LE BLOG, PILOTE PRIVE

Un vol vers Quiberon pas si tranquille

Voici un vol « pas si tranquille » qui nous est raconté par Alain. Vous trouverez l’analyse de son voyage dans la deuxième partie de cet article.

Le récit d’Alain :

En lisant avec beaucoup d’intérêt votre blog, je me souviens d’un vol que j’ai effectué l’été dernier et dans lequel je retrouve beaucoup de similitudes avec ce que vous décrivez.

Je ne suis pas très expérimenté, mais ce jour-là je croyais bien que j’allais entreprendre un vol plaisant sans difficulté particulière. Je partais de la région parisienne un samedi matin avec ma famille pour passer le week-end à Quiberon. J’avais regardé la météo la veille et j’imaginais quelques nuages en Bretagne à l’arrivée d’un front semblait-il, mais  sans pluie et sans plafond bas. Je connaissais déjà la navigation et mon avion était équipé d’un GPS, je pensais donc sincèrement ne rencontrer aucun problème particulier.

Les ennuis, ou du moins les contretemps ont commencé dès le départ avec une arrivée tardive à l’aéro-club. Je n’étais pas obligé de me presser particulièrement, mais je ne voulais pas arriver trop tard à Quiberon, et c’est en y repensant après que je peux dire que ma lecture de la météo s’était faite un peu rapidement. Des plafonds bas vers 1000 ft étaient signalés, mais ils devaient se lever et j’avoue qu’entre le temps radieux du départ, le vol planifié depuis un moment, et sans doute mon manque d’expérience, la météo a été « survolée » un peu vite.

Le début du vol s’est parfaitement passé jusqu’au moment où, étant enfin plus disponible, et en voyant à l’horizon des cirrus et des altostratus, j’ai ressorti la météo. Et là, j’avoue que ce n’était plus la même lecture. Sans être trop anxieux, j’échafaudais quelques scénarios dans ma tête et seul celui de l’arrivée à ma destination retenait mon attention. J’avais beaucoup de mal à m’imaginer me dérouter sur Vannes ou même avant ! C’est évident que je pensais à mes enfants et leur désillusion avec leurs bouées sur l’aérodrome de Vannes !

Passer du grand ciel bleu à un plafond couvert ne me perturbait pas particulièrement sauf que le plafond baissait au fur et à mesure que j’avançais, comme le prévoyait la météo ! Je n’osais toujours pas parler d’un changement de destination à mes passagers, et je commençais sérieusement à stresser. La visibilité était bonne, mais le plafond continuait à descendre, et c’était la première fois que je me retrouvais dans des conditions pareilles. Je vais peut-être étonner des pilotes, il y avait environ 1500 ft de plafond et peut-être 8 km de visibilité, mais je n’étais pas du tout à l’aise, sans doute à cause de la dégradation entre le début du vol et l’arrivée vers ma destination. J’étais surpris.

Eh bien non ! Je ne me suis pas dérouté et je suis arrivé à Quiberon sans encombre, mais avec une dose de stress que je ne suis pas prêt d’oublier. Bien entendu, j’ai beaucoup réfléchi à ce qui m’était arrivé, pourquoi j’avais réagi comme ça. Je n’avais à aucun moment imaginé le « plan B » que vous évoquez, le « plan A » étant d’emmener ma famille à la mer. Tout s’est bien passé, mais lors de mes navigations suivantes cette expérience m’a beaucoup servi.

L’analyse de MentalPilote :

Alain a accepté que son récit soit publié avec nos commentaires, qu’il a validé, après quelques échanges et précisions supplémentaires. Son vol est très instructif, avec sa chronologie, et la façon dont il a vécu son déroulement.

Pendant la préparation du vol, lors de la lecture des documents, le pilote peut parfois lire ce qu’il a envie, pour ne retenir que ce qui l’arrange (biais). Dans le cas d’Alain, c’est un peu différent, il a correctement lu sa prévision météorologique, mais il n’a pas fait la relation entre ces données papier et la réalité : sa Conscience de la Situation du coup n’était pas très bonne, il y avait un décalage entre ce qu’il pensait et la réalité.

La pression extérieure, en l’occurrence ses passagers, est un facteur sans doute très important qui a sans doute perturbé Alain qui ne voulait pas décevoir sa famille. Supposons que le temps ait été bouché à Quiberon, il y aurait eu beaucoup de déception, mais la décision se serait imposée d’elle même. Dans le cas présent, et c’est toujours comme ça, la situation n’était pas si évidente. En aviation légère, les données météo ne sont pas binaires comme : il fait beau ou il fait mauvais, contrairement au vol aux instruments (IFR) où vous avez 650 m de visibilité ou vous ne les avez pas ! Le fait que le départ se fasse dans d’excellentes conditions météo a pu amener Alain, inconsciemment, à minimiser une réalité qui était tout autre, bien loin de la région parisienne.

En vol, Alain évoque une disponibilité qu’il n’avait pas eue auparavant, et assez logiquement il analyse sa météo seulement quand il aperçoit les nuages au loin sur sa route. Le temps qu’il se donne pour analyser en détail les bulletins météo, associé à la matérialisation physique des nuages, c’est-à-dire du mauvais temps, vient d’un seul coup augmenter considérablement sa CS… et du coup son niveau de stress ! Après discussion, il s’avère que la vie professionnelle d’Alain n’était pas de tout repos, or les stress s’accumulent. Si vous partez en vol avec déjà une pression liée à des causes personnelles et que vous soyez confronté en vol à une situation stressante, vos capacités diminueront en fonction de la somme de ces deux pressions.

Alain décrit bien sa difficulté, sous l’effet du stress, à envisager un déroutement. Cette option est d’autant plus difficile à planifier au cas où… qu’elle n’a jamais été prévue avant le vol. Si celle-ci l’avait été, en prévenant également ses passagers, Alain serait arrivé pareillement à Quiberon mais il ne se serait sans doute pas mis la pression comme cela.

Quand Alain nous dit : « Je vais peut-être étonner des pilotes, il y avait environ 1500 ft de plafond et peut-être 8 km de visibilité, mais je n’étais pas du tout à l’aise ». Eh bien non, cela ne nous étonne pas. Chaque pilote possède ses minimas, et avec le même nombre d’heures de vol, l’expérience de chaque pilote est différente. Et d’autre part, les situations de vol peuvent être très variées et différemment vécues. Alain est un pilote normalement prudent, son « seuil d’alarme » est le sien, et dans l’échelle des comportements il a placé son curseur sur : pilote responsable, ou pilote raisonnable.

Bons vols

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