John, pour moi est un OVNI. Nous sommes tout deux stagiaires dans la même entreprise. Mais il est aussi inscrit, durant ce même temps, à la faculté de science économiques de la ville. Une amie universitaire lui prend ses cours pendant qu’il travaille ici. John Ubiquité !
Son père qui était un riche banquier de la place, est décédé prématurément. John a placé de l’argent dans de l’immobilier. Il fait construire deux co-propriétés sur le jardin attenant à celui de la villa de son oncle. John Maître D’œuvre !
Chaque jour lorsqu’il entre dans la boîte, c’est un avec retentissant ”Salut les Blaireaux…” qu’il s’adresse à la cantonade. Les secrétaires se pâment toutes devant lui. John a le verbe beau ! Et puis John beau gosse aussi !
Ce week-end, John a organisé pour elles un stage d’initiation au parapente, près de Mieussy. C’est dans sa Golf blanche décapotable qu’il va les emmener. Bonjour les accélérations. Mais attention aux virages en épingle pris complètement en travers. John Fangio !
John a également passé son brevet de pilote privé. Il s’est acheté un petit avion. Un ULM trois axes basé dans une propriété à côté de chez lui. Le fermier lui loue le champs, le hangar et la manche à air. John Gentleman Farmer !
Nous voici avec John au départ d’un survol de la campagne. C’est court, mais ça va passer m’annonce-t-il en riant bruyamment. John Éternel Gamin.
Le terrain habituel n’est pas disponible avec son mètre d’herbe. Il n’y a que 50 cm dans celui-ci, ça devrait le faire ! Nous passerons là-bas entre les deux peupliers… ajoute Maître John !
J’espère qu’il sait ce qu’il fait…
John tourne autour de sa machine, vérifie des câbles, s’installe dans le cockpit, m’aide à boucler ma ceinture. John chauffe son moteur, règle ses altimètres, essaie ses commandes de vol, manipule des commutateurs. John à la Checklist !
Je suis ravi. J’ai peur. Je suis un passager schizophrène. Ma vie est dans les mains de John.
Bravo Roméo, c’est pour un décollage juste aux côtés de vos belles courgettes !
John met les gaz. Ça roule. Moins vite que John ne l’espérait. On en met du temps à décoller… La vache, ça ne va pas passer. Si, on passe. Aïe aïe aïe !…
Nom de Dieu !
Ouf, … c’est passé !
John m’avoue dans le casque ne pas avoir imaginé autant de freinage dû à l’herbe. John Expérimentateur.
Mais ce n’est que le début. John s’inquiète d’une température moteur supérieure à la normale. Pendant plusieurs minutes il se pose des questions, il transpire. John Taraudé.
Il tente un atterrissage d’urgence, qu’il rate. Remise de gaz. Il décide d’écourter et de rentrer poser sur le terrain d’où nous sommes partis quelques minutes plus tôt. Il est si petit ! Atterrissage réussi. Excellent freinage sur la surface végétale. Sauvés !
Cucurbitacées épargnées, passager rasséréné.
À peine descendu de la machine John comprend. L’hélice avait haché de l’herbe venue se plaquer sur le radiateur de refroidissement. Voilà pourquoi le moteur surchauffait ! John Dégoûté.
Moi, moyennement rassuré.
Ensuite ?
Et bien, on a tout deux quitté la boîte. Puis nos chemins se sont séparés. J’ai revu John vingt ans plus tard.
Directeur d’une grande administration. En parallèle, évidemment, propriétaire d’une entreprise de construction de piscines ! Il possède une part sur un moto-planeur. Redoutable pour aller gratter au Mont-blanc. Il fait de l’hélicoptère. Il a d’ailleurs fêté le week-end passé la réussite de son nouveau brevet voilure tournante, me dit-il. Emmenant sa nouvelle dulcinée dans des conditions assez limites au posé avec la forte bise de l’autre jour. John Don Juan, et puis John encore un peu téméraire aussi…
Alors, lorsqu’il m’a gentiment proposé de me ré-emmener voler, je n’en avais plus vraiment l’envie.
Ou l’envie d’en avoir envie. Elle est assez facile : Johnny ! Je me suis juste poliment défilé.
So Long John !
J’aurais pu me contenter de signer d’un simple ”Terrien Timoré”. Mais il faut te rendre grâce John.
Ta rencontre a été déterminante dans ma vie.
Grâce à toi, je me suis mis passionnément au vol libre.
Depuis, avec mes si nombreuses heures de vol, des risques, j’en ai pris certainement beaucoup plus que toi …
Ton vieil Ami
Bonjour,
Serait-il possible d’avoir des explications sur le sens de cet article?
Bonjour Guillaume,
Voler n’étant pas anodin, une simple inattention pouvant avoir de lourdes conséquences, nous devons être à 100% à ce que nous faisons. En l’occurrence, ne pas être préoccupé par des soucis personnels, ne pas avoir la tête ailleurs. Il faut savoir décrocher mentalement de notre brouhaha quotidien lorsque nous allons voler. Certains y arrivent plus facilement que d’autres. Plus légèrement, mais c’est la réalité, l’avantage d’un pilote professionnel lorsqu’il vole, c’est qu’il n’emporte pas avec lui un éventuel fardeau mental lié à une autre activité professionnelle trop prenante, contrairement à un pilote qui vole pour ses loisirs. La fin de l’article, c’est juste un trait d’humilité de la part de Xavier : malgré tout, nous sommes tous vulnérables, à commencer par moi. La fin de cet autre article pourrait t’intéresser.
Jean Gabriel
Merci de ta réponse…
J’ai l’impression que dans le comportement de John, ce qui est problématique, c’est plus le fait qu’il prend l’aviation “à la légère”, du moins comme n’importe quel autre activité qui serait sans risque, plutôt que le cumul d’activités différentes, non? Dans sa description, il me semble reconnaitre plusieurs aspects des profils de personnalités identifié “à risque” dans les accidents d’avions (essentiellement “il ne peut rien m’arriver”, “regardez ce que je sais faire”).
Je demande ça car, cumulant moi-même d’autres activités, professionnelles et de loisir, en dehors de l’aviation, je me sens concerné par le sujet…Pourtant je tâche de mettre un maximum de sérieux dans la préparation de mes vols, de ne jamais en considérer un comme anodin, et de rester à l’intérieur de mes limites que je cherche à connaître en permanence. En lisant votre article je me demande si je ne suis pas un John en puissance uniquement sous prétexte que j’ai d’autres activités que l’aviation…
Peut-être que je me berce d’illusions, ou que je cherche à me rassurer, mais j’ai l’impression que John n’a juste pas intégré que voler ce n’est pas naturel pour l’homme et que quand on y va, il faut le prendre un minimum au sérieux, indépendamment de ce qu’on fait à côté…
amicalement,
– Guillaume
Bonjour Guillaume,
Effectivement, la multi activité en tant que telle ne pose pas vraiment problème quand les règles de base et le sérieux sont à l’initiative des actes et des prises de décision… Tout est question de culture et de manière ! À la rédaction de cet article assez imagé, l’état d’esprit qui était le mien était de dénoncer les manques de conscience des situations ou de mettre en garde contre les prises de risque inconsidérées qui sont trop souvent à l’apanage d’amateurismes dans le versus des mauvais sens du terme. La liste est hélas redondante quand on a eu la chance de traîner longuement les pattes sur les aires d’envol. Ainsi peut-on y rencontrer des pilotes de loisirs avertis, bien documentés, aguerris aux démarches des bonnes pratiques pendant que d’autres sont à l’initiative de bien étranges démarches.
Côtoyant un Sky Arrow, je me rappelle encore avec émotion de cet ULM trois axes version hydravion qui était resté bloqué sur l’étang de Berre parce que ses flotteurs de pacotille (faits maison) n’avaient pas été conçu de manière correcte pour lui permettre de redécoller un jour… C’est en tout cas ce que m’explicitait un vieil homme ayant amené son voisin de pallier sous une bulle attenante à l’aérodrome, tout en siphonnant à la bouche la durite du triste réservoir, un bidon jauni presque vide, pour amorcer un moteur en haut de mat n’ayant pas tourné depuis plus de six mois afin de le démarrer avec une vieille essence ayant dégazé, de partir avec un gps routier pour s’orienter et une roue de brouette dégonflée à l’avant qui faisait tressauter l’engin vétuste au cumul de toutes les curiosités. L’envol fut épique au niveau du visuel. J’en ris encore aujourd’hui. À l’aspect grand cabré et au vol dramatiquement si lent de cet équipage de retraités (mais pour combien de temps ?), je dois dire que les questions relatives à un quelconque calage has been de la bête ne se posaient même plus.
Je peux donc te rassurer. Des bêtises j’en ai fait quelques-unes et ne suis pas un donneur de leçon. Actuellement je gère mieux que dans ma prime jeunesse un empressement immodéré de voler. Je mène également nombre de choses en parallèle dans une vie quotidienne assez sympathique et je pense qu’en s’appliquant un minimum, avec un état d’esprit sain, pondéré et une culture suffisante du milieu, l’on peut très bien arriver à voler finement !
Mes amitiés et bons vols printaniers, cordialement,
-Xavier-