LE BLOG, PILOTE PRIVE

Illusions « chançorielles »

2 = (19 + 6) / 27    Evidemment vous l’aviez vu de suite, cette égalité est fausse.  Donc inconséquente.

Et pourtant !

Traduisons là en clair. Deux pilotes (Tanguy et Laverdure) cassent 19 avions et s’éjectent 6 fois dans les 27 albums de la série. Ces 27 albums couvrent leur carrière. Voici deux carrières particulièrement destructrices, et l’on frémit à l’idée qu’échappant à leur montée en grade, ils auraient pu poursuivre l’œuvre démolisseuse, entamant sérieusement le potentiel d’avions de notre Armée de l’Air. Je ne précise pas de combat, leur éclectisme dévastateur ne se limitant ni à un type d’appareil, ni à une époque, ni à un pays ! Car l’on trouve dans leur tableau de chasse à la Prévert : Un Piper Astec, Un Harrier, un DC6, un Blenheim…

Et ils en sortent intacts ! Alors mauvaise lecture que cette série qui a bercé les sixties ? Que nenni !

Pour deux raisons : tout d’abord, elle n’a pas peu fait pour nous entraîner vers le milieu aéronautique professionnel ou associatif, à travers un rythme et des anecdotes volontairement outranciers accréditant l’image d’une communauté dynamique et aventureuse. Ensuite elle apparaît comme l’excellent point de départ à plusieurs séries de réflexion intéressant la sécurité des vols.

En effet, une relecture, toujours aussi divertissante (je vous y engage), nous amène à distinguer trois constantes dans ces deux carrières aéronautiques : l’indiscipline, la multiplicité des matériels, et la chance.

Si les deux premières feront peut être l’objet de prochaines rubriques, quid de la dernière.

Chance ou malchance ?

La frontière est mince. Si la malchance peut provoquer l’accident, n’est ce pas la chance qui nous en sort ? Le pilote qui va rentrer « limite » sans incident plusieurs dizaines de fois dans sa carrière (nous avons des noms dans la tête) est il aussi chanceux que nous avons tendance à le juger, et surtout l’est il plus que celui qui au crépuscule de sa passion, ne peut revendiquer qu’une seule arrivée hasardeuse ? Car enfin, pour offrir au premier les chances mathématiques de réaliser cette performance, n’a-t-il pas fallu, en amont, une certaine dose de malchance, qui plus est itérative et acharnée. Or réfléchissons bien, c’est tout de même le premier que nous considérons comme le plus veinard !

Paradoxe !

La chance ne serait elle qu’une illusion, qu’un voile, qui par son côté spectaculaire et définitif, ne laisserait en mémoire que son souvenir ultime. Et cette chance, distribuée d’une manière aléatoire, nous n’en serions pas maître. Nous devrions la subir ?

Trois pilotes, trois accidents :

Le premier casse l’avion et se blesse, il n’a pas eu de chance ?

Le second casse l’avion mais n’est pas blessé, il a de la chance ?

Le troisième ne casse rien, il a encore plus de chance ?

La malchance initiale qui est à l’origine d’une chance que l’on dit parfois insolente (on se demande pourquoi ?…) n’est elle pas souvent l’avatar trompeur sous lequel se cache une méconnaissance des procédures et des matériels, une indiscipline, un état physique ou psychique incertain, et cela… c’est la sécurité des vols.

Un philosophe (j’ai oublié lequel !) faisait dire à Dieu : Le hasard, c’est bien ce qui me donne le plus de mal !

Alors, s’il vous plait, n’essayez pas de tester votre « potentiel » de chance, et n’évoquez pas la malchance sous laquelle il est parfois tentant de camoufler quelques lacunes, ou quelques manquements, dont vous êtes en réalité conscient.

Contribuons par notre rigueur et notre humilité à ne pas provoquer cette petite malchance initiale qui nous mettra en position d’évaluer notre coefficient de « veine ». N’allumons pas la mèche qui nous fera découvrir si notre dynamique est chargée de bonne fortune ou de malédiction fatale.

Chacune de nos méconnaissances, chacune de nos insuffisances grignote un bout du cordon et peut nous conduire vers une alternative peu engageante :

Ouf ! Ce n’est pas passé loin ce coup ci, ou le constat, parfois post mortem, d’une guigne jusque là ignorée.

Ridicule ? La chance se pilote comme un avion ?

Il convient de se méfier des illusions « Chançorielles »

Et maintenant, 30 secondes de pur bonheur.

Bons vols, Christophe Brunelière.

3 Comments

  1. mille fois merci pour cette analyse…et pour tous les bons souvenirs que ces quelques images (et bien sûr le générique) m’ont ramenés!
    c’est vrai qu’enfant, je me suis toujours vu à leur place, mais sans penser à tout ca!..

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  2. Daniel

    Au début des années 60, la NASA a commandé une étude statistique poussée pour vérifier si ces “histoires” de pilotes chanceux ou au contraire ayant la poisse était une réalité. L’agence n’avait pas envie de recruter des poissards comme astronautes. La conclusion a été : oui il existe des types qui ont statistiquement beaucoup de chance et d’autres à qui il arrive plein de pépins tout au long de leur carrière.
    Cette étude a donné l’idée du scénario de son film “la chèvre” à Francis Veber.

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  3. JG CHARRIER

    C’est très intéressant, je n’ai pas retrouvé l’étude de la NASA mais voici deux extraits trouvés sur Internet :

    Agence Science-Presse

    Une étude scientifique menée par des chercheurs néerlandais démontre que le mauvais sort semble effectivement s’acharner sur certaines personnes, sans égard à leur pays d’origine. Ellen Visser et ses collègues du Centre médical universitaire Groningen, aux Pays-Bas ont voulu vérifier si, effectivement certaines personnes étaient plus prédisposées aux accidents que d’autres. Ils ont analysé les résultats de 79 études portant sur la vie de 147 000 personnes sujettes aux accidents provenant de 15 pays différents.

    De façon frappante, il est apparu, qu’il y avait effectivement un groupe discret de personnes qui subissait 50% plus d’accidents que les autres. Il existerait donc véritablement des personnes plus malchanceuses que les autres dans la vie.

    Les chercheurs croient que les malchanceux ont certains traits de personnalité qui les prédispose aux accidents.

    Deuxième extrait :

    Les patients arrivent très souvent avec la conviction qu’ils sont maudits, malchanceux ou ont tiré un mauvais sort. Et il faut leur faire réaliser que cela est très vrai et que cela va continuer tant qu’ils le croient et agissent en conséquence. Il suffit de croire à sa malchance pour qu’effectivement toute une série invraisemblable de coups du sort se succèdent dans une vie … Dans une psychothérapie, le premier travail est de faire réaliser la puissance de l’esprit, la force des idées et la responsabilité de ses croyances. Il suffit de se croire malchanceux pour le devenir.

    Je reprends :

    D’après ces deux extraits cela confirmerait qu’il existe bien des personnes « malchanceuses », en l’occurrence des personnes qui ont des comportements inconscients qui les font basculer du mauvais côté de la force !

    Donc, il ne faut également pas faire de raccourci en disant que s’il existe des personnes malchanceuses, il existe alors des personnes chanceuses. D’un côté c’est un comportement négatif que l’individu est capable de reproduire et qui n’a rien à voir avec une succession de hasards malheureux, et de l’autre côté l’individu ne peut pas agir sur la chance, seul le hasard, les coïncidences, peuvent jouer un rôle.

    Conclusion, il existerait des personnes “malchanceuses” mais pas de personnes chanceuses. Un pilote malchanceux va les collectionner, un pilote chanceux passera (peut-être) une fois au travers de gouttes mais sans doute pas deux (probabilité) ! Contrairement aux “Terreurs du ciel” de l’album ci-dessus !

    Sur le terrain des compétences, la personne malchanceuse est une personne qui possède les capacités mais qui n’arrive pas à les mettre en œuvre dans certaines situations.

    Une autre conclusion serait qu’une personne qui pense avoir la poisse ou la guigne devrait éviter d’effectuer des activités à risques, comme l’aviation par exemple.

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