LE BLOG, PILOTE PROFESSIONNEL

Nous avons besoin des contrôleurs aériens

Nous évoquons la performance de la sécurité qui est la résultante de, la perception, la compréhension et l’anticipation. Cette performance est le fruit d’un travail collectif qui comprend, entre autres, les contrôleurs aériens.

Voici un vol raconté par un copilote qui montre, que l’aviation n’est pas un métier de tout repos, et que la Conscience de la Situation météorologique de la part de l’ATC, est un facteur de sécurité important.

La photo au milieu du récit a été prise pendant le vol, lors de l’approche. C’est l’arcus* dont parle le copilote qui se situe à l’avant de l’orage.

Récit :

Il s’agit de deux rotations au départ de Lyon St Exupéry vers Toulouse.

Le premier aller-retour est réalisé par le commandant de bord, un ancien d’Air Inter qui possède une très grande expérience. Le temps se tient malgré quelques masses nuageuses convectives et orageuses assez loin de notre route. On note un jet assez bas qui provoque un vent effectif contraire de 65 kts sur notre route dans le sens Lyon – Toulouse.

Je suis pilote en fonction sur le dernier aller-retour et au départ de Lyon, voyant la météo s’obscurcir et le vent se lever par bourrasques, je propose par prudence de prendre au moins 30′ d’attente à destination en préparation du vol ; ceci doit se transformer en 35 à 40′ d’attente avant de dégager en réalisation.

Mon commandant de bord acquiesce volontiers et arrondit généreusement mon calcul. Ce n’est pas le jour pour dégager au mini pétrole, surtout quand le terrain de dégagement est gratifié par MTO France d’un PROB 30 TEMPO 081200 081800 TSRA et du vent violent… (traduction : une probabilité d’orages).

15′ après le décollage de Lyon, face au sud, avec une route globalement au sud-ouest, nous devons effectuer un offset de 25 à 30 Nm vers le sud pour éviter une masse orageuse d’environ 60 Nm de long et 20 Nm de large ; le radar mesure plusieurs échos rouges et magentas, de formes ovales, assez bien séparées. Le contrôle de Bordeaux nous prévient que Toulouse est sous des orages violents.

Quelques minutes plus tard, nous passons avec le contrôle de l’approche de Toulouse, qui nous régule vers les cumulonimbus (orages) pour nous placer sur le point d’entrée de la STAR de la TMA (traduction : pour rallier une arrivée standard). Nous expliquons l’évidence, c’est-à-dire que nous sommes en trajectoire d’évitement depuis 30′ et que nous irons à peu près partout sauf vers les points que le contrôleur nous donne. Mon commandant de bord explique tout cela calmement et le contrôleur nous laisse au cap d’évitement.

En passant avec le radar, même problème avec un contrôleur qui ne comprend pas ce que nous voyons dehors et que nous voulons à tout prix éviter. De près, le cumulonimbus est très impressionnant et nous descendons au palier de procédure de 3000 ft en suivant la frontière délimitée par le bord d’un magnifique arcus, avec un cap 210.


Nous refusons deux caps radar nous invitant à le traverser pour rejoindre la finale ILS 32L. Une fois suffisamment descendus, vers 3500 ft nous prenons un cap au 250 et traversons 300 ft d’arcus, en cherchant à voir le sol. Cela turbule faiblement et je m’aperçois que l’avion ne descend plus. A 49 tonnes, thrust idle (poussée réduite), 220 kt ias à 3500 ft, on avance sans perdre d’altitude : l’ascendance est colossale.

Un petit coup de Speed brake et nous descendons au milieu des trombes d’eau; le commandant de bord prévient le contrôleur que nous nous chargerons d’intercepter le Loc (traduction : l’axe de la piste) par nous-mêmes, car ils veulent décidément nous envoyer vers les zones les plus convectives.

Une fois alignés sur le LOC32L (traduction : en finale piste 32), nous traversons des murs d’eau pendant environ 4′ avant de distinguer la piste et le terrain. En finale 32L, nous demandons la 32R pour regagner un peu du temps perdu par ces contournements et nous nous posons, en volets 3 pour étaler un éventuel windshear (cisaillement de vent).

Une fois au parking, pax (passagers) débarqués, je demande sur la fréquence sol si les contrôleurs d’approche sont dotés d’un radar météo. Le contrôle me prend de haut en disant “mais bien sûr, on est bien équipé, vous êtes à Toulouse, Monsieur !” Bon, je n’ai pas envie d’expliquer ce que nous venons de traverser ; de toute façon, ils ne me croiraient pas !

* L’arcus (du latin : arcus signifiant simplement “arc”) désigne un type de nuage bas ayant une forme d’un rouleau ou d’un arc allongé sur un plan horizontal apparaissant au cours d’un orage et situé à l’avant immédiat de la ligne des précipitations (pluie, neige, ou grêle). D’un aspect très menaçant, de couleur sombre (gris ou bleu foncé) et de dimensions imposantes (généralement de plusieurs kilomètres de long), l’arcus se situe au bas d’un cumulonimbus et s’en détache nettement (et de là, se reconnaît aisément) par sa situation plus proche du sol que le reste du nuage d’orage (quelques centaines de mètres tout au plus), sa couleur homogène, et la très nette limite qu’il marque entre l’avant de la perturbation et les précipitations qui le suivent immédiatement (la ligne de grain). C’est pourquoi sa forme longitudinale évolue dans le sens de la perturbation. Source : Wikipédia.

Note: il n’est pas question de polémiquer avec les contrôleurs aériens avec cet article. Il existe de nombreux exemples où, leur compétence, leur maîtrise, leur sang froid, ont évité des catastrophes. Nous trouverons peut-être des récits à vous proposer.


9 Comments

  1. duke

    Cet événement reflète le principal défaut des contrôleurs aériens et de leur formation.
    Il est indispensable en tant que contrôleur aérien d’effectuer un maximum de vols au poste de pilotage dans toutes les phases de vol.
    Cela permet aux contrôleurs de mieux appréhender les capacités de la machine et l’ambiance à bord.

    En tant que contrôleur aérien, j’ai effectué plusieurs centaines d’heures de vol dans le poste de pilotage en dehors de ma formation officielle, mais tout simplement par passion lors de vols privés et payant. (toutes phases de vol).
    On y perçoit les lacunes des contrôleurs aérien, et on appréhende mieux les impératifs de vol.
    Cela permet également au contrôleur d’optimiser la gestion des trajectoires, vitesses, du trafic sous son contrôle.
    Malheureusement, il devient de plus en plus difficile de faire les vols au poste de pilotage (lors des vols privé), et les vols effectués lors de la formation officielle sont insuffisants.

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  2. didier

    Pour information, les contrôleurs de Toulouse ont bien une visualisation de l’activité orageuse (précipitations et impacts de foudre). Mais cette visualisation est seulement informative et n’est pas située sur la position de contrôle.
    Elle n’est pas corrélée avec les écrans radar et ne peut donc pas être utilisée pour guider les aéronefs.
    Ce n’est donc pas volontairement qu’un contrôleur dirige un aéronef vers une zone potentiellement dangereuse mais bien parce qu’il ne dispose pas de l’information nécessaire.

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  3. ctrl LFBO

    Petite précision d’un controleur de Toulouse: S’il existe une image en salle des cellules convectives orageuses, elle est disponible sur un pupitre chef de salle et n’apparait pas sur le radar des controleurs en poste.En l’occurence, il nous est impossible de prendre l’initiative d’un guidage pour éviter les orages et la seule solution est d’accéder aux demandes des pilotes, bien mieux équipés. La conversation pilote controleur de l’article nous laisserait à penser que le controleur était suffisamment équipé mais inefficace ,ce qui est faux (au moins en ce qui concerne l’équipement…) et c’est certainement la tension du moment qui a engendré cette conversation stérile et ces conclusions négatives et erronées. Je suis certain que tous les pilotes qui fréquentent Toulouse (c’est la meme chose partout en France ) peuvent témoigner qu’une grande marge de manoeuvre leur est donnée dans ces situations d’instabilité orageuse,

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  4. PENEL

    Bonjour,
    Une petite précision. Les contrôleurs de Blagnac disposent bien d’une information météo sur les zones de fortes densités de précipitations. Cependant cette image n’est pas disponible sur les écrans radar mais sur un écran spécifique commune à toutes les position de contrôle.
    De plus ces information n’ont rein à voir avec un “vrai” radar météo tel que ceux a bord des avions.

    D’autre part les situations orageuses évolue très rapidement et il est difficile de maintenir une vision fiable de la situation.

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  5. Linus

    Bonjour,
    Je suis un peu sidéré par le commentaire du contrôleur.
    Notre formation nous sensibilise tous au danger des cb. Mais la technique n’a pas vraiment suivi.
    A Toulouse en particulier, nous avons une image aspoc (1 écran en vigie et 1 en salle IFR), qui montre les masses nuageuses les plus actives ainsi que leur déplacement. Oui mais…. elle n’est pas visible du contrôleur á la fréquence.
    D’autre part, le seul fond de carte offert pour repérer leur position est la Garonne et les contours de la ctr.
    Donc parfaitement inexploitable et inexploité.
    Je précise qu’il nous est formellement interdit de l’utiliser pour un éventuel guidage d’évitement, la seule info fiable étant à bord de l’avion.
    Je précise pour finir qu’une situation orageuse est très difficile à gérer également coté atc et génératrice de beaucoup de stress. Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, les trajectoires sont imprévisibles et l’improvisation est permanente.
    Quant aux accés d’humeur des uns et des autres, je les déplore aussi.

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  6. JG CHARRIER Author

    Il y a plusieurs choses intéressantes dans ce récit et les commentaires. Le premier point c’est le concept de conscience de la situation. Pour le pilote c’est sa situation du moment et celle à venir (fiches, articles…). Un défaut de conscience de la situation est repéré dans la majorité des accidents. Parmi les dangers important il y a, le sol (CFIT…), les autres avions (collision), et certains phénomènes météo (orage…). Concernant la météo une météo dégradée, elle va entrainer une charge de travail plus importante, une élévation du stress (diminution de la performance), etc. On parle de « challenging conditions », le passage dans l’arcus est un bon exemple.
    L’idéal serait que cette conscience de la situation (CS) soit la même pour le contrôleur et pour le pilote ou que l’écart entre les deux CS (et la réalité) soit le plus faible possible. Que chacun voit la même chose, ou à peu près la même chose. Le pilote, comme un skieur, slalom entre les piquets avec l’accord du contrôleur ; si le contrôleur voit les piquets, cela semble plus simple. Cela renvoie à une notion de performance collective. Le système est performant : avion, pilote, contrôleur quand les CS sont les mêmes. Quand elles diffèrent, le système grince un peu, avec une vraie difficulté, la dynamique du vol : le skieur (le pilote) ne peut pas s’arrêter.
    Est-ce qu’il ne faudrait pas (comme dans beaucoup d’autres pays) intégrer l’image météo sur l’écran principal ? On sort un peu des FH !
    Nous en profitons pour lancer un appel à nos camarades contrôleurs pour faire partager leurs expériences dans ce blog, notamment autour de cette notion de compétence collective, ou de FH pures. Comment vous arriver à récupérer certaines situations, je pense ici aux jeunes pilotes : égarement, stress, erreurs … ou tout autre expérience enrichissante pour un pilote.Merci

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  7. andré

    Merci pour ces précisions qui sont pour nous pilotes très riches.

    En effet, nous pouvons mieux gérer les situations vécues avec le contrôle si nous savons ce que vous avez la possibilité ou non de faire.

    Une de vos remarques communes me parait très intéressante également et elle est liée à l’ergonomie de votre poste de travail : si une information météo est disponible sur un écran qui n’est pas le votre et si vous n’avez de toute façon pas le droit d’utiliser cette information, alors est elle judicieuse et n’est elle pas finalement une gêne ?

    Votre avis m’intéresse car dans les cockpits, nous sommes parfois embêtés par des appareils qui chargent notre circuit visuel et ne sont pas clairement utiles.

    N’oublions pas que l’ergonomie (“adaptation de l’outil de travail à l’homme”) est la partie directement complémentaire du facteur humain (“adaptation de l’humain à l’outil de travail”) et que l’un ne peut venir sans l’autre dans un domaine parfaitement sécurisé.

    Je dois reconnaitre depuis 22 ans de vols que j’ai quasiment toujours été aidé par les controleurs lorsque le besoin s’en est fait sentir.

    Ai-je par contre tout fait pour aider celui-ci lors de fortes affluences par exemple ?
    Je n’en suis pas sûr… mais je vais maintenant y faire encore plus attention !

    Et vous autres pilotes ?

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  8. ctrl lfbo2

    Comme cela se fait dans d’autres pays, nous pourrions avoir une image météo pertinente sur notre écran ou à proximité.
    Le choix de ne pas l’avoir et de ne pas pouvoir utiliser de telles informations sur la position de contrôle est politique et a été plus ou moins imposé par Météo France qui a voulu garder la mainmise sur la diffusion des infos météo en temps réel. On est donc tributaire des coups de fils à la tour de la part de l’agent Meteo France qui nous dit par exemple : “tiens tu vas avoir une cellule à 15km au sud de ton terrain” et on doit se débrouiller avec…

    C’est triste mais c’est la réalité…

    Bon vent à votre site !

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  9. Sarah

    Je pense que tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agisse des pilotes ou des contrôleurs, on ne connaît pas suffisamment dans les détails le métier de l’autre. Du moins, certaines subtilités nous échappent… Je suis en train de travailler sur ce thème dans le cadre de ma formation à l’ENAC (ICNA) et je cherche des pilotes pour répondre à certaines questions, si vous êtes volontaires manifestez-vous s’il vous plaît, pour l’amélioration de nos relations !

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