PILOTE PROFESSIONNEL

Quand les erreurs s’enchaînent

En 1996, un avion de ligne qui effectuait un vol entre Detroit et Francfort s’est posé à Bruxelles sans que son équipage ne perçoive ce changement de destination. Il était pourtant expérimenté, et son commandant de bord venait de traverser trois fois l’atlantique dans la semaine. Ce dernier, alors qu’il survolait la région de Londres, s’est étonné de l’instruction du contrôle aérien qui lui demandait de commencer leur descente, bien avant ce qu’il avait prévu. L’équipage s’est retrouvé alors très occupé, avec cette descente à gérer de manière impromptue, ce qui ne leur a pas laisser de temps de réfléchir à l’incohérence de cette demande. Et pour corser encore un peu plus la situation, le contrôle les appelait un coup avec leur numéro de vol, et parfois avec un autre indicatif d’appel très proche. Logiquement, un peu plus bas, les pilotes se sont retrouvés dans un espace aérien que l’on appelle « basse altitude », pour lequel ils n’avaient pas les cartes sous la main. Aussi, quand le contrôle leur a demandé de se diriger vers un point, il leur a été impossible de le trouver sans la documentation, et c’est tout naturellement que l’équipage a demandé au contrôle un cap vers ce point.

Le commandant de bord commençait à sortir ses cartes d’approche de Frankfurt, alors que le copilote était en pleine discussion par radio avec la compagnie à propos de l’indicatif de vol qui semblait poser un problème. Le contrôle continuait à donner une succession de caps, ce qui est une procédure habituelle lors de la descente vers un aérodrome, sauf qu’il emmenait, à l’insu de l’équipage, l’avion en finale sur la 25 gauche à Bruxelles et non pas à Frankfurt. Quand le contrôle d’approche a donné la piste en service, la 25 gauche, toutes les incohérences précédentes liées à une descente très en avance sur le plan de vol avec des trajectoires inconnues, qui devaient perturber l’équipage, avaient tendance à disparaître, puisqu’il existait une 25 gauche à Frankfurt. Pour ne rien arranger l’équipage était très occupé avec les fréquences des balises de radio navigation qui ne semblaient pas être les bonnes. Quand le contrôle leur a donné un dernier cap avec le message « autorisé à intercepter l’ILS 25 gauche », il leur a été impossible de capturer l’axe de radio navigation puisque c’était la fréquence de l’installation de Frankfurt qui avait été sélectée. Ce n’est pas rare qu’un pilote se trompe de fréquence, ou qu’il n’ait pas la bonne, le contrôle supplée alors rapidement à cette lacune, et à la demande du pilote, le contrôleur de Bruxelles donna la bonne fréquence du système d’atterrissage de la 25 gauche. En approche finale, quand les pilotes ont commencé à percevoir le sol, l’un deux dit, « nous ne sommes pas à Frankfurt », l’autre lui répondit « si, si, regarde les bâtiments à droite de la piste ».

Il existe des événements rarissimes qui sont déclenchés par toute une série de petites erreurs qui vont venir s’additionner entre elles pour aboutir à une situation complètement improbable. Cela a été le cas de ce vol qui a été analysé en détail. Il y avait certes des incohérences qui auraient du alerter l’équipage, mais pas de grosses erreurs comme on pourrait le croire. C’est une multitude d’erreurs plus ou moins anodines, à commencer par l’indicatif de vol qui n’étaient pas le bon, des levers de doute non effectués, des phraséologie radio non respectées… qui ont eu la particularité de s’enchaîner entre elles comme la boule de neige qui grossit en dévalant la pente.

Aujourd’hui, en transport aérien public, la sécurité a fait de tels progrès et les accidents sont tellement rares, que nous savons que le scénario d’un accident n’est jamais le même. Il est le résultat d’une série de coïncidences, d’interactions particulières, qu’il est parfois impossible d’anticiper tellement les combinaisons des différentes composantes de l’activité sont nombreuses.

Une expérimentation a été menée avec des équipages qui effectuaient un vol avec un scénario très élaboré, qui avait la particularité, et c’était d’ailleurs le but, d’entraîner les équipages dans des situations extrêmes sans qu’ils ne s’en rendent compte. Ce scénario s’appuyait sur une succession de petits évènements, qui pris indépendamment les uns des autres ne constituaient pas de difficultés particulières pour un pilote entrainé. Par contre leur articulation, leur timing, leur aspect insidieux, constituaient une vraie bombe à retardement. Plusieurs équipages, uniquement des professionnels confirmés, sont ressortis du simulateur en état de choc.

Combien d’équipages se seraient retrouvés en finale à Bruxelles ?

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