Il y a quelques années Bernard CHABBERT pendant le Salon du Bourget s’étonnait de l’humilité des pilotes de présentation qui étaient tous plus capés les uns que les autres, avec des parcours professionnels souvent hors normes. A plusieurs reprises dans ce blog nous avons évoqué certaines différences entre les pilotes peu et fortement expérimentés, comme la conscience des risques qui est proportionnelle à l’expérience.
Ce constat ne reflète qu’une petite partie d’un phénomène plus important* qui démontre que les personnes les moins compétentes surestiment leurs compétences, alors que les plus compétents ont tendance à les sous-estimer. Cette réflexion sur notre propre niveau de compétence s’étend également à la perception de notre entourage.
Chez un pilote l’expérience est primordiale pour forger nos compétences, remplaçons donc le terme “incompétence” par “peu expérimenté” et nous obtenons les symptômes suivants :
- Un pilote peu expérimenté tend à surestimer son niveau de compétence,
- Un pilote peu expérimenté ne parvient pas à reconnaître la compétence dans ceux qui la possèdent véritablement,
- Un pilote peu expérimenté ne parvient pas à se rendre compte de son degré d’incompétence et de sa faible conscience des risques,
- L’expérience acquise par ces pilotes, synonyme de nouvelles compétences, leur permet de reconnaître et d’accepter leurs lacunes antérieures.
Si vous êtes un pilote peu expérimenté, gravez la première assertion dans vos neurones. Et dites-vous bien que votre instructeur ou les pilotes plus expérimentés qui vous entourent ne vous racontent pas que des bêtises.
Cet effet est particulièrement gênant dans une activité à risques, et il se vérifie assez facilement dans les clubs et même dans les cockpits des avions de ligne.
Les pilotes les moins compétents surestiment leurs compétences, alors que les plus compétents ont tendance à les sous-estimer.
Bons vols
*Effet Dunning- Kruger. Source Wikipédia
Photos : Daniel
C’est bien dommage que cet article ne soit pas lu, justement par les incompétents et que seuls les compétents le liront.
Lionel.
Les Bretons parlent aux Corses 😉
C’est effectivement un des challenges dans une démarche sur la sécurité : attention, VOUS ETES VULNERABLE… mais ça se soigne. C’est un message que beaucoup d’instructeurs ou de pilotes expérimentés arrivent à faire passer vers les moins aguerris, avec leurs mots, leur comportement : “Fait gaffe, ce n’est pas forcément ce que tu crois”. Mais pas assez systématiquement sans doute.
Jean Gabriel
Bonjour JG
Concernant l’item N° 3, et pour être raccord avec la suppression du terme “incompétence”, je te propose cette reformulation
3 – Un pilote peu expérimenté ne parvient pas à se rendre compte de son degré d’inexpérience e de sa faible conscience des risques
Encore merci pour ce site passionnant.
André
“WEBER voit dans la domination traditionnelle une gérontocratie patriarcale. La liste de séniorité [ telle qu’elle est pratiquée dans la plupart des compagnies aériennes, ou ce qui la remplace ailleurs] est en effet un phénomène gérontocratique. Il l’est socialement. Mais en termes d’autorité, ce caractère gérontocratique est pondéré par le sentiment personnel qui nous a fait préférer l’expression d’épaisseur à celle d’ancienneté ou d’heure de vol [ critère commun de mesure de l’expérience]. Certes en pilotage la valeur attend en partie le nombre des années, mais aime par-dessus tout la richesse de l’expérience.”
l’autorité, celle de l’expérience, est bien, tel que décrit ici, celle d’une expérience riche et variée, “hors norme” dit l’auteur. le pilote peu expérimenté ne peut donc exercer cette autorité de “père”. il doit se contenter de la seule autorité de “maîtrise” et donc “il surestime” sa compétence, terme inexact pour exprimer en fait l’obligation d’une plus grande prise de risque dans une autorité globalement déséquilibrée vers la maîtrise. entre eux, à égalité [ au sens hégélien du terme] les pilotes expérimentés font preuve de ce qui ressemble à de l’humilité, mais cela n’est que de l’égalité d’autorité.
les pilotes épais ne sous-estiment ni ne sur-estiment leur compétence différemment des autres. mais le barycentre de leur autorité est recentré, en équilibre. pour nous, pauvre pilote du commun, nous sur-estimons alors ce qui nous manque par rapport à cette position. notre admiration est aussi notre propre “jalousie”. toute autorité se compare relativement à une autre de la position respective des barycentres.
Bonjour,
Votre analyse promettait d’être intéressante mais l’on y sent hélas poindre un mépris bien inutile repris par Luonel dans son commentaire. Il est humain de se laisser griser par les sensations qu’offre le vol libre. Et malheureusement je crois que tous, à un moment de notre progression, nous croyons toucher au divin. C’est pareil dans de nombreux autres domaines, en ski, snowboard, à moto… Il y a toujours un moment où l’on se prend pour un héros! C’est là que nous sommes en danger. Je crois qu’il vaudrait mieux évoquer l’humilité plutôt qu’un discours qui affirme: toi, là, tu t’y crois? Ben en fait t’es nul et comme en plus t’es con bah tu t’en rends pas compte. Moi qui suis un super bon, j’ai dit!
À bon entendeur
Anne
Pilote incompétente
Et femme… En plus!! 😉
Bonjour Anne,
La plupart des pilotes sont heureusement des personnes raisonnables, et notre retour d’expérience d’instructeur ou autre nous confirme cette perception. Mais bien qu’étant raisonnables, tous les pilotes possèdent des points forts mais également des fragilités. Cet article en évoque une qui est propre aux pilotes peu expérimentés. Ce qu’exprime Lionel, et je suis d’accord avec lui, c’est qu’il existe quelques irréductibles plus ou moins hermétiques aux messages de prudence. Leurs profils sont connus, tu les trouveras dans cette fiche :
https://blog.mentalpilote.com/wp-content/uploads/2013/01/Fiche-Attitude-2013.pdf
Et nous comprenons facilement que cette faible conscience des risques propre au débutant combinée à une de ces attitudes à risques décrites dans cette fiche constitue ce que nous appelons : “un cocktail explosif”.
Et oui, l’humilité. C’est elle qui va déclencher la réflexion (et donc la progression) qui est très utile et même indispensable dans nos activités pas toujours très simples à gérer.
C’est quoi la compétence ? C’est être capable de faire face à une situation donnée. Un pilote compétent c’est un pilote qui perçoit la ligne jaune à ne pas franchir. Il est donc capable d’analyser son niveau. Le simple fait de te qualifier d’incompétente (c’est un clin d’oeil évidemment) montre que tu ne l’es pas.
Note : S’il y avait un quelconque mépris envers la communauté des pilotes je ne m’occuperais pas de ce blog 😉
Jean Gabriel
pour répondre à Anne :
la femme-pilote est un homme comme les autres, c’est ce que révèle l’analyse. mais comme la différence physiologique persiste, elle est contrainte à exhiber plus encore cette égalité de maîtrise.
le pilote veut être un héros, c’est sa première et unique motivation. c’est aussi ce qu’on lui demande socialement et magiquement d’être. mais cet héroïsme a un coût, alors il est freiné socialement par des règles de sécurité. aussi, il existe divers freins à la convoitise de l’objet de l’égalité, la maîtrise, dont un, corporatiste, est la compétence et l’autre, social, est l’ensemble des règles de sécurité qui finissent par définir la compétence. deux chemins se rencontrent.
il ne faut donc pas parler de mépris pour “l’incompétence” mais de frein à la convoitise qui fait de tous des incompétents.
Bonjour Jean Gabriel,
Un facteur important que je retrouve dans cet article et dans votre commentaire est la faible conscience des risques des jeunes pilotes, et j’ai envie de réagir.
Dans les pays du Nord de l’Europe, les jeunes conducteurs en formation sont mis délibérément en conditions difficiles, justement pour bien montrer qu’ils ne sont pas des surhommes ou des surfemmes.
En effet, perdre le contrôle de son véhicule (dans un environnement qui lui, je vous rassure est contrôlé), ça a de bonnes chances de marquer la psyché. On n’est plus sur playstation, la catastrophe, on la sent arriver jusqu’au fond des tripes.
Les exercices sont différents, que ce soit le fait de rouler sur une plaque d’aluminium recouverte d’huile, ou bien l’évitement d’un ballon à 50, puis 60, puis 70 km/h (pour montrer que 10 km/h, ça a l’air de rien, mais…) et ont pour but, entre autres choses de montrer que les lois de la physique sont fixe, et que nul être ne peut les combattre.
De plus, on met bien l’accent sur le fait que le danger ne vient pas de ce que l’on connait ou de ce que l’on voit, mais au contraire de ce que l’on ne voit/connait pas.
Et oui, rouler à 150 km/h sur autoroute, en ligne droite, quand tout va bien, qu’il fait beau, qu’il n’y a personne, c’est facile… ça semble facile, surtout avec les autos modernes, mais est-on sûr que c’est sans danger ? Que se passe-t-il si un animal traverse la route au dernier moment, qu’un camion perd sa roue devant vous… ce que l’on ne voit pas en somme ?
Comment appliquer ce principe à l’aviation ? Est-ce seulement une bonne idée ?
Je ne le sais pas, je n’ai ni l’expérience, ni une connaissances des règles pour le savoir.
Mais je suis content de lire cet article.
Que ce soit dans mon passé professionnel chez un grand constructeur d’avions français basé à Saint-Cloud, maintenant dans la vie professionnelle de ma compagne à l’aéroport de Québec, ou même personnellement, j’ai eu la chance de côtoyer des pilotes qui vraiment étaient des personnes exceptionnelles, au parcours admirable, et pourtant d’une modestie et d’une gentillesse à toute épreuve.
Quand je lis sur le Web des commentaires liés à des catastrophes aériennes, des erreurs de pilotage, souvent écrits par des débutants qui eux, “n’auraient pas fait comme ça”, je pense à ces (ex) pilotes qui m’ont impressionné par leur humilité.
C’est un juste retour des choses que de rendre hommage à ces gens là.
Bonjour Vladimir,
Ton commentaire est très intéressant, notamment à propos de l’enseignement de la conduite automobile dans certains pays. En fait, les mêmes techniques d’enseignement sur l’anticipation des risques existent en aviation légère depuis plus de 30 ans. On parlait alors d’éducation du jugement, depuis les concepts ont légèrement évolués et on parle de gestion des menaces.
Voici un article qui évoque juste le principe :
http://www.mentalpilote.com/une-formation-efficace/
Et un document qui se trouve dans la salle de briefing Instructeur qui traduit ce principe concrètement en méthode d’instruction. Tu peux juste regarder les pages 13, 14 et 15 pour bien comprendre l’approche proposée. Les contenus sont une reprise de formations déjà existantes dans d’autres pays.
https://blog.mentalpilote.com/wp-content/uploads/2013/04/Livret-TEM-Privé-5.pdf
Jean Gabriel
Bonjour à toutes et à tous,
Je voulais partager un sentiment que j’ai concernant l’estime de soi dans le domaine du pilotage.
Pour ma part je pilote un paramoteur et mon dernier challenge a été d’obtenir la qualification biplace.
Avant je pratiquais le vol libre et c’est là que j’ai été confronté à une multitude de professeurs gonflés à bloc et affirmant leur incompétence par des attitudes plus que dogmatiques,voir dictatoriales,psychologisantes et ,finalement destructrices pour l’ensemble des élèves!
Ce que je voudrais avancer,c’est que l’humilité c’est bien,mais j’ai envie de dire à tous les professeurs en herbe que la confiance en soi c’est primordial pour progresser et que le culte voué à l’ Humilité est trop souvent utilisé pour écraser les élèves plus que,somme toute,pour les empêcher de…s’écraser..
Puis j’ai eu ensuite le plaisir de côtoyer un instructeur de paramoteur dont j’ai su apprécier la simplicité ,l’humilité ,laquelle
s’applique très bien aux vrais instructeurs,ceux qui savent vous mettre en confiance ,vous amener à développer vos propres capacités.
Tout ça pour mettre mon grain de sel, en espérant qu’il puisse un jour être utile ,qui sait?
Bien à vous
François
Bonjour François,
Ce que tu exprimes est malheureusement connu. Parfois l’instructeur, avec ses traits de personnalité, joue un rôle qui ne lui va pas et qui en effet est peu propice à un enseignement de qualité. Parfois il ne joue même pas un rôle et c’est tout naturellement qu’il entretien avec ses élèves des relations de piètre qualité. Ces comportements particuliers sont régulièrement exacerbés par le manque d’expérience ou le manque de confiance en soi de l’instructeur (vis-à-vis de l’instruction par exemple). Je ne vais pas faire une liste d’exemples mais quand 2 jours après la mort d’un adolescent en vol, l’instructeur dit à son élève: si tu voles comme ça tu va finir comme xxx ! Côté destructeur on peut difficilement faire mieux ( et dernier vol de l’élève qui a arrêté l’activité malgré sa motivation) !
Je le précise quelque part dans les articles, un point très important qui doit faire partie des objectifs de la formation, c’est la construction de la confiance. “Oui, tu peux le faire”. “Ne t’inquiète pas, tu feras exactement comme je te l’ai appris et tout se passera bien”. La progression sera d’autant plus efficace s’il existe une relation de qualité entre l’instructeur et l’élève. Dans le milieu professionnel, on appelle ces instructeurs destructeurs des “tontons macoute”. L’expérience montre que ce sont loin d’être les plus performants, bien au contraire.
Il existe un concept que l’on appelle la “distance hiérarchique” qui symbolise l’écart de pouvoir entre par exemple 2 individus. Certains instructeurs vont essayer de la réduire pour établir une communication efficace, d’autre vont s’y complaire et même la renforcer pour diverses raisons, et pas toujours les meilleurs.
J’ai côtoyé une multitude d’instructeurs et d’examinateurs, les plus “pro” en matière de comportement étaient les plus expérimentés.
Jean Gabriel
comme la performance l’expérience est un indicateur imparfait. ils traduisent en réalité un déficit dans l’autorité de père et de maître. cela conduit à une hypertrophie de l’autorité de chef et à un comportement subséquent que j’appelle “despote dogmatique” et qui me semble être le plus dangereux et le plus pervers. c’est sûrement cela que François reconnaît empiriquement.
la confiance en soi et plus encore la confiance en l’autre c’est quelque chose qui relève de l’autorité de maîtrise, ce que la science facteur-humain qualifie à tort et trop vite de laisser-faire.
quand on voudra bien admettre et cesser de dire qu’il existe entre l’instructeur ou le commandant de bord et son élève ou copilote une distance hiérarchique ou un gradient hiérarchique mais une autorité qui repose sur une libre adhésion réciproque; quand on voudra distinguer avec précision la différence entre autorité et pouvoir, on identifiera mieux les comportements pervers d’où qu’ils viennent.
« L’autorité, plus qu’un conseil, et moins qu’un ordre, un avis auquel on ne peut passer outre sans dommage ».MOMMSEN, in Hannah ARENDT, la crise de la culture, Gallimard, 1972