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Intuition Vs procédure, apprendre les positions inusuelles…

Lazy eight 2

Par le passé, on disait de certains pilotes de guerre qu’ils pilotaient leur avion d’instinct. Aujourd’hui au bar du club, on entend parfois s’opposer les partisans d’un enseignement méthodique et procédural à d’autres qui aimeraient voire un peu plus d’instinct dans le pilotage [1]. Mais si on s’en tient au mot, « l’instinct » renvoie à la partie reptilienne du cerveau qui agit de manière réflexe et binaire pour la survie et les besoins fondamentaux. Je crois qu’il serait préférable de parler de « pilotage intuitif ». En effet, face à une situation donnée, une  démarche intuitive apporte une réponse originale avec des actions basées sur les ressentis, les sensations, les émotions et le vécu. Notez que je n’ai pas parlé de bonne ou mauvaise réponse… C’est la subtilité du comparatif avec des actions procédurales qui par nature, sont prédéfinies à l’avance, reproductibles par tous, respectueuses des règles, et contrôlables.

Aujourd’hui, on se réfère à des compétences techniques et non-techniques pour instruire et évaluer les acquis de pilotage. Les caractéristiques d’une action intuitive ne  rentrent pas dans une grille de compétences ou de notation. Et on comprend pourquoi… Pourtant l’intuition n’est ni un don extraordinaire, ni de la télépathie magique. C’est une forme avancée de l’intelligence de l’homme qui se développe et se cultive avec le vécu. Qu’on le veuille ou non, le terreau propice au pilotage intuitif se développe au gré de l’expérience des vols. D’ailleurs avec l’ancienneté, le pilotage s’attache de moins en moins aux procédures car il introduit une certaine dose de feeling et d’intuitif. C’est la rigueur, pour ne pas dire la discipline qui permet au pilote expérimenté et responsable de se tenir strictement aux procédures du manuel de vol pour piloter son avion.

Sur ce thème, je vous propose d’examiner pourquoi les positions inusuelles devraient être enseignées, certes selon des procédures réflexes, mais aussi avec des exercices de pilotage favorisant l’intuitif.

Lazy eight

Le domaine de vol des avions de loisir et ULM ne permet pas de s’entrainer à faire des positions inusuelles suffisamment probantes et démonstratives. Les limites de l’avion risquent d’être atteintes rapidement. C’est ainsi qu’on a recours à un avion de voltige pour démontrer quelques manoeuvres avec des positions nez-haut, nez-bas, ainsi que la vrille. Mais l’avion de voltige n’est pas le seul moyen d’aborder l’apprentissage des positions inusuelles. En effet, apprendre à piloter des huit paresseux apporte également des compétences réutilisables pour gérer n’importe quelle position inusuelle.

Mais pourquoi le huit paresseux ?

On convient que le pilotage d’un planeur est pour le moins exigeant et non procédural [2]. C’est sans doute pour cela qu’il développe si bien le sens de l’air. Comme le vol en planeur, le pilotage d’un huit paresseux est « adaptatif », c’est à dire qu’il faut corriger et adapter sans cesse la trajectoire et les actions au manche pour obtenir un bon résultat. En plus de s’appuyer sur une méthode, le pilotage d’un huit paresseux nécessite de faire appel aux facultés de  visualisation, de perception, de réflexion, de sensation, et aussi de créativité ou d’improvisation. C’est la capacité intuitive qui permet d’adapter le pilotage de la manoeuvre.

« L’intelligence adaptive [3] est une forme de créativité qui se manifeste dans les situations inconnues ». « La capacité intuitive consiste à percevoir des éléments contextuels et à les agencer de manière adaptative pour trouver une solution nouvelle dans une situation répétitive [4] ».

Même si au début un jeune pilote s’accroche à une méthode pour faire ses premiers huit paresseux, très vite, le jugement et la perception des trajectoires guident ses gestes. Piloter des huit paresseux est l’occasion de débrider la technicité de pilotage. Les procédures et les méthodes font place au ressenti et à l’adaptation (capacité intuitive). L’apprentissage de manoeuvres dont le pilotage est intuitif, décuple la technicité et améliore la faculté de répondre correctement à une situation inconnue en ambiance stressante, par exemple : une position inusuelle.

Si on examine bien, le huit paresseux contient quasiment tous les ingrédients des positions inusuelles nez-haut et nez-bas, à savoir : des assiettes fortes à cabrer et à piquer ; des inclinaisons importantes ; un peu de balistique ; un peu de « g » ; des attitudes combinant une assiette forte et une inclinaison forte ; des variations de badin au gré de l’élan ; des variations de trajectoire ; l’approche des bordures hautes et basses du domaine de vol, et d’autres encore… Avec l’apprentissage de cette manoeuvre, ces ingrédients sont maîtrisés et l’inconnu est tout naturellement démystifié. En cas de mauvaise manoeuvre, ce n’est plus le stress et l’incompréhension qui dominent le pilotage et les réactions, mais plutôt la raison, la créativité et le doigté. Cela se traduit également par une analyse plus rapide et plus fiable de la position de l’avion (l’attitude dans l’espace), et des réflexes de pilotage sains et bien adaptés permettant de le ramener comme il faut.

Dans les manuels de vol des avions légers (cat. U),  la section 2 « Limitations » fait généralement apparaitre une liste de « manoeuvres autorisées » (autorisées par le constructeur) : chandelle, huit paresseux et virage serré Ф > 60°. Oh rassurez-vous, il ne s’agit pas d’inciter à faire n’importe quoi, comme par exemple improviser ce genre de figures pour épater les amis présents à bord de l’avion. Non ! Là où certains peuvent y voir l’incitation à une pratique à risque, d’autres décèlent un enrichissement permettant d’améliorer  les compétences techniques. C’est vrai, l’idée de faire des huit paresseux peut faire débat… Un tel apprentissage doit être encadré par des instructeurs et nécessite déjà une certaine maturité et expérience (après le brevet).

L’apprentissage des positions inusuelles est d’autant plus efficace s’il est abordé à la fois sous l’aspect procédural (sur avion de voltige ou au simulateur) mais aussi avec un entrainement de pilotage intuitif, nécessitant du doigté, du ressenti et de la réflexion. Un pilote à l’aise avec des huit paresseux sera « armé », non-seulement pour récupérer d’éventuelles positions inusuelles, mais aussi pour prévenir une sortie inopinée de domaine de vol.

Bons vols

Pascal Berriot (Pilotage avancé, du huit paresseux aux positions inusuelles– Cépaduès 2016)

[1] http://www.lepoint.fr

[2] https://blog.mentalpilote.com

[3] L’intelligence du stress (J. Fradin) Eyrolles 2008.

[4] Le cerveau magicien  (R. Jouvent) Odile Jacob 2002.

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One Comment

  1. Intéressant!
    Oui, l’intuition, cela s’apprend, et même des fois on l’appelle “expertise” quand on l’a apprise suffisamment longtemps;

    Après, c’est un outil comme un autre, qui sert non seulement au pilotage mais aussi à la prise de décision avec des avantages, notamment qu’il soit immédiatement disponible dans le creux du bide sans avoir besoin de ressortir un classeur, et des inconvénients, à savoir qu’il soit susceptible de nombreux biais plus ou moins positifs – cf. http://arc.lib.montana.edu/snow-science/objects/issw-2002-244-251.pdf par exemple pour les biais qui font prendre des risques ; il y a aussi des biais qui font être trop prudents, qu’il peut aussi être dangereux d’écarter car ils peuvent avoir l’effet de diminuer la performance (quand on y croit pas, on y réussit moins bien).
    A chacun de prendre conscience de ces biais pour arriver à bien profiter de son intuition…

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