Il existe une chose très simple pour améliorer vos pratiques : un petit carnet !
Lorsque j’ai débuté, par le vol à voile, j’avais pris l’habitude de noter tous mes vols. J’y inscrivais en quelques mots la situation météo, puis une courte analyse. En le remplissant, je revivais mon vol, ses particularités, ses réussites comme ses difficultés, et je prenais ainsi le recul nécessaire pour mieux comprendre. Une relecture régulière me permettait aussi de découvrir des défauts récurrents : trop d’impatience, ou des décisions prises en fonction de ce que je voulais voir arriver plutôt qu’en fonction de la réalité. Ce retour d’expérience personnel m’a fait progresser beaucoup plus vite, notamment dans le domaine sportif.
Mais ce bénéfice apporté par la prise de distance n’est pas spécifique au pilote de planeur : il repose sur des mécanismes cognitifs bien connus.
Pourquoi ça marche ? Les apports de la psychologie et de la mémoire
Les psychologues parlent de métacognition : la capacité à réfléchir sur sa propre performance. Écrire ses expériences oblige à les analyser, ce qui favorise l’apprentissage et la consolidation en mémoire. C’est ce que décrit Kolb dans son cycle de l’apprentissage expérientiel : expérience → réflexion → conceptualisation → mise en pratique. Le carnet correspond précisément à la phase de réflexion, souvent négligée.
Les recherches sur la mémoire montrent aussi que le fait de revivre activement une expérience (par l’écriture, le récit, le questionnement) renforce beaucoup plus l’ancrage que la simple relecture. C’est l’effet de testing ou retrieval practice (Roediger & Karpicke, 2006) : le rappel actif d’une information améliore sa rétention. En d’autres termes, écrire son vol, c’est se l’approprier durablement.
Enfin, la tenue d’un carnet aide la mémoire prospective : elle transforme une expérience vécue en repère pour le futur. L’erreur ou l’écart consigné devient un « marqueur » qui alerte le pilote la prochaine fois qu’une situation similaire se présente.
Du stagiaire au professionnel
Dans les écoles de pilotage, la plupart des stagiaires possèdent un cahier de débriefing. On y consigne les remarques de l’instructeur, des rappels de procédures, ou des points d’organisation à bord. Plus tard, au calme, la relecture permet d’y réfléchir et de compléter par une analyse personnelle. C’est un prolongement du débriefing oral, mais avec un effet renforcé par l’écriture et la relecture répétée.
Une fois breveté ou lâché, le pilote perd son instructeur, qui jouait le rôle de « miroir » en identifiant les points à améliorer. Le carnet devient alors ce miroir : c’est lui qui aide à maintenir la boucle d’amélioration continue.
Les pilotes professionnels utilisent souvent aussi ce type de carnet, surtout lorsqu’ils changent d’avion ou intègrent une compagnie. Avec l’expérience, son contenu évolue : des rappels simples au départ, il s’enrichit de connaissances techniques et opérationnelles de plus en plus détaillées.
Comment s’y prendre ?
Le contenu peut varier selon l’activité, la motivation et l’expérience. Une structure simple peut être organisée autour de trois questions :
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Pourquoi ? → comprendre le sens des choses (« Pourquoi m’a-t-on imposé ce cheminement ? »).
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Comment ? → décrire une action précise (« Comment activer telle fonction de mon GPS ? »).
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Et si… ? → explorer des variantes (« Et si le vent de face avait été plus fort ? »).
Cette démarche d’anticipation s’inscrit dans la logique du TEM (Threat and Error Management) : identifier les menaces, analyser ses erreurs et en tirer des parades.
Le carnet peut aussi intégrer des entrées plus personnelles : niveau de stress ressenti, pression de la décision, confiance en soi… Ce sont des éléments déterminants. Les noter permet de réfléchir à des options préventives : plus de préparation, un peu plus de carburant, un départ repoussé, une décision anticipée.
Enfin, poser la question : « Mon vol était-il parfait ? » est un excellent test. Si la réponse est toujours « oui », c’est peut-être le signe que le pilote ne se remet pas assez en question.
Apprendre aussi des autres
Le carnet ne doit pas se limiter à son propre vol. Observer et consigner l’expérience des autres est tout aussi constructif. Les erreurs ou les tactiques observées chez d’autres pilotes deviennent des leçons intégrées dans son propre bagage.
Conclusion
Ce petit carnet, si modeste en apparence, s’appuie en réalité sur des mécanismes cognitifs puissants. Il combine la métacognition, l’ancrage mnésique, l’apprentissage expérientiel et la gestion des erreurs. Autant d’outils qui permettent au pilote, quel que soit son niveau, de progresser plus vite, plus loin… et plus sûrement.
Bons vols
Jean-Gabriel CHARRIER
Ne devrions nous pas appliquer les temps d’échanges à chaud et à froid en compagnies aériennes qui agissent comme ton carnet tout à fait indispensable ?La mémorisation des situations est effectivement bien meilleure si un écrit ou même un dialogue avec le reste des personnes présentes se passe.
Alors comment expliquer que très peu d’équipages prennent le temps de débriefer tout vol avant de rejoindre l’hotel ?
Si un problème a eu lieu, il peut ainsi être expliqué par l’acteur en cause (meilleure gestion des incompréhensions).
Et si le vol s’est parfaitement bien passé, l’émotion de recevoir un compliment pour toute l’équipe n’a pas de prix dans la qualité des actions futures.
Bonjour.
N’oublions pas, pour les planeurs, la Netcoupe. Si on veut bien s’astreindre à noter tous ses vols, on peut les revoir sur des logiciels dédiés (p.ex. : IGC Flight Replay, qui est gratuit) et sans doute mesurer ses progrès. Mais je retiens le carnet, simple ; (qui peut aussi être sous la forme d’un carnet de vol sur tableur, lequel permet de faire les annotations que l’on veut.)
Amitiés vélivoles
bonjour,
excellente réflexion sur la tenue d’un carnet … en plus cela peut recouvrir plusieurs méthodes.
Pour ma part, je tiens un carnet (excell) que je relis et sur lequel je fais de tonnes de stats dans tous les sens (en hiver quand ça vol moins en parapente)
mais j’ai complété ce carnet (technique) par un blog perso sur lequel je peux retranscrire les humeurs, les éléments de prises de décision etc … tout en faisant partager http://www.schoepp.fr