LE BLOG, PILOTE PRIVE

Et pourquoi les pilotes qui volent sans moteur sont ils les meilleurs ?

Cet article est la suite d’un premier article sur l’intelligence des pilotes. L’intelligence est une chose mais cela ne suffit pas pour faire partie des meilleurs pilotes !

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Zut alors ! Je survole l’Afrique tranquillement l’autre jour entre Roissy et Johannesburg quand mon copilote commence à me parler de l’intelligence des pilotes de planeur ; que seule leur « énergie mentale » leur permet de voler vite ou longtemps, et que les schémas qu’ils utilisent pour être performants sportivement sont les mêmes que ceux qui permettent de voler en sécurité. Je vous laisse imaginer ce qu’il fait pendant son temps libre ! Ils sont quand même un peu bizarres ces pilotes de planeur ; l’hôtesse rentre dans le cockpit et il lui demande s’il n’y a pas des merguez à manger ! Au début il me bassinait un peu, et puis en l’écoutant ses arguments m’ont interpellé, et qu’est-ce que je lis aujourd’hui ? Les pilotes de planeurs sont les meilleurs ? Il faut que j’arrive à la fin de ma carrière pour apprendre qu’il existe des pilotes meilleurs que les autres et que ce sont les pilotes de planeurs ! Je vais peut-être me mettre au vol à voile pour devenir pilote, enfin !

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Avant de voir pourquoi les pilotes de planeur sont les meilleurs, nous allons tempérer leur (notre) égo en rappelant que les parapentistes, et les pilotes de delta utilisent également leur énergie mentale pour tenir en l’air. Ils tiennent en l’air grâce à leur raisonnement et petit à petit ils tiennent de plus en plus longtemps ; ils accumulent de l’expérience et ils en tiennent compte pour soupeser, décider et voler de plus en plus loin, de plus en plus vite. Dans un milieu « ouvert », et non rigidifié par les procédures comme l’aviation de ligne, les décisions à prendre sont nombreuses et à ce petit jeu là nous avons compris également que si nous introduisons le facteur vitesse les pilotes de chasse doivent également s’agiter pas mal les neurones.

Mais revenons à nos moutons et regardons tranquillement notre pilote de planeur en train de déguster ses merguez le soir derrière le hangar après sa journée de vol (pendant que le pilote de ligne révise ses procédures). Son câblage neuronal de pilote est donc performant mais quoi d’autre encore ?

Et bien tout ce que vous faites du matin jusqu’au soir, est caractérisé par deux choses très simples : des entrées et des sorties. Les entrées c’est lorsque vous écoutez, vous regardez … ensuite vous traitez ces données et enfin vous agissez, ce sont les sorties : vous pianotez votre ordinateur, vous communiquez, vous réglez … Les pilotes n’échappent pas à la règle, ils traitent beaucoup d’entrées (informations), certains le font donc mieux que d’autres, mais intéressons nous aux sorties c’est à dire au pilotage et analysons tour à tour ce qui peut caractériser un bon pilote et s’agissant des sorties visibles, un bon manœuvrier.

La coordination des mouvements

Il existe la coordination pieds et manche que l’on nous a rabâché lorsque nous étions élève. C’est une coordination des mouvements particulière parmi d’autres, qui vise un vol symétrique de la machine (3 axes). Il existe également une coordination des mouvements par rapport à l’environnement c’est-à-dire la trajectoire. Le pilote doit donc être capable de piloter la trajectoire de sa machine de manière instinctive, quelques soient les perturbations extérieures, même en décroisant ses commandes si c’est nécessaire. Les trois couches de pilotage autour des trois axes qui s’imbriquent entre elles doivent pouvoir être maîtrisées de manière indépendante et simultanée ; le meilleur exemple est l’atterrissage vent de travers avec des rafales. Le pilote contrôle les axes de lacet, de roulis et de tangage de manière instinctive, en coordonnant ses commandes indépendamment les unes des autres, pour maîtriser sa trajectoire. Côté classement le pilote de voltige va venir coiffer tout le monde ; avec les pilotes de planeur, les adeptes du vol libre ne doivent pas être trop mauvais non plus même si ils n’ont pas de manche.

Le pilotage de l’incidence

Le cœur du pilotage de la machine c’est la maîtrise de son incidence dans des attitudes et donc des vitesses très variables. En meeting, le tonneau barriqué de Bob Hoover, tenant un verre d’eau qui reste rempli pendant sa manœuvre, en est la parfaite démonstration : incidence constante, donc même position de la gouverne de profondeur, donc même position du manche. Un avion qui passe de la montée à un palier en conservant la même vitesse et la même configuration conservera le même angle d’incidence, donc la même position de manche (à très peu de choses près). C’est toujours intéressant à savoir. Que fait un pilote de planeur lors d’une ressource lorsqu’il rentre dans une pompe ? Il calcule le taux de décroissance de sa vitesse en restant l’œil rivé sur son anémomètre ? Non, il pilote instinctivement à l’incidence, c’est à dire avec une position de manche et juste quelques coups d’œil sur sa vitesse.

C’est le cas également du pilote de voltige qui lorsqu’il effectue ses figures positionne son manche de manière très précise avant de contrôler ensuite sa trajectoire et d’effectuer une éventuelle correction. Le meilleur en voltige c’est celui qui trouve les bons positionnements le plus rapidement (en roulis et lacet également). Pilotes de vol libre, pilotes de planeur, pilotes de voltige, même s’ils ne le savent pas toujours, ils maîtrisent l’énergie vitale de leur machine, qui est sa portance, en utilisant leur indicateur de vitesse mais également l’information de l’angle d’incidence grâce à la position de leur manche (3 axes). Et mine de rien, cette capacité à gérer son incidence, ou la ressentir, sans passer systématiquement par une lecture instrumentale est un sacré avantage pour piloter. Bon, une fois de plus, les pilotes sans moteur et les voltigeurs continuent à prendre l’avantage.

La sollicitation du pilotage

Après la gestion de l’énergie et ses limites, intéressons nous maintenant à ce que sous entend le terme pilotage. Nous pouvons scinder votre activité en deux régimes de vol :

  • – le régime transitoire pendant lequel vous actionnez les commandes de vol ;
  • – le régime permanent où votre machine est stabilisée en ligne droite, en montée et même en virage. Vous n’agissez pas sur les commandes ou très peu.

Le pilotage d’une machine, c’est surtout la gestion des régimes transitoires. Si vous êtes pilote d’une machine à moteur et que vous voulez devenir un bon manœuvrier ce n’est pas en effectuant le tour de la ville qui vous progresserez. Effectivement, vous pilotez, mais vous pilotez une trajectoire qui sera la plupart du temps rectiligne ou stabilisée en virage, vous n’agissez pas sur les commandes ou très peu. Le pilote de planeur passe beaucoup de temps dans les régimes transitoires. Avec une machine à moteur, il existe des exercices qui ne sont qu’une succession de régimes transitoires : le tour de piste en est sans doute le meilleur exemple. Nous comprenons aisément que la qualité du pilotage sera proportionnelle au temps passé à piloter des régimes transitoires. Côté pilote de ligne, le sujet devient plutôt délicat, surtout si on évoque les longs courriers, et ne parlons même pas des avions électriques ! Bon là, les mangeurs de merguez et tous ceux qui volent sans moteur distancent les pilotes dévoreurs d’énergie fossile.

Synthèse : Le Pilote Naturel

Le Pilote Naturel (pilotes de Spitfire, Bob Hoover…) c’est un peu une synthèse de ce qui vient d’être dit. Il pilote naturellement à l’incidence, il est capable de dissocier son pilotage autour des trois axes pour maintenir une trajectoire déterminée, quelles que soient les conditions de vol. Ce « quelque soit les conditions de vol » n’est pas anodin. Si votre pilotage se dégrade sous l’effet du stress par exemple lorsque vous êtes en vol de pente sous la crête à Auribeau, ou au-dessus de la Manche avec votre Spitfire dans un « dogfight », ce n’est pas très bon. Le Pilote Naturel est capable de résister à la pression grâce à la confiance qu’il a dans la qualité de son pilotage. Nous avons évoqué un atterrissage par vent de travers avec quelques rafales, il existe une autre manœuvre beaucoup plus démonstrative qui nécessite toutefois un avion de voltige, c’est le tonneau en virage. Après quelques séances d’accoutumance, si vous demandez, après une démonstration, à un pilote d’effectuer la même manœuvre, certains s’en sortiront très bien malgré une mayonnaise de haut niveau avec les commandes. Ils pilotent une trajectoire de manière instinctive sans même se poser la question de savoir où doit partir le pied, ou si le manche doit aller d’avant, en arrière ou latéralement. Et bien prenez un pilote de planeur et vous constaterez qu’il s’en sort beaucoup mieux que la moyenne !

Conclusion

La qualité du Toucher de Manche des pilotes de planeur ainsi que des voltigeurs est supérieure à celle des pilotes de vol à moteur. En additionnant cette capacité à l’Intelligence du pilote, le pilote de planeur est « The Pilot ».

Maintenant, parce qu’une autre qualité essentielle chez un pilote qui n’a pas été abordé ici est l’humilité, les pilotes de planeur accepteront sans doute de partager le podium avec les adeptes du vol libre qui eux également volent avec leur cerveau et qui pilotent en prise très directe avec les éléments.

Note : il ne faut par regarder précisément la position des machines entre elles. L’hélicoptère est au moins aussi exigeant à piloter, sinon plus, qu’un avion.

Vous remarquerez sur le schéma ci-dessus que les qualités du pilote sont inversement proportionnelles au niveau technologique de sa machine. En poussant le raisonnement nous pourrions inclure un drone en bas à gauche et par opposition un oiseau en haut à droite. Les delta à moteur pilotent directement l’incidence sans passer par une gouverne (ou un ordinateur !). Les pilotes de ballon ont tout dans la tête.

Une autre conclusion moins glorieuse, c’est le classement des pilotes de ligne qui ne réfléchissent plus, ou très peu, et qui ne pilotent plus (avions électriques) ou très peu. Ce n’est pas une boutade, leur niveau de compétence diminue, ou du moins nous lisons de plus en plus de choses sur ce sujet. Interfaces, prothèses, automatismes, procédures, régulation, vectorisation … A l’issue d’une bonne saison de vol à voile un pilote de planeur (amateur) va effectuer autant d’heures de vol qu’un élève pilote de ligne qui apprend son métier avant de se retrouver en place droite dans son avion avec ses passagers derrière … !!!!! Houston, on va avoir un problème ? Et le cercle vicieux n’est peut-être pas loin avec encore plus de prothèses technologiques, plus de procédures …

Pour ceux qui ne connaissent pas le parapente, je vous invite à lire le blog de Pierre Yves : ça déménage !

Question

Où trouve-t-on la plus grande concentration de pilotes naturels par un bel après-midi d’été ?

Bons vols

Crédits photos: Avion de voltige par Daniel. Planeur par Jean Pierre Festoc. Parapente par Pierre Yves.

9 Comments

  1. Mathieu

    Très intéressant. et très bonne analyse.

    Néanmoins, petite réaction sur l’incidence constante des barriques de Bob Hoover.
    Effectuée telle que décrite (à incidence, donc à position du manche à tirer constante) ça risque de finir en cratère. La cadence en tangage une fois sur le dos va creuser la trajectoire terriblement. Et la manœuvre va finir avec une maquette à piquer redoutable.
    Pour avoir beaucoup pratiqué l’exercice (y compris celui du verre…) je peux dire que pour sortir une barrique d’une douzaine de seconde, le travail en profondeur est constant (mais de très faible amplitude) pour faire varier l’incidence (et l’acceleration) pour minimiser la dégradation d’énergie et rendre la perte d’altitude nulle.

    Mais cela est juste mon point de vue.

    Mathieu
    (ex pilote agricole, ex voltigeur, ex barriqueur, néo parapentiste)

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  2. charrier

    Tu as entièrement raison. Pour ma part je faisais la démonstration à partir d’une bonne assiette à cabrer et avec un avion de voltige, donc un bon taux de roulis. Et ça passe bien avec aucune action du manche en tangage, donc à incidence constante.
    Jean gabriel

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  3. Pégaz M-Nlle

    Je découvre avec plaisir et grand inérêt ce lieu . Je débute enfin le vol et apprends à piloter le
    deltaplane depuis le printemps 2011.
    Ici de quoi m’instruire en attendant mon prochain stage
    Pour ma part je vous dis merci
    ps : Apollo 13 j’adore 😉

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  4. TVR

    Citation :
    “Les trois couches de pilotage autour des trois axes qui s’imbriquent entre elles doivent pouvoir être maîtrisées de manière indépendante et simultanée ; le meilleur exemple est l’atterrissage vent de travers avec des rafales. Le pilote contrôle les axes de lacet, de roulis et de tangage de manière instinctive, en coordonnant ses commandes indépendamment les unes des autres, pour maîtriser sa trajectoire. ”

    Il me semble justement que dans ce cas de figure, on ne coordonne plus ; ce terme ne me parait pas judicieux. A part ça, excellent article.

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  5. JG CHARRIER Author

    En fait j’évoque la coordination par rapport à la trajectoire et non pas par rapport à la machine avec le cas particulier de la coordination pied/manche. Le terme synchronisation peut être conviendrait peut-être mieux pour différencier les deux ?
    Jean Gabriel

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  6. Sympa la réflexion,
    Pour ma part (modéliste planeur, puis trop peu vélivole, ulmiste 3axes et aujourd’hui parapentiste), j’ai toujours considéré que le moteur perverti le vol 😉
    Mais mon raisonnement se tenais à l’addiction, pas forcément à la compétence. En effet, j’ai pris beaucoup de plaisir à voler en ULM, mais je n’ai jamais ressenti cette sensation de manque comme pour…le planeur R/C en vol de pente (accro), le planeur ou le parapente !
    Le “sommet de l’espèce” serait donc le vélivole accrobate ?
    Mon point de vue est quand même que l’ajout du moteur implique plus de vitesse et un “axe” en plus à gérer, qui “masque” un peu la glisse liée au tangage….perso je trouve cela plus dur..et moins drôle.

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  7. Robou

    Réflexion très intéressante que je posterai sur le forum de Pierre Yves si quelqu’un ne l’a déjà fait !

    Je suis parapentiste et c’est vrai que le pilotage de l’incidence est la chose à laquelle on pense constamment, sous peine d’incident de vol qui peut avoir des conséquences beaucoup plus terre-à-terre (c’est le cas de le dire) qu’un décrochage en avion. Ayant moins de paramètres à gérer qu’un pilote d’avion, ce qu’on fait, on fini par le faire parfaitement, jusqu’à devenir le “pilote naturel” : l’aile devient réellement un prolongement direct du corps, sans interface.

    Mon père a le brevet de pilote privé et m’emmène souvent faire des tours dans des avions d’aéroclub, et je dois dire que le moteur enlève toute sensation (et rajoute en même temps un moyen de contrôler l’incidence). Déjà à ce niveau là je sens les “procédures” et check-lists qui l’empêchent de tendre vers le “pilote naturel”. Mais bien sûr avec beaucoup plus d’expérience je ne doute pas que vous ayez des sensations de fusion avec la machine.

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  8. Philippe

    Pilote et instructeur planeur, pilote occasionnel TMG et ayant goûté à l’ulm 3 axes, je pense pouvoir ajouter que, alors que le pilote moteur moyen (amateur ou professionnel) recherche avant tout le confort et évite la turbulence, le pilote sans moteur la recherche. Il place donc sa machine, délibérément, dans une atmosphère qui va contrarier son pilotage. Une situation qui serait, en atmosphère calme, un régime permanent quand au pilotage, devient donc un régime transitoire.

    C’est ainsi que, par exemple, le virage stabilisé en ascendance nécessite un pilotage non seulement précis mais très actif en permanence (ce qui étonne d’ailleurs plus d’un élève débutant, même et peut-être surtout s’il est déjà pilote d’avion).

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