Les autorités du Montana ont décidé, en l’absence de limitation de vitesse sur les autoroutes, d’instaurer une limite de 75 mph (120 km/h). Pendant les deux années qui ont suivi, les accidents mortels ont fait un bond de 50 %.
Cet exemple, souvent cité, illustre un phénomène paradoxal : sans limitation, les conducteurs étaient obligés d’adapter leur vitesse au contexte (trafic, météo, état de la route). Avec une règle chiffrée, beaucoup se sont sentis « protégés » et ont roulé plus souvent à la vitesse limite, même lorsque les conditions ne s’y prêtaient pas. La norme a réduit leur capacité d’adaptation, jusqu’à infantiliser leurs comportements.
En aviation de loisir, le parallèle est frappant. En l’absence de radars, de procédures complexes ou d’équipements sophistiqués, c’est la conscience du risque qui constitue la première protection du pilote. Le pilote d’avion ne part pas en navigation avec 3000 m de visibilité, même si le règlement le permet. Le pilote de planeur reste en vol local lorsque le plafond est trop bas. L’adaptation au contexte est vitale.
À l’inverse, dans l’aviation professionnelle, les règlements sont nombreux, mais ils reposent sur des décennies d’expérience, une standardisation rigoureuse et une formation pointue. Ces cadres ont fait la preuve de leur efficacité : ils permettent aux équipages de voler dans des conditions extrêmes, en s’appuyant sur des pratiques éprouvées et une organisation robuste. Ici, la règle structure et sécurise l’adaptation, sans l’annuler.
Le problème apparaît lorsque les normes deviennent des produits bureaucratiques, sans lien direct avec la réalité des risques. Les règlements européens, tels que le FCL, s’épaississent année après année, multipliant les exigences sans effet mesurable sur le niveau réel de sécurité (constat de la CAA britannique). Le pilote peut alors se sentir prisonnier de contraintes dont il ne perçoit pas le sens. Le bien-fondé de la règle est discrédité et, par réaction, certains finissent par rejeter en bloc la réglementation, considérée comme une entrave inutile.
Or, les recherches en sécurité montrent que ce phénomène n’est pas anodin.
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Amalberti (2001, 2013) a décrit les systèmes « ultra-sûrs » : plus on multiplie les règles, plus on réduit les marges d’adaptation des opérateurs, et plus le système peut devenir fragile face à l’imprévu.
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Hollnagel (2014, Safety-II) insiste sur l’importance de la résilience : un système reste sûr non seulement parce qu’il évite les erreurs grâce aux règles, mais aussi parce que ses acteurs savent s’adapter intelligemment à ce qui n’était pas prévu.
Un excès de réglementation, surtout lorsqu’elle est mal adaptée, produit des effets pervers :
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perte de vigilance critique,
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contournement ou rejet des règles,
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dégradation des capacités d’adaptation, qui finissent par ne plus être sollicitées.
L’équilibre à trouver est donc subtil :
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Trop peu de règles → chaos et risques accrus.
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Trop de règles inadaptées → infantilisation et fragilisation des comportements adaptatifs.
En aviation comme sur les routes du Montana, la sécurité repose sur une double exigence : des règles pertinentes, proportionnées aux risques, et une vigilance individuelle qui reste active. C’est dans cet équilibre que se construit la véritable robustesse d’un système.
Bons vols
Jean-Gabriel CHARRIER