piste n’est pas éclairée et elle est située dans une zone rurale où les lumières sont rares. Mon ami me dit : ” on va arriver à atterrir ?” au fond je ne sais pas et nous envisageons un dégagement sur une zone où on est sur qu’il n’y a ni relief ni nuage bouchant encore la visibilité.. On fait rapidement le point : check pétrole, heure d’arrivée estimée, fréquences des aéroports dont les pistes sont éclairées et SIV.

On envisage de se dérouter sur un terrain éclairé proche (mais est-il encore ouvert? Et il est à 15mn de vol supplémentaires) voir sur l’aéroport international le plus proche qui lui est certainement encore en service mais qui demande encore 20mn de vol supplémentaires. Je dis a mon amis “on les appelle ? ” Il me répond que c’est plus la peine et que on le fera que si on doit aller atterrir sur l’aérodrome. Au fond, je préfère éviter la GTA demain matin… Voir ce soir. Au niveau pétrole, on a largement de la marge mais il faut se décider vite, car le déroutement éventuel et la descente doivent intervenir dans moins de deux minutes, nous sommes en effet très proches de la TMA de l’aéroport international et de la CTR d’un autre aéroport. On hésite quelques instants et on décide que si on doit se dérouter il faudra le faire sur l’aéroport international où nous serons sur d’avoir la piste éclairée. ” Demain on passe dans le journal” cette perspective ne nous enchante guère mais je me dis que c’est toujours mieux que d’y passer pour cette raison plutôt que pour s’être crashé.

On ne distingue désormais presque plus le sol même si on reconnaît les halos des lumières des principales villes. Mais dans la direction de notre terrain c’est le noir presque complet. Je décide que dans tous les cas, on descendra au dernier moment, pour ne pas risquer de collision. Et je me dis … Pourvu qu’on rentre pas dans un nuage, parce que je sais que là l’espérance de vie se compte en secondes… Mon ami me dit “tu te le sens” ? Je réponds oui, mais c’est l’arrondi qui m’inquiète on y verra rien. Comme je suis celui des deux qui a la meilleure vue, il est décidé que c’est moi qui atterrirais. Je décide de tenter notre terrain de rattachement et de commencer la descente sur une très longue finale. Je m’alignerai sur les pistes goudronnées et non la bande en herbe, car je pense qu’étant noires elles seront plus visibles et me faciliteront l’arrondi.

Il fait désormais complètement noir dans la cabine et dehors également. Je vois furtivement par la fenêtre côté gauche de l’appareil des bribes de nuages alors que devant je ne vois rien. Je suis très anxieux à l’idée de rentrer dans un nuage. L’horizon se confond avec la terre. Le vent est brutalement tombé, mais je vois des grandes étendues sans étoiles, donc je sais qu’il y a des nuages. Je voudrai bien anticiper et me préparer mentalement au cas où cela arriverait mais la charge de travail qui consiste a deviner l’horizon est trop importante. Tiens elle disait quoi la MTO sur le plafond ? Ben je ne sais plus, parce que je l’avais bâclée… Quatrième erreur ! Pour garder ma vision nocturne ( ne pas être ébloui par la lumière de la tablette) et me concentrer sur l’extérieur, je ne regarde plus les instruments. C’est mon ami qui les éclaire avec sa tablette et m’annonce les vitesses, symétrie, et taux de descente. Le guidage vers le terrain se fait uniquement avec la tablette, désormais on y voit plus rien, le ciel au dessus de nous est presque sans étoiles. Je n’ai aucune idée de l’altitude à laquelle se trouve la couche, faute d’avoir pris le temps de mémoriser la météo. Le logiciel du GPS nous annonce 2 NM du terrain, mais toujours pas de visuel sur lui et je crains qu’il ne soit dans la brume près du sol que j’apercevais. Le logiciel, qui représente le carte au 500.000ème, m’indique que je suis dans l’axe de la piste principale, c’est déjà ça. Grâce à la représentation graphique du relief, je sais également où nous sommes, car je connais très bien la région, mais je suis conscient de la marge d’erreur possible.

Puis le terrain se distingue enfin. Je suis pile dans l’axe et je décide d’atterrir sur l’herbe finalement d’une part pour ne pas risquer de baïonnette au dernier moment ( les pistes goudronnées étant 50 m à gauche) et puis parce que si je dois en faire un dur, autant que ce soit sur l’herbe. Mon ami continue à m’annoncer les paramètres et me sort tous les volets. On décide une approche à 80 pour toucher le moins durement possible. Je garde un peu d’altitude car je sais qu’il y a une barrière à 30m du seuil de piste. Je ne la vois pas mais je distingue une étendue plane et un bâtiment sur ma droite que je sais être au premier tiers de la piste. Finalement l’arrondi se fait sans problème. Au fond je n’en ai pas fait; j’ai plutôt fait un rase motte à environ 40 kts, car je distinguais à peine le sol et je dois dire que j’ai eu de la chance, d’autant plus que ce n’était pas mon appareil. On remonte la piste et on revient au parking avec largement plusieurs minutes après le coucher du soleil aéronautique et surtout avec un niveau de nuit assez fort (pas de lune, couche nuageuse et atmosphère laiteuse).

Bilan : une grosse frayeur rétrospective, une grosse honte à tout les deux d’avoir fait une erreur aussi grossière. Le fait d’avoir été deux pilotes à été une aide indéniable. Nous n’avons pas paniqué, mais on a été bien conscient d’avoir été à la limite. Le fait d’être deux copains nous a également permis de se repartir les tâches, de délibérer rapidement, sans concurrence et sans arrière pensée. La nuit aéronautique est une limite extrême avec laquelle il ne faut pas jouer. Regarder la météo de façon distraite ne suffit pas même pour les vols locaux et pour des petites navigation et dans des endroits très connus. Dans notre cas, c’est une négligence en grande partie due à l’habitude de voler dans cette zone combinée à un excès de confiance. Nous passons tous les deux, mon ami et moi, pour des pilotes expérimentés et raisonnables et nous calmons parfois les ardeurs des autres pilotes de notre terrain. Mais voilà, ça nous est arrivé … Il est probable que si cette aventure nous était arrivé seul et avec 50 heures cela ce serait sans doute terminé différemment… ! En espérant que notre expérience puisse forger un peu la votre.

Bons vols

1ère publication en septembre 2012.

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5 Comments

  1. jljab

    Merci d’avoir partagé cette expérience.
    On ressent bien à la lecture tout le stress de ce vol retour, à partir du moment ou il y a eu prise de conscience de l’erreur (des erreurs…)

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  2. Xavier

    C’est déjà dit souvent sur le site, mais l’important est
    -d’avoir toujours une solution de secours
    -et de se fixer des limites à partir desquelles on adopte la solution de secours.
    C’est la seule solution pour ne pas s’enfermer dans un tunnel.
    Par exemple, lorsque le plafond descend, on doit se fixer une altitude (hauteur du sol +500ft par exemple) en dessous de laquelle on fera demi tour. C’est pour ça que c’est important lors de la préparation du vol de noter la hauteur du sol.

    Dans un cas pareil, il faut se fixer des critères pour la décision de poursuivre l’approche ou de se dérouter vers l’aérodrome éclairé, sinon, même si l’approche est impossible, on risque de vouloir continuer, et je n’ai pas l’impression que ça n’a pas été fait, ou, si cela a été fait, ce n’est pas explicite dans le récit.

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  3. charrier

    @ Xavier
    Oui, il faut toujours avoir un plan B, mais dans cette situation les pilotes étaient déjà dans la panade quand ils ont pris conscience du problème. Ils évoquent la solution de secours avec le déroutement sur un gros terrain ; et là c’est le dilemme entre arriver pratiquement en situation d’emergency sur ce terrain avec la gendarmerie à l’arrivée ou poursuivre ! Jusqu’où ne pas aller, pratiquement tout est là. Il faut noter que quelque soit la situation périlleuse c’est toujours le pilotage qui fera la différence avec le retour sur le plancher des vaches. En l’occurrence, l’équipage a fait preuve de méthode pour faire face à une situation nouvelle avec succès.
    Ce n’est pas la première fois que je découvre ce genre d’évènement. Sans être un classique, ils sont loin d’être les premiers à s’être fait piéger.

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  4. JJ

    Bonjour,

    Merci d’avoir restitué ce vole qui ressemble tant à ce que j’ai également vécu l’hiver dernier … Pour ma part c’est la marge de départ de mon terrain qui a été trop juste. Couplé à un moteur qui n’a accepté de démarrer que 30 mn après l’heure prévu de mise en route. En cause, la batterie qui s’était affaiblie, et le manque de matériel adapté sur le dit terrain pour donner le coup de pouce. Il a fallu trouver un voiture et la faire monter jusqu’à l’avion. Une fois en l’air vent conséquent dans le nez … Bref tous les ingrédients étaient là pour un film catastrophe. Mais cette fois … c’est passé avec son lot de leçons et de stress.

    Je vous jure qu’on fait moins les fiers quand on ne voit plus le soleil, que le GPS affiche une vitesse sol misérable (écart de 40 km/h entre la vitesse air et la vitesse sol ) .. et que les voitures ont leurs phares allumés, loll.

    Ma petite leçon : Toujours prendre 1H de marge par rapport au CS (et non au CS+30) pour ce qui est de l’heure d’arrivée à destination.

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  5. aclamo

    Un conseil à tous les pilotes: si vous en avez le temps et les moyens, faites-vous qualifier VFR nuit. J’ai fait ce choix il y a plus de 15 ans d’abord pour élargir mes compétences mais aussi pour des raisons de sécurité. Ceci ne m’empêche pas de prendre de la marge. Pourtant il m’est arrivé de rentrer juste après le coucher de soleil et d’être confronté à des situations de luminosité et de visibilté soudainement dégradées (brume, nuages épais au dessus du terrain). et aussi bien en été qu’en hiver. Mon expérience du vol de nuit m’a alors servi à gérer sans stress ni incertitudes, l’approche, la finale et l’atterrissage. Bons vols à tous ( de jour ou de nuit…)

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